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Peter K Frey & Daniel Studer Zurich Concerts (Butcher Demierre Hemingway Koch Mayas etc..) - David Toop 's Into the Maelstrom - Beyond Jazz Plink Plonk and Scratch

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Zurich Concerts  15 years of Kontrabass Duo Studer-Frey : Peter K Frey and Daniel Studer with John Butcher Jacques Demierre Gerry Hemingway Harald Kimmig Hans Koch Magda Mayas Giancarlo Schiaffini Jan Schlegel Michel Seigner Christian Weber Alfred Zimmerlin. Leo Records CD LR750/751

Voilà bien un double album insigne du courant de l’improvisation libre en Europe ! Deux contrebassistes suisses créent un duo (cfr le superbe album Zwei/ Unit Records) qui devient, comme on le voit ici, un projet de rencontres avec des musiciens avec qui ils ont travaillé. Deux générations : Peter K Frey est né en 1941 et Daniel Studer en 1961.  Le premier, PKF, fait partie des pionniers de la free music : on se souvient, il y a bien 40 ans, du radiateur en fonte de la pochette du trio Voerkel Frey Lovens (FMP 0340). Daniel Studer –DS - est au départ un musicien de formation classique passionné par l’impro et il a vécu une quinzaine d’années en Italie et jouer dans la scène locale avant de retourner à Zürich où il enseigne la musique. Multigénérationnel donc, collectif et original : ce n’est pas vraiment courant qu’un duo de contrebasses convient des improvisateurs de tous bords à jouer en trio, quartet, quintet et septet en concert et dans un projet phonographique. C’est une autre topographie sonore, spatiale, ludique que de jouer avec une seule contrebasse. Aussi, les autres musiciens sont invités pour des bonnes raisons d’avoir travaillé auparavant en profondeur avec chacun des deux contrebassistes et certaines relations sont très anciennes comme le violoncelliste Alfred Zimmerlin et le guitariste Michel Seigner qui formaient le trio Karl Ein Karl avec Peter K Frey dans les années 80.  Le clarinettiste Hans Koch et le pianiste Jacques Demierre sont des incontournables superlatifs de la scène suisse. J’apprécie personnellement la démarche radicale de Demierre avec la carcasse du piano et les cordages. La pianiste Magda Mayas, qui n’a rien à lui envier, personnifie la nouvelle génération qui rafraîchit la pratique improvisée et le tromboniste italien Giancarlo Schiaffini, celle des pionniers de la première heure. GS et DS ont d’ailleurs collaboré durant la période romaine du contrebassiste. Qui de mieux recommandé que John Butcher pour le saxophone ou Gerry Hemingwayaux percussions ? Le violoniste Harald Kimmig et Alfred Zimmerlin jouent souvent en trio avec DS et les deux contrebassistes ont invité un autre pilier helvétique de la contrebasse, Christian Weber et le bassiste électrique Jan Schlegel pour former un curieux quartet de contrebasses. Cinq pièces au personnel composite sur le CD 1 et trois morceaux en trios sur le CD2, respectivement avec Hemingway, Butcher et  Jacques Demierre. Ils sont intitulés avec les initiales des participants « à la Company 1977 » . Pour initier la face 1, cela donne : + HKGS1 = Frey/Studer/Koch/Schiaffini n°1, soit deux contrebasses clarinette basse et trombone . Majestueux ! C’est tellement bon qu’on publie un deuxième morceau,  +HKGS2 pour dix autres excellentes minutes. Cette première face contient aussi le trio écartelé avec Magda Mayas , +MM, le quartet de contrebasses + basse électrique pour 23 minutes intenses et mystérieuses et se termine par un merveilleux ensemble de cordes avec Hans Koch comme souffleur. Son timbre s’immisce subrepticement entre pizz, frottements et col legno  du monstrueux et élégant : + JDHKHKMSAZ. On y trouve donc les cordes du piano de Demierre, le violon de Harald Kimmig, le violoncelle de Zimmerlin, la guitare de Seigner et les deux contrebasses de PF et DS. Cà a l’air d’être un peu labyrinthe tout comme la programmation des deux cd’s, mais il suffit de se laisser entraîner par les deux contrebasses et leurs acolytes pour voyager. J’aime particulièrement ce double album parce qu’il reflète tout ce que j’apprécie dans la pratique de l’improvisation sur scène du point de vue de la musique qui est produite et que j’écoute et dans la façon dont les associations de musiciens et d’instruments sont mises en place. Synergie, complicité, recherche dans l’absolu et vers l’inconnu, écoute mutuelle, musique éphémère, sensations volatiles, moments inoubliables ou enfouis dans la mémoire. Gerry Hemingway laisse le temps et l’espace aux deux contrebassistes pour développer leur univers en commentant avec beaucoup d’à-propos le flux des actions, des timbres et des lignes qui se lient = + GH. Un tandem de contrebasses qui explore le ventre résonnant a quelque chose  d’absolu dans l’imaginaire de l’improvisation, car au départ cela semble moins étincelant qu’un saxophone exalté ou un piano dans les mains d’un virtuose. C’est une gageure et on y trouve une poésie à nulle autre pareille. Les trois plongent dans les tréfonds des échanges pour essayer de ramener des perles. On pense aux plongeurs grecs qui ramènent quelques éponges après de nombreux efforts sous un soleil brûlant ! Notre tandem aime prendre le temps de faire résonner les notes et de transformer le son et a une personnalité particulière quant à l’alchimie des sons. Dans l’esprit du meilleur chez Barre Phillips, Peter Kowald, Uli Phillip, John Edwards. En plus, on a très souvent l’impression qu’il n’y a qu’un seul musicien tant leur jeu est coordonné. Et Hemingway et Butcher ont l’intelligence de la situation. Dans : + JB qui dure une demi heure, les volutes du saxophone de Butcher et les froissements de sa colonne d’air sont complètement imbriqués dans les traits tirés par DS et PF. Il offre ce qu’il y a de mieux à jouer avec deux archets et s’abandonne dans un bourdonnement lorsque les doigts et les archets font vibrer les gros violons au plus profond de leur intimité ou la pointe de son soprano sursaute ici et là sue la pointe des pieds. On trouve une réelle qualité de dialogue, même si la musique « n’explose pas » comme chez Mats, Brötz et consorts. C’est avant tout le processus de recherche et de recalibrage permanent des intensités et des intentions qui est à l’œuvre ici. Dans le CD 1 se trouve une dimension où, pour schématiser, les contrebassistes servent leurs invités et, dans le CD2, les solistes invités mettent en valeur le duo de contrebasses. Le bref final de six minutes avec Jacques Demierre est un marqueur : + JD… Le pianiste piquette le jeu de cordes par-dessus l’affairement des cordistes puis silence abrupt par surprise juste avant la dernière minute, silence d ‘où émergent comme dans un songe des sons presque muets, fugaces, une vibration de la corde meurt. Il y a beaucoup de choses à méditer, à découvrir, à rêver dans ces faces. La musique naturelle est avant tout une affaire d’écoute et de réceptivité totale. C’est magnifique lorsque deux improvisateurs se confient au travers du même instrument dont ils connaissent intimement les moindres vibrations. Un rêve quand l’utopie est communiquée à onze autres collègues et amis ! Je vote donc dix sur dix. Leo Records marque ici une vraie pierre blanche en ouvrant son immense catalogue à cette superbe production avec l’aide de Pro Helvetia. Je m’excuse auprès de Leo Feigin de n’avoir pas chroniqué Zurich Concerts immédiatement. Mais il s’agit d’un projet à plusieurs dimensions, composite, propre à la réflexion et qui nécessite un long moment de réceptivité pour son écoute et sa digestion. 

