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Ornette dans le texte !

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Ornette dans le texte. Un compositeur atypique et une voix extraordinaire du saxophone qui a ouvert une fois pour toutes les portes du jazz libre.

Quand je parcours les prophétiques albums Atlantic d’Ornette Coleman, je suis frappé par l’extrême qualité de la construction musicale de chacun des morceaux enregistrés par le Quartet. Chacune de ses compostions est une perle rare, de Lonely Womanà the Face of The Bass, Congenialityet Peace, Ramblin, Free, ou Una Muy Buonita, Focus on Sanity, Humpty Duty. Elles parsèment de cris géniaux et de bondissements imprévisibles les albums The Shape of Jazz to Come,Change of the Century, This is Our Musicmais aussi Ornette on Tenor et Ornette ! ainsi que les albums parus plus tard, The Art of Improvisers, Twins et To Whom Keeps a Record, apportant chaque fois une dimension supplémentaire, des idées neuves et une façon singulière de les présenter. Ses disques ont fasciné toute une génération d’Albert Ayler aux Soft Machine, de Frank Zappa et l’Art Ensemble of Chicago à John Stevens et Trevor Watts, etc… Chacun de ces albums est en lui-même une construction où chaque morceau semble soigneusement sélectionné par rapport aux autres, l’ensemble formant une véritable architecture au milieu de laquelle trône l’utopique Free-Jazz du Double Quartet. Mais est-ce du Free-Jazz ?
Je suis frappé par l’inconséquence de Rhino et du producteur qui a publié la fameuse intégrale des enregistrements du coffret Beauty is a Rare Thing en suivant l’ordre chronologique des discographes obsessionnels plutôt que de respecter la suite des albums parus en maintenant leur homogénéité et l’enchaînement logique des morceaux. Lonely Woman suivi d’Eventually et de Peace. Ramblin’et puis Free,Face of the Bass avec Forerunnerqui ouvre la deuxième face avant Bird Food et Una Muy Bonita ! On veut Ornette dans le texte ! Il y a beaucoup à parier qu’une composition plus ancienne ait été enregistrée bien après celles, toutes neuves qui jaillissaient spontanément de l’imagination du saxophoniste la veille de rentrer en studio. Ornette Coleman est un compositeur prolifique avec un sens de la mélodie inné imprégné du blues le plus authentique. Quand on fait le compte des compositions originales d’Ornette Coleman enregistrées pour Contemporary, Something Else et Tomorrow is the Question, et Atlantic, soit les six albums publiés durant du contrat et les trois inédits, The Art of Improvisation, Twins et To Whom Keeps a Record, on réalise qu’il y a très peu d’artistes jazz aussi féconds en si peu de temps, à peine trois ans. On nous serine avec le deuxième quintet de Miles avec Wayne Shorter et Herbie Hancock et leurs formes nouvelles comme si l’évolution du jazz était son pré carré. Ornette est le premier grand compositeur – improvisateur à dépasser les formes du jazz moderne établies par la génération Parker – Gillespie. Et pour moi-même c’est une musique plus attachante, plus sincère, plus directe que celle contenue dans les six albums gravés par Miles et son quintet entre 65 et 68.  Vive Ornette !!