David Toop Into  the Maëlstrom : Music, Improvisation and the Dream of FreedomBefore 1970 Bloomsbury.
Voici un excellent essai / étude qui remonte aux racines / origines de la musique improvisée radicale principalement britannique. Avec le livre de Derek Bailey, Improvisation Its Nature and Practice in Music, et les opus d’Eddie Prévost, sans doute, un document indispensable pour qui n’a pu se plonger dans l’effervescence créatrice de cette scène en Grande- Bretagne à Londres ou ailleurs à l’époque. Si David Toop avance quelques thèses qu’il faut cerner précautionneusement en se documentant par l’écoute d’enregistrements ou, éventuellement, en rencontrant des témoins actifs de cette période, son travail rend justice aux musiciens qui ont contribué. Au menu, des témoignages de première main, des souvenirs précis de David Toop lui-même, lorsqu’il raconte son premier concert d’AMM ou le Little Theatre Club ou ceux de Fred Frith à propos du festival de Cambridge 69 lorsque John Lennon et Yoko Ono furent interrompus par John Stevens, John Tchicaï et Trevor Watts. Mais aussi de musiciens d’aujourd’hui comme Jennifer Allum, Adam Linson, Marjolaine Charbin, nés après 1970. L’étendue des références qu’elles soient historiques, musicales, sociologiques et culturelles et leur validité dans le contexte de sa recherche sont vraiment impressionnantes. Kurt Schwitters, John Cage, Percy Grainger, Lennie Tristano, Ornette Coleman, Albert Ayler, Joe Harriott, Alan Davie, le Spontaneous Music Ensemble, John Stevens, Trevor Watts, Lindsey Kemp, AMM , Eddie Prévost, Lou Gare, Keith Rowe, Cornelius Cardew, Terry Day et le People Band, le Little Theatre Club, Evan Parker, Derek Bailey, Gavin Bryars, Nuova Consonanza, Musica Elettronica Viva, mais aussi Cream et Ginger Baker ou Erroll Garner etc… sont inclus dans le parcours en évoquant leur contexte esthétique et historique avec un souci du détail et une fine analyse qui évitent le jargon académique ou l’à peu près mécaniste de la majorité des journalistes. Les sujets abordés s’emboîtent dans le fil de sa pensée avec un réel à propos. Aussi, j’ajoute que pour ceux qui méconnaîtraient la personnalité de DT, il a été très actif dans cette scène londonienne dès la fin des années soixante et a participé intensivement à la vie des lieux et collectifs séminaux comme le Little Theatre Club et le LMC. Evan Parker, musicien impliqué journellement à 200% dans cette mouvance depuis 1965, il y a tellement dans ce texte que cela sera « du nouveau » même pour ceux parmi nous qui pensaient connaître le sujet. David Toop essaye avec succès d’aller au cœur des choses, des événements, des relations entre musiciens et événements, cernant personnalités, lieux, contenu esthétique et pratiques musicales avec lucidité dans le contexte des swinging sixties et de l’évolution des arts du XXème siècle. Il donne ainsi la parole à quantités d’artistes en sélectionnant leurs écrits ou leurs interviews et par le truchement de ses réflexions. Une recherche ouverte où chacun peut connecter sa propre expérience. Son extraordinaire expérience d’artiste, de supporter de la scène, d’écouteur de musiques et de découvreur à l’affut des tendances de fond et son talent de journaliste/ écrivain  transcendent ce livre passionnant, sincère et vécu. Indispensable. Nécessite une lecture intense pour un francophone. Je n’ai pas envie d’épiloguer et de commenter plus avant, car ce chef d’œuvre mérite une lecture approfondie et une longue méditation avant de pouvoir disserter à son sujet.


Trevor Barre Beyond Jazz: Plink, Plonk and Scratch the Golden Age of Free-Music in London 1966 72
J’ai survolé ce bouquin écrit par un fan, Trevor Barre, qui avait écouté intensivement de nombreux concerts de musique improvisée libre au début des années 70’s et épisodiquement par la suite jusqu’à ce qu’il raccroche ces quinze dernières années. Des chapitres sont dédiés au Spontaneous Music Ensemble, à AMM, à John Stevens, Evan Parker, Derek Bailey, Barry Guy, Paul Rutherford, Tony Oxley, Paul Lytton, Terry Day etc…. C’est bien documenté avec des références aux enregistrements historiques parus sur Island (Karyobin du SME),CBS et Rca Neon (Tony Oxley et Howard Riley), Incus Records(Bailey, Parker-Lytton, Iskra 1903) etc. C’est un excellent point de départ pour quiconque essaie de s’informer et Trevor Barre a une connaissance amoureuse de cette musique. Là où le bât blesse, c’est d’abord l’influence de la critique rock et des discographies de la rock scene où on analyse la musique d’un groupe en fonction des disques commerciaux parus. Par exemple : le titre de Super Groupes d’un chapitre sous lequel est rangé le trio  Iskra 1903 (Barry Guy, Derek Bailey, Paul Rutherford) en référence au groupe Cream(Clapton, Jack Bruce, Ginger Baker). Il y a donc dans ce livre des allusions à la scène du rock et c’est vrai que Terry Day, John Stevens et Keith Rowe étaient des étudiants des Beaux-Arts devenus musiciens, tout comme Pete Townshend des Who et beaucoup d'autres. Veut-on rendre l’œuvre lisible pour ceux qui sont imbibés de culture rock et ne savent plus s’en défaire ?  Mais, finalement, je trouve que de telles considérations desservent ce projet d’écriture dédié à une musique aussi marginale. J’apprécie moi-même beaucoup les Who et leur batteur Keith Moon, et tant qu’à faire, il aurait fallu souligner le lien pas si ténu que cela entre le jeu de Moon et la pratique et la réflexion de percussionnistes improvisateurs libres. En effet, Paul Lytton et Roger Turner (percussionniste actif dès 1966/67 avec le saxophoniste Chris Briscoe à Brighton) n‘hésitent pas à parler de son influence en raison de la conception personnelle et novatrice de son jeu. C’est d’ailleurs ce genre de choses qui intéresserait les lecteurs. En traitant des musiciens phares en tenant compte des quelques disques qui sont parus entre 1966 et 1972 : Bailey, Parker, Guy, Rutherford, Oxley, AMM etc, il omet une chanteuse incontournable dans la scène « Little Theatre Club » dès 1968 et qui s’est produit régulièrement au sein du Spontaneous Music Ensembleen 68 et 69. Elle chanta avec Stevens et Watts au premier Total Music Meeting en novembre 1968 à Berlin : Maggie Nicols, une des artistes les plus influentes au sein de la communauté londonienne. Son nom est cité dans le texte mais on ne lui consacre pas un seul paragraphe sous prétexte qu'elle n'a pas enregistré avant 1972. Or on l’entend dans Oliv, le troisième album du SME enregistré en 1969, et sa performance est plus que remarquable (cfr réédition Emanem). Pourquoi cette omission vis-à-vis d’une artiste incontournable dont l’art éminemment personnel est particulièrement difficile à imiter (utilisation d’intervalles sériels avec un naturel confondant) ?  On peut dire la même chose de Julie Tippetts qui chantait avec le SME en 1971 (Birds of a Feather /BYG). J’ai écrit à Trevor Barre pour le lui signaler en le félicitant pour ses efforts, mais il m’a informé que le chapitre Maggie Nicols surviendrait dans le volume suivant, consacré à la période 1972 – 78 (?). Je pense que cela revient à de la discrimination pour une artiste qui a investi énormément sa vie durant, entre autres en animant des ateliers suivis par des dizaines de musiciens. Ce référencement relatif aux disques parus tombe très mal : par exemple le nom de Radu Malfatti est évoqué comme un artiste «récent» (années 90 ?). Or, on trouve sa trace dans les albums Balance /Incus 11 (une année trop tard !) et Ramifications/Ogun, tous deux enregistrés en 1973 avec le «gratin» : Wachsmann, Harry Miller, Paul Lovens, Irene Schweizer et Rudiger Carl.  En parcourant la discographie d’Incus, cela aurait sauté aux yeux de suite. Malfatti a joué avec Stevens (dès 1971) ainsi qu’avec Parker, Lytton, Harry Miller et Chris Mc Gregor à Londres à cette époque et il y a séjourné longtemps. D’ailleurs les archives de FMP /Jost Gebers indique qu’en novembre 1972 (un mois avant la dead-line fatidique !), Radu Malfatti se produit en trio avec Evan Parker et Paul Lytton au légendaire Total Music Meetingà Berlin. Il s’agit là non pas d’une jam (mot cher aux seuls contempteurs du rock) mais d’un travail professionnel dans un lieu et un événement parmi les plus importants de la scène de l’époque avec un des deux ou trois duos les plus essentiels de cette musique. Cela fait de Malfatti un incontournable et cela compte tout autant qu’un disque ou alors à quoi cela sert de jouer de la musique en public devant des centaines de personnes qui se déplacent et découvrent ?? En ne considérant que les artistes publiés et encensés, on adopte une attitude typiquement bourgeoise et capitaliste : on ne prête qu'aux riches. Or on sait qu'un bon nombre de musiciens uniques et de très haut niveau ont travaillé intensément sans avoir enregistré durant des années, voir deux décennies : on pense au violoniste Malcolm Goldstein. 
En fait, si on veut couvrir la période 66-72, il est indispensable de citer la majorité des artistes impliqués dès cette période en tenant compte de leur contribution par la suite. Par exemple, un créateur comme Phil Wachsmann est actif dans l’improvisation libre dès 1969 et il a le même âge qu’Evan Parker. On peut citer ainsi, outre Wachsmann et Malfatti, Larry Stabbins, Marcio Mattos (arrivé à Londres en 1969 et engagé par Stevens dès son arrivée, cfr l’album du SME The Source / Tangent 1970), David Toop, Frank Perry, Ian Brighton, Gerry Gold, Colin Wood, John Russell, Veryan Weston (arrivé au LTC en 1969), Harry Miller (son duo avec Malfatti est exemplaire : Bracknell Breakdown/ Ogun), en décrivant succinctement leur activité, même s’ils sont encore jeunes. Par exemple, il n’aurait pas été inutile de préciser que Wachsmann jouait des pièces de musique contemporaine alternative où il y avait une place relativement importante pour improviser. C’est en 1969 qu’il fit le saut vers l’improvisation totale, car il était devenu évident pour lui que les indications de la partition étaient devenues superflues. Son témoignage est indispensable, car une des sources de l’improvisation libre britannique se trouve dans la pratique de la musique composée contemporaine sérielle et post sérielle. Exemples : Stockhausen faisait improviser ses musiciens en 1969 (Aus Den Sieben Tagen) et Cornelius Cardew et Hugh Davies ont été ses assistants, Bailey a transcrit du Webern pour la guitare et écrit et interprété ses propres pièces écrites et les membres de MEV sont des transfuges de l'univers des Conservatoires. Je schématise un peu fort car ce sujet nécessite une étude. Il y a beaucoup à dire sur cette transition en contemporain d'avant-garde vers l'improvisation libre, ses motivations et ses conséquences. 
Je reviens au critère du disque paru et des classements qui en découle. C’était à l’époque tellement difficile de produire un enregistrement et de pouvoir le distribuer que c’est quasi de la discrimination vis-à-vis d’artistes (aujourd’hui reconnus) qui se sont engagés à jouer cette musique et surtout à en gérer sa pratique (lieux, concerts, répétitions etc), de les considérer uniquement sur la base d’un disque paru alors qu'ils s'étaient démenés pour s'exprimer. Cet artifact est souvent le sommet de l’iceberg et  certains albums légendaires sont des créations de studio : leur personnel n’a (quasi) jamais joué sur scène. Par exemple, Karyobin et So What Do You Think We Are du SME qui réunit Stevens, Wheeler, Bailey, David Holland avec Evan Parker pour Karyobin et Trevor Watts mais pour So What. Ou Topography of the Lungs (Bailey Bennink Parker). Quant au fameux octet de Brötzmann (Machine Gun), c'est un assemblage international réuni pour les festivals où il y avait de quoi payer les musiciens : ils se sont peut être réunis une dizaine de fois en trois ou quatre ans. Or le SME ou Derek Bailey et ses acolytes jouaient plusieurs fois par semaine au LTC et dans un tas d'autres lieux. C'est cette activité régulière qui contribue au développement de cette musique et pas quelques enregistrements qui ne seront pas distribués : on trouva très vite des centaines de copies Karyobin et Ichnos d'Oxley en solde pour une livre chez Woolworth.  Tout ça pour dire que  la musique est un art éphémère qui s’envole pour l’éternité une fois jouée (cfr les mots célèbres de Dolphy) et l’improvisation libre en est la meilleure expression. Alors les disques parus sont essentiellement des marqueurs, des références. Disparus, l’atmosphère du lieu, les corps , l’allure des musiciens, les incartades de John Stevens et les folies de Jamie Muir. On aurait dû d’ailleurs consacrer un paragraphe important au percussionniste Jamie Muir, compagnon improbable de Bailey, Parker et Hugh Davies dans Music Improvisation Company (M.I.C. ECM 1005 1970). Il fut l’un des collaborateurs préférés de Derek Bailey dès 1968 et sa pratique et sa personnalité ont eu une influence sur l’attitude sur scène de Bailey et de plusieurs autres musiciens, y compris Han Bennink, lequel a assisté fréquemment aux concerts hallucinants du People Bandà Amsterdam, non sans conséquences sur son comportement scénique. Muir a disparu par la suite après une année chez King Crimson et revint jouer avec Bailey en 1980/82. On peut d’ailleurs voir sur youtube un concert de King Crimson à Bruxelles en 1973, cela vous fera une idée du personnage ! Cette omission est un peu dommage, car Trevor Barre se répète presque d’un chapitre à l’autre en suivant une structure rigide. Il aurait pu faire aisément de la place pour rendre son panorama plus réaliste et vivant en ajoutant ces artistes,  qu’ils aient enregistré ou non. Je suis désolé de faire de telles remarques, car notre auteur s’est démené et est bien méritant : ce livre a un réel intérêt du point de vue des références. Mais il n’est pas à la hauteur du sujet, très complexe et dont les débuts sont mal documentés et reposent principalement sur des souvenirs personnels et des archives telles la discographie /sessionographie de John Stevens qui figure dans le site de Peter Stubley. Pour retracer cette aventure, il est nécessaire de questionner ses participants : ils se prêtent volontiers au jeu de questions réponses et aiment raconter leurs histoires. En les regroupant et en les confrontant, une fresque humaine se détache. Il ne suffit pas d'aimer cette musique, avoir été témoin dans le passé, venir écouter des concerts et posséder une collection de disques pour pouvoir rendre compte valablement du processus créatif. Il y a lieu de se livrer à un travail de recherche à l'écoute de l'expérience humaine des protagonistes qu'ils soient notoires (Evan Parker, Trevor Watts, Eddie Prévost) ou peu connus (Richard Leigh, Robin Musgrove le "chauffeur de John Stevens"). Si déjà un auteur "non musicien" a une expérience d'organisateur de concerts, même des gigs aux entrées ou de prise de sons, cette activité le confronte à l'opinion des artistes, à leurs réflexions et leur desiderata. Ces échanges de vue sont indispensables pour se créer un jugement valable. Si les compliments de Barry Guy figurent sur la couverture, le contenu de ce livre ne fait pas l’unanimité chez les acteurs de premier plan qui ont vécu cette époque. Les valeurs essentielles de cette musique me semblent quelque peu occultées. A consulter, bien entendu,  pour ceux qui sont peu au fait de la genèse et de l'évolution de cette musique car Beyond Jazz: Plink, Plonk and Scratchrassemble des informations qu’il serait malaisé de retrouver facilement même en cherchant dans le web. Mais pour un praticien qui est bien informé etc... ce livre n'apporte pas vraiment une dimension supplémentaire.  NB : J’ai perdu mon exemplaire !



They Begin To Speak : Linda Sharrock Mario Rechtern / Blazing Flame : Steve Day Julie Tippetts Keith Tippett / Leos Janacek untuned by Alvin Curran & Gordon Monahan / Spiderwebs of Sandy Ewen Tom Carter & Ryan Edwards

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They begin to speakLinda Sharrock Network Linda Sharrock, Mario Rechtern with : CD1 France : Itaru Oki Eric Zinman Makoto Sato Yoram Rosilio Claude Parle Cyprien Busolini. CD2 UK : Derek Saw John Jasnoch Charlie Collins Improvising beings ib46

L’irréductible label Improvising beings présente le plus large éventail qu’il est possible dans les musiques improvisées, que ses musiciens soient très jeunes ou vieux et cela sans concession ni considération de "ligne éditoriale" quant au style. Quel autre producteur aurait donné sa chance à François Tusquès, Alan Silva, Itaru Oki, Burton Greene, Giuseppi Loganou le bassiste électrique milanais Roberto Del Piano ou encore publié un projet loufdingue de 8 cd’s avec Sonny Simmons et des zèbres comme Anton Mobin, aka _bondage, Michel Kristof et lui-même (leaving knowledge, wisdom and brilliance / chasing the bird) ?? Non content de publier un compact  de Tusquès, ce n’est pas moins de six albums que Julien Palomo, le responsable d’IB, a consacrés au pianiste vétéran, montrant ainsi l’étendue de sa palette. Il lui faut un culot extraordinaire vu les conditions actuelles (vente de cd’s en berne), car malgré une carrière bien remplie et son implication totale dans l’avènement du free-jazz en France (il fut le compagnon de la première heure des Jenny Clark, Portal, Romano, Thollot, Barney Wilen, Beb Guérin, Vitet, Jeanneau, Don Cherry et de tous les combats), François Tusquès ne jouait quasi nulle part et n’intéressait plus un seul organisateur ou journaliste. Pour un tel label, c’est presque suicidaire. Palomo etImprovising Beingspréfèrent s’intéresser à des artistes négligés par les médias jazz/improvisés ou des inconnus comme Jean-Luc Petit, Henry Herteman, Hugues Vincent, que  de mettre son énergie dans des artistes omniprésents dans les festivals et une kyrielle de labels (Brötzmann, Gustafsson, Léandre etc..). Bref, Julien Palomo a la foi qui soulève les montagnes, et si cette musique improvisée se vit comme une utopie, on peut dire qu’Improvising Beings est bien le label utopiste par excellence. Pour preuve, ce double cd de la chanteuse Linda Sharrock, autrefois diva de la scène avec Sonny Sharrock, puis avec Wolfgang Puschnig et Eric Watson. Malheureusement  pour elle, elle fut victime d’une attaque cérébrale et en resta aphasique, perdant l’usage de la parole et de la motricité. Son compère saxophoniste Wolfgang Puschnig, avec qui elle fit les beaux jours des festivals durant deux décennies, continua son chemin et c’est avec un autre saxophoniste, Mario Rechtern qu’on la retrouve, celui-ci l’assistant dans sa vie de tous les jours et dans sa volonté inébranlable de continuer à s’exprimer à travers sa musique.  On se souvient des vocalises démentielles de Linda Sharrockdans les albums légendaires de Sonny Sharrock (Monkey Pookie Boo / Byg et Black Woman / Vortex avec Milford Graves). La voilà qui remet çà avec des despérados comme Mario Rechtern au sax alto et baryton, le pianiste Eric Zinman, le trompettiste Itaru Oki, le batteur Makoto Sato et le bassiste Yoram Rosilio.Improvising beings avait déjà publié  no is no (don't fuck around with your women)/ ib-30 et un 45 tours en édition limitée : don’t fuck around with your women / ib30ltd avec les précités. Bien que son registre et ses moyens vocaux sont restreints par son handicap et son articulation est devenue quasi inexistante, Linda Sharrock a conservé toute sa lucidité et mène un combat contre le sort pour crier sa rage de vivre. Avec sa voix, son regard et sa présence, elle conduit son orchestre depuis son fauteuil roulant, le son de sa voix chaude et hantée agissant comme la baguette d’un conductor, un peu comme le faisaient Alan Silva ou Butch Morris pour diriger des orchestres d’improvisateurs. Le premier cédé (They Begin to Speak studiocontient un enregistrement studio réalisé en mai 2015  avec Rechtern, Oki, Zinman, Sato, Yoram Rosilio auxquels se sont ajoutés l’accordéoniste Claude Parle et le violoniste Cyprien Busolini dans trois improvisations intitulées par leur durée (20 : 24 / 20 : 27 / 12 : 58). Le deuxième cd (They Begin to Speak live) propose aussi trois improvisations, celles-ci enregistrées en concert à Sheffield (22 : 54 / 12 : 33 / 16 :19), réunissant Sharrock, Rechtern, le trompettiste Derek Saw, le guitariste John Jasnoch et le percussionniste Charlie Collins, des allumés de la très active scène improvisée du Yorkshire. En studio (Studio Septième Ciel à Issy les Moulineaux), l’affaire est chargée, compacte, intense, les huit musiciens remplissant le spectre sonore : voix, trompette, sax, violon, accordéon piano, contrebasse et batterie. Le quintet avec les musiciens anglais est plus aéré, fluide, mais néanmoins tout aussi décoiffant comme dans le final des 12 :33 sous les coups de boutoir du baryton de Rechtern. L’introduction des 16 : 19 semble irrésolue, mais on remet ses esprits en place pour clouer un sort à la raison des fades à la fin du concert. Je pense que c’est plus réussi que le disque précédent, le projet et la pratique de Linda Sharrock , Rechtern et cie ayant eu le temps de mûrir. Ces enregistrements sont le marqueur de l’irrépressible révolte qui sourd toujours, presque cinquante ans après mai 68, dans une réalité quotidienne de plus en plus inquiétante : les attentats à Paris, Bruxelles et Istanbul, les centaines de milliers de réfugiés, la précarité galopante, la Loi-Travail et Nuit Debout, le FN, le glyphosate toujours prolongé, Donald Trump, Daech, Al Qaida, Boko Haram, la fusillade à Orlando, le racisme, la Crimée, le Somalie, Fukushima, l’UE et le Brexit, des dirigeants irresponsables, les fermetures d’entreprises, l’environnement, le réchauffement climatique et la fonte de la banquise, le fracking et les incendies de Fort Mc Murray, l’arrogance des hyper riches, les paradis fiscaux, les guerres interminables. On a reproché au free-jazz de crier et de gueuler au lieu de faire de la musique, mais il semble qu’aujourd‘hui personne ne contredira que, tout comme l’utopie, mais aussi l’écoute, la confiance, la générosité, etc…, c’est devenu une nécessité.

Murmuration : Blazing Flame Steve Day Julie Tippetts Keith Tippett Aaron Standon Peter Evans Julian Dale Anton Henley Bill Bartlett Leo Records LR 756
Blazing Flame est le projet poétique et musical de Steve Day en bonne compagnie : les deux Tippett(s) excusez du peu surtout qu’on ne les entend guère au fil des années. Peter Evans, un bon violoniste est seulement l’homonyme du trompettiste américain qui défie la chronique. Mais le propos n’est pas là : Blazing Flame est un projet colelctif au service des excellent poèmes de Steve Day qui les chante parle avec une belle assurance. Il n’est peut être pas un « vrai » chanteur et sa voix est inspirée par celle des chanteurs rock  british plutôt que par ceux du jazz ou du contemporain. Julie Tippetts intervient et quand sa voix se laisse aller, on est au paradis. Comme il se doit dans la scène britannique, ces musiciens se plient complètement pour servir le texte et les idées de Steve Day, car chez eux (les free improvisers British), le fair-play egoless, la modestie et l’absence d’idées toutes faites sont de mise sans qu’il soit besoin de s’expliquer. Le saxophoniste alto Aaron Standon, le bassiste Julian Dale et le batteur Anton Henley assurent et Julie et Keith s’insèrent avec goût et originalité sans se mettre en avant. Les poèmes sont heureusement imprimés dans le livret de pochette ce qui me permet d’en apprécier la richesse, la simplicité naturelle, la dimension humaine. Le message passe et on a passé un beau moment avec des paroles, le chant de Julie, les sons et les rythmes, l’effervescence des moments forts et les vibrations de chaque assemblage d’instruments. Steve Day joue aussi des percussions. J’ai toujours trouvé que comme critique, il manquait un tant soit peu de substance mais comme artiste, il a un cœur gros comme çà.  Un bon projet

Alvin Curran / Gordon Monahan For Leos’s Piano Hermes’ear HE CD 014

Produit par le Pr Jozef Cseres, chercheur en esthétique, cet album en hommage au (piano du) compositeur tchèque Leos Janáček a été enregistré dans la maison du compositeur à Brno, aujourd’hui le Leos Janáček Memorial, avec des œuvres d’Alvin Curran pour piano et électronique et des « altérations » d’œuvres de Leos Janáček et Henry Cowell par Gordon Monahan pour  PianoDigital Performer Software  et « Native Instruments Akoustik Piano Software », toutes réalisées par les deux compositeurs in vivo. Les cinq pièces d’Alvin Curran, jouées sur le piano de Janáček, ont une durée de 5 à 11 minutes et alternent dans l’ordre du CD avec neuf morceaux de Gordon Monahan de durée plus courte (entre 36 secondes et trois minutes). Ces performances ont comme toile de fond la maison du compositeur, l’installation aérienne de Monahan avec des cordes de piano tendues sur le cadre de deux pianos installés au jardin et la rencontre, il y a nonante ans, entre Janáček et Henry Cowellà Brno. Le contexte de cette rencontre est réactualisé dans les performances de Curran et Monahan grâce aux recherches de Jozef Cseres et de Jirí Zahrádka sur les circonstances précises où celle-ci eut lieu. Pour qui connaît le pianiste et compositeurs expérimental Alvin Curran, on ne se trompera pas en affirmant qu’il est un des vrais héritiers d’Henry Cowell tant pour les formes de sa musique que par l’esprit de sa démarche. Les pièces jouées par le compositeur sur le piano non accordé de Janáček  ont été ensuite mixées et transformées électroniquement par lui-même et son assistant Angelo Maria Farro. Quant à Gordon Monahan, il a sélectionné des extraits d’œuvres de Cowell et Janáček exécutées par Curran et les a ensuite éditées et altérées avec le Digital Performer Software (piano électronique, somme toute) dont les sons activent douze cordes de piano tendues entre le sommet de la maison de Janáčeket deux pianos droits placés dans le jardin, six pour chaque piano. Le public installé autour de ces deux pianos entend la vibration des cordes de ces pianos amplifiant les sons transmis par les cordes de l’installation, mais aussi en réaction au vent qui se lève. Tout ceci et plus encore est minutieusement détaillé et commenté par les artistes eux-mêmes dans les notes de pochette. L’interprétation de la démarche est magistralement synthétisée en deux pages par Jozef Cseres, un des personnalités les plus lucides de l’art transmédia d’aujourdhui, sous le titre : Janáček Revisited Recomposed and Retuned. Ce texte brillant complète admirablement les enregistrements et donne son sens à la démarche de ce double projet. C’est d’ailleurs Cseres qui a commissionné Curran et Monahan pour ce projet. Ce qui est certain pour moi, c’est que le processus créatif de ce projet complexe aurait pu être décrit ultra-minutieusement et le mieux du monde par Raymond Roussel, l’écrivain le plus curieux de l’époque de Cowell et Janáček.  Toujours est-il que les sons produits par le vent et l’installation semblent être entendues réalistement durant la pièce de Curran The Works, à moins qu’il s’agisse d’électronique insérée par Curran lors du mixage ultérieur. En résumé, dans la vénérable demeure du compositeur Janáček et avec son piano en l’état, soit non accordé, deux musiciens / artistes sonores contemporains, qui ont eux mêmes une histoire, réactualise et transforme le son et la pratique du piano à travers l’œuvre de compositeurs du passé avec des moyens électroniques contemporains inconnus du vivant de ceux-ci, comme si des photos du passé se trouvaient altérées par photoshop sous les doigts experts d’un grand artiste. J’apprécie particulièrement le traitement du son du piano en ralentando de Curran dans Inner Cities et son exécution des pièces de Cowell, elles-mêmes transformées par Monahan. L’écoute de cet album à l’ambiance toute particulière nécessite un travail de l’auditeur pour pénétrer la démarche en s’aidant des notes de pochette et en faisant travailler son imaginaire. For Leos’s est vraiment remarquable et la musique se situe à la hauteur de l’imagination et de tout le mal que ce sont donnés les protagonistes pour le réaliser.
NB : Je ne suis pas parvenu à trouver sur mon clavier la lettre s de Leossurmontée d’un accent en forme de v qui en fait une consonne différente. Donc ce n’est pas une faute de ma part, mais plutôt une contingence technique.

Spiderwebsin between the known and the unknownChiastic Society >x< 04 / Coincident Sound CS005 /  Wholly Other WO17

Coproduit par trois micro-labels et réunissant les guitaristes Tom Carter, Sandy Ewen et Ryan Edwards  en concert à Houston, Texas le 11 mars 2013, in between the known and the unknown porte bien son titre. Dès le premier des trois morceaux en duo (entre 8 et 12 minutes) qui précèdent le main course de 33 minutes en trio, le ton est donné : Carter et Edwards font chanter une électricité saturée et vocalisée avec des notes tenues en créant un arc d’intensités statiques et en réitérant un motif autour de deux notes de la gamme (Inform the athmosphere). We were isolated musically  d’Ewen et Edwards nous fait entendre deux manipulations parallèles des mécanismes et effets sonores de la guitare avec force de micro-détails et un excellente lisibilité. L’action des doigts et des mains tout azimut sur les parties du manche, des micros et sous le chevalet entraîne un crescendo de l’utilisation des effets. Les guitares devenues objets semblent piétinées, les sons fractionnés, semi-aléatoires, fantômes, s’échappent en lambeaux du subconscient… Toute l’improvisation est menée avec une  vraie suite dans les idées et la séparation de chacun dans le champ sonore nous fait entendre qu’il s’agit d’un dialogue spontanément concerté. Les frottements des cordes et le trafic sonore électrogène de The Most Obvious Choice de Carter et Ewen  prolonge le développement du matériel de la deuxième plage vers des zones spacieuses et éthérées. Le son des guitares électriques traitées par de effets multiples atteint une réelle dimension organique. Le volume n’étant pas saturé, et l’attaque des cordes non violente, c’est l’écoute qui est happée dans le réseau des timbres et des notes tenues, suspendues dans un vol de nuages électriques jusqu’à ce que des dissonances et des frictions  dirigent les deux guitaristes vers un bouillonnement expressionniste. La très bonne qualité de l’enregistrement rend l’affaire lisible et les guitaristes se concentrent sur le déroulement de leurs efforts en construisant un univers sonore cohérent qui évoque souvent des voix humaines transformée en vagues, ressac moussu ou crêtes de lames vers l’infini. Un lyrisme immanent sous tend ces deux pièces où toute référence mélodique est écartée pour le chant d’une ou deux notes en en altérant graduellement la couleur. Dans le long final  A happy conjunctions of conditions and events, les trois guitaristes réunis conjuguent les qualités et les caractéristiques des duos précédents en implémentant encore plus de matériaux sonores dans des congruences inédites. Peu de staccatos fébriles et aucun excès décibélique :  il s’agit d’une version céleste du noise, lequel est à mon goût une veine trop souvent frelatée. Cette musique connaît une relative linéarité, mais celle-ci est transcendée  par la richesse sonore des trois guitares mêlées. A la dixième minute le calme revient et c’est une autre occurrence d’idées, de motifs et d’affects qui s’établit dans un silence de réflexion et d’écoute palpable. Une veine mélodique transparaît bientôt concurrencée par des vibrations inopinées. La qualité de leur écoute croît au fur et mesure que les glissandi deviennent subtils et subtilisent l’attention de l’auditeur et des musiciens. Ceux-ci font corps dans un décor de lueurs de galaxies et d’astéroïdes projetés dans la poussière sidérale.  J’arrête la description en vous jurant que cela vaut le détour même si le climax est un peu long avec le casque aux oreilles. Car cette musique est essentiellement live et doit être vécue comme une expérience cathartique. De tels apôtres du son vont assurément prendre les amateurs de rock aventureux par la main pour les emmener (irrémédiablement ?) vers d'autres cieux plus requérants.
Les amateurs informés connaissent / reconnaissent un certain de guitaristes comme chefs de file de la mouvance alternative / expérimentale / improvisée et ils peuvent inscrire d’ores et déjà Spiderwebscomme leur toile d’araignée préférée. Jimi Hendrix aurait adoré, tout  comme Randy California, John Cipollina et tous ces guitar-héros qui ne craignaient pas de plonger dans les abysses.

Dieci Ensemble d'Eugenio Sanna / Duck Baker / Chamber 4 Vicente Ceccaldi Dos Reis / Simon Nabatov & Gareth Lubbe / Mahall Hein Pultz Melbie Lillinger/ Marialuisa Capurso & J-M Foussat

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Dieci Ensemble   Eugenio Sanna Maurizio Costantini Cristina Abati  Edoardo Ricci  Guy Frank Pellerin Stefano Bartolini Marco Baldini Giuliano Tremea Stefano Bambini Andrea Di SaccoSetola di Maiale SM 3100

Voilà un très beau document réunissant dix musiciens improvisateurs italiens d’horizons divers sous la houlette du guitariste pisan Eugenio Sanna se livrant à l’improvisation libre sans concession. Alors qu’il y a clairement un retour vers le free-jazz free (sans composition, thème ni arrangement) de la part de nombre de praticiens à la demande d’organisateurs ou de labels spécialisés avec une préférence pour l’association instrumentale souffleurs basse batterie, les dix téméraires Dieci Ensemble pratique l’éclatement des formes, le rejet du convenu et des assemblages imprévisibles. Outre la guitare, on a droit à trois saxophonistes : soprano, ténor et baryton pour Pellerin et Bartolini et sopranino et alto pour Ricci, qu’on entend aussi aux clarinettes basse et soprano, un chanteur, Tremea, un sampleur, Di Sacco, une contrebasse, Costantini, une trompette, Baldini et une batterie, Bambini. Seule femme impliquée, Cristina Abati joue du violon alto et du violoncelle. Vu la rareté de ce type de document qui privilégie la recherche collective multi-directionnelle et le risque, plutôt que le formatage et la redondance, j’apprécie sincèrement l’effort. Qu’ils jouent à dix, à trois ou à six, chaque morceau a une identité sonore et une dynamique propre (pas moins de sept trios et trois Dieci). Il y a ainsi douze improvisations de quelques minutes (entre 1’48’’  et 6’47’’). L’intérêt de leur démarche est que leur recherche mène à des situations inusitées et des combinaisons d’instruments, de sonorités et d’actions improvisées qui fonctionnent, intriguent, fascinent . Une démonstration par la pratique des possibilités renouvelées (infinies) de cette méthode ludique et éperdue. Avec un vrai bonheur, cela respire l’écoute et un réel à propos. Des amalgames de sons imprévus et réussis, spontanés ou méticuleusement recherchés. On pense à Derek Bailey et à Company et il arrive que la guitare de Sanna évoque le guitariste disparu. Les connaisseurs de longue date  de cette musique « improvisée libre » (non idiomatique ?) branchés etc..diront que c’est pas « nouveau » et qu’on jouait ainsi , « en géométrie variable »,  il y a quarante ans (les premiers enregistrements de Company datent de 1976 et de 1977). Mais cette direction impromptue et volatile est finalement si peu sollicitée en public, surtout dans les festivals des organisateurs « responsables », que je ne vais pas me plaindre. Cet enregistrement fut réalisé lors d’un concert dans un bled de province et il est clair que ce concert fit œuvre utile pour convaincre et réjouir in vivo des auditeurs avides ou curieux qui n’ont pas « la chance » ( ?) de vivre à Londres, Berlin ou Paris. Il y a une immédiateté, un appétit de l’insatiable, un plaisir aussi intériorisé qu’effervescent. Bref, on réfléchit autant qu’on s’éclate et c’est bien le principal. Je suis sûr que Derek Bailey aurait bien apprécié cet Ensemble Dieci.   

Duck Baker Outside Emanem 5041
Avec des guitaristes  tels que Derek Bailey, John Russell, Roger Smith et Elliott Sharp  enregistrés en solo ou en formation au catalogue du label Emanem, rien d’étonnant que son responsable, Martin Davidson, vienne de publier des archives en solitaire du guitariste américain Duck Baker. Celui-ci s’était vu confier un album par John Zorn pour Tzadik avec les compositions du légendaire pianiste Herbie Nicols. Durant les seventies, il a gravé plusieurs albums pour Kicking Mule, le label du guitariste Stefan Grossman, lui-même fan n°1 et élève du génial Reverend Gary Davis, un des géants du blues acoustique et dont le picking à deux doigts n’a aucun équivalent. On retrouve la trace de Duck Baker dans l’album Eugene ChadbourneVolume Three(Parachute P-003 1977) en compagnie des guitaristes Randy Hutton et Eugene Chadbourne sur une face volatile et mémorable. Sur la deuxième face, un trio électrique de Chadbourne avec les guitaristes Henry Kaiser et Owen Maercks intitulé « We are Always Chasing Phantoms » lequel se référait à une nuit entière passée par les trois acolytes à retracer les exploits d’Han Bennink à travers deux douzaines de vinyle. C’était l’époque bénie où Derek Bailey, Hans Reichel et Fred Frith publiaient des albums solos qui défrayaient la chronique et où Steve Beresford, David Toop et d’autres découvraient l’existence de jeunes improvisateurs US : Eugene Chadbourne, John Zorn, Tom Cora, Henry Kaiser et le Rova Sax Quartet qui se référaient à la scène free européenne. A cette époque, Duck Baker a vécu successivement en Angleterre, en Italie et aux U.S.A. et pratiquait autant l’improvisation que la musique traditionnelle tirée du jazz swing, du country et du ragtime. D’ailleurs sa discographie témoigne de son répertoire étendu et de sons sens de l’humour (cfr Kicking Mule). Plus récemment le label Incusde Derek Bailey lui a consacré le superbe Ducks Palaceen duo avec Derek Bailey, en trio avec John Zorn et Cyro Batista et un blues avec Roswell Rudd en bonus. Outside réunit seize pièces en solo au croisement de ces chemins et deux duos improvisés avec Eugene Chadbourne à Calgary en 1977. J’avais moi-même découvert à l’époque un sublime album de Chadbourne avec le pianiste Casey Sokol (Music Gallery Editions) enregistré la même année à Calgary. Outre deux solos  et les deux duos avec Chadbourne de Calgary (Part 3), six pièces avaient été enregistrées à Turin en 1983 (Part 1) et huit à Londres en 1982 (Part 2). Au programme, deux versions d’un arrangement réussi du Peaced’Ornette Coleman, You Are My Sunshine, deux ou trois improvisations spontanées (Torino Improvisazzione et London Improvisation) quelques  compositions personnelles, comme Klee (en hommage au peintre), Like Flies, No Family Planning dont on peut comparer deux versions différentes et d’autres comme Breakdown Lane, Shoveling Snow ou Holding Pattern. Si Duck Baker respecte la technique conventionnelle de l’instrument (contrairement à un Derek Bailey), il trace des perles acoustiques dans un jazz d’avant-garde sous l’influence d’Ornette Coleman et de Roscoe Mitchell. Dans son style, on trouve un air de famille avec celui d’Eugene Chadbourne dans la collaboration de Chad avec feu Frank Lowe, Don’t Punk Out, album enregistré en 1977 et publié lui aussi par Martin Davidson (CD Emanem 4043). Sorry pour ce paquet de références, c’est simplement pour situer Duck Baker (de son vrai nom Richard R. Baker) à l’époque où il avait déjà trouvé sa voie. Car le moins qu’on puisse dire, c’est que Duck Baker est un artiste original de la six-cordes nylon. Son art est basé sur une capacité à faire swinguer son picking dans ses compositions contorsionnées free.  Par rapport au phrasé des guitaristes de jazz, on se trouve ici dans une autre école qui n’a rien à voir avec Jim Hall ou Wes Montgomery ou encore à l’esthétique marquée par le rock. Il n’hésite pas à emprunter le phrasé d’un saxophone (comme dans No Family Planning : on songe à Roscoe ou Oliver Lake) et comme un chat, il retombe sur ses pattes après des acrobaties sautillantes. Rien d’étonnant qu’il soit devenu un grand spécialiste des compositions anguleuses du pianiste Herbie Nichols. Et donc comme cette démarche n’est pas du tout  courante, cela vaut le déplacement. Ou faute d’un concert, ce très beau disque d’archives est vraiment à recommander. À l’époque de ces enregistrements, je me souviens avoir été déçu par la démarche acoustique par trop évanescente de certains guitaristes de l’écurie ECM. C’est dire l’exigence instrumentale de Baker. Sa musique entièrement acoustique capte l’attention de l’auditeur autant par son dynamisme vitaminé que par l’audace des doigts sur les cordes dans des écarts rythmiques et harmoniques casse-cou, des brisures de métriques sans prévenir. Les notes jouées propulsent la ligne mélodique du bout de chaque doigt. Outre ce type de morceaux rebondissants, on trouve une élégie à un ami disparu (Like Flies), une exploration du phrasé à quatre doigts dans une dimension dodécaphonique en hommage à Paul Klee et une chanson sans parole, Southern Cross, exécutée avec la classe des vrais guitaristes six cordes classiques  tout en jouant l’essentiel. Car cette précision et cette absence de verbiage est la marque distinctive de sa musique : chaque note jouée a sa raison d’être. Et chaque morceau d’ Outside apporte une dimension supplémentaire à son univers. Le drive sans défaut et la construction musicale d’Holding patternet le free picking deNo Family Planning en font de  véritables morceaux d’anthologie et ils valent à eux seuls l’achat du disque. Sa relecture du Peace d’Ornette Coleman en forme de ballade revisite les implications de la mélodie et l’évidence de la musique y respire le bonheur.

Chamber 4Marcelo Dos Reis Luis Vicente Théo Ceccaldi Valentin Ceccaldi FMR CD393-0615

Une belle musique de chambre pour trompette (Luis Vicente), violoncelle (Valentin Ceccaldi), violon et alto (Théo Ceccaldi) et guitare acoustique et préparée (Marcelo Dos Reis). La pratique de la musique classique et contemporaine n’est pas loin (les frères Ceccaldi) et l’idiome du jazz (Vicente) aussi. Une musique improvisée enregistrée à Ler Devagarà Lisbonne et de belle facture. Le trompettiste est lyrique à coup sûr, construisant une improvisation sur base d’une subtile échelle modale et les cordistes tissent une trame à coup de col legno en se référant aux gammes du souffleur. Quand celui-ci insère des pff pff dans la cadence, l’alto improvise en contrechant (Green Leafs) d’une mélopée invisible. Timber Bellspropose une sorte de veillée funèbre scandée par la guitare préparée. C’est subtil, délicat, introverti ou poétique. En outre la combinaison instrumentale et l’arrangement des timbres, des sons et des lignes mélodiques sont exemplaires. L’essence de la musique, comme si elle avait été écrite avec des enchaînements d’événements sonores qui coulent de source. On ne va pas toujours écouter la sempiternelle formule souffleurs / basse / batterie et Chamber 4 offre ici une belle occasion à ne pas rater. Il n’est pas question de virtuosité affichée, ni des excès ludiques de l’improvisation libre per se ou l’exploration sonore radicale, mais plutôt d’une recherche formelle en créant des équilibres par un dosage minutieux réalisé en toute spontanéité dans une dimension contemporaine, free. Plusieurs procédés de composition sont utilisés créant des variations bienvenues