Une fois devenu un centre d’intérêt incontournable de la scène du jazz, Ornette Coleman a intitulé un de ses plus beaux albums, This Is Our Music. Sans doute, pour signifier que leur musique est essentiellement collective. Que chacun des musiciens apporte une dimension indispensable, une voix unique sans la laquelle les compostions auraient sensiblement moins de sens et d’authenticité. Si je peux me permettre une comparaison, dans de nombreux disques de jazz moderne, même les incontournables, on peut dire que souvent, très souvent même, les musiciens sont presqu’interchangeables. Dans le cas du Quartet d’Ornette Coleman, on n’imagine pas une autre bassiste que Charlie Haden, un autre trompettiste que Don Cherry et d’autres batteurs qu’Ed Blackwell ou Billy Higgins. D’ailleurs le disque enregistré avec Scott La Faro (Ornette !), n’aura pas le même impact. Il sera moins réédité qu’ Ornette on Tenor qui bénéficie du puissant apport de Jimmy Garrison Lorsqu’ Ornette adoptera Charles Moffett et David Izenson et que Bobby Bradford s’en est retourné en Californie faute de concerts, le caractère de la musique et le répertoire changeront tout à fait, si on se réfère aux enregistrements parus.
Quant à l’appellation « free – jazz » qui tire son origine dans le titre du fameux album, elle pose problème quand on écoute sa musique car celle-ci reste attachée au rythme et au swing.  Ornette a une oreille musicale différente du bopper bon teint et son sens mélodique exceptionnel est attaché à des altérations particulières de la gamme. Il suffit d’écouter Chronology qui clôture The Shape of Jazz to Come pour s’en convaincre.  Gunther Schuller informe qu’Ornette a bâti sa musique sur une conception erronée de l’harmonie qui lui a servi de fil conducteur pour construire sa personnalité musicale et son style caractéristique.  Et donc je dirais que la musique d’Ornette Coleman  dans le Quartet semble être sa version très personnelle du be-bop ou « jazz moderne » dans lesquelles sa pratique indique la direction vers le jazz libre.  Je signale aussi l’interview d’Ed Blackwell publiée dans Jazz Magazine en 1973 où le batteur attitré du Colemanisme affirme bien fort que sa musique n’est pas du free-jazz (Sunny Murray, Milford Graves, Cecil Taylor), mais sa version  originale du jazz contemporain, une manière d’après-bop attaché au swing, aux barres de mesure, à la mélodie mais avec une ouverture vers plus de liberté et une force d’expression inconnue jusqu’alors. Et que lui-même ne veut pas être associé aux leitmotivs du free-jazz. N’accorde t-il pas sa batterie comme personne ? Les improvisations de Don Cherry dans Face of the Bass ne jouent-elles pas avec la mélodie ?
La musique d’Ornette Coleman, si elle est profondément innovante et remet en question de nombreux paramètres du jazz moderne, aidée en cela par l’absence de piano, reste donc très attachée au rythme et à la complémentarité du pivot basse-batterie (Haden – Blackwell). Le titre de précurseur « inventeur » du free jazz dans la lettre devrait revenir à Cecil Taylor. Les nombreux sursauts, accents, accélérations, flottements qui surprennent tout autant que le langage révolutionnaire des deux souffleurs, Ornette et son alter-ego Don Cherry,  sont tout autant des parties intégrantes de l’arrangement dans la performance de la composition que du déroulement de l’improvisation. Si pas plus. Si on doit les comparer, on notera qu’un Coltrane compte plus sur le travail à travers l’improvisation et des structures harmoniques, aussi systématique qu’échevelée (Live at The Village Vanguard, Impressions), alors que la musique d’Ornette de ces années-là  est axée sur l’articulation d’une voix extrêmement originale sur la pulsation. Car outre l’aspect formel inhabituel, c’est surtout l’extrême personnalisation de sa voix instrumentale personnifiant le blues du Sud à lui tout seul qui frappe les esprits. On croit de suite entendre une voix familière alors qu’on le découvre. De nombreux auditeurs parmi les musiciens furent estomaqués (Gillespie, Max Roach) D’autres furent conquis de suite (John Lewis , Gunther Schuller, Sonny Rollins). Ornette Coleman est un héritier du be-bop qui indique une nouvelle direction musicale à une génération, par l’exemple : renouvellement des structures prédigérées, libération harmonique, espace laissé à la contrebasse, expression émotionnelle et un jeu de saxophone alto à nul autre pareil, libéré de la structure des accords sans doute le plus aisément reconnaissable parmi les souffleurs de son époque. Ses inflections sur toute la gamme font de lui le pionnier du jeu « microtonal » tant il fait fléchir les intervalles. Dès la première écoute, les musiciens qu’il inspire réalisent qu’il a laissé s’exprimer son instinct, son univers intérieur plus que la raison musicienne. Certains innovateurs se révèlent être des faiseurs. Mais la voix d’Ornette ne trompe personne : elle charrie un vécu irremplaçable il joue sa vie même. Il n’est pas en représentation. C’est la sincérité et l’intégrité artistique par excellence. Toute une génération suivra ses traces sans copier son style, contrairement aux suiveurs de Lester Young ou de Charlie Parker. Charlie Mingus ne leur avait-il pas dédié sa composition Gunslinging Bird  sous-titrée: "If Charlie Parker Were a Gunslinger, There'd Be a Whole Lot of Dead Copycats", dans cet album, Mingus Dynasty, où il évoquait l’arrivée d’Ornette Coleman dans les notes de pochette ? Il craignait que la musique d’Ornette soit piochée comme celle de Bird. Mais l’histoire nous fit découvrir Archie Shepp, Marion Brown, John Tchicaï, Steve Lacy, Roscoe Mitchell qui créèrent un univers personnel bien distinct de la verve colemanienne.  Rien que de l’entendre, ces jeunes musiciens cherchent encore à aller plus loin. La transhumance de Don Cherry en Europe, avec Sonny Rollins, Henry Grimes et Billy Higgins, Archie Shepp, John Tchicaï, Don Moore et J.C. Moses, Gato Barbieri, JF Jenny Clark et Aldo Romano, George Russell vont aider à propager la bonne nouvelle faisant naître des conversions irrévocables. Mais c’est une autre histoire.
The Shape of Jazz To Come : This is Our Music : Free-Jazz : Ornette ! : The Art of  Improvisors !!





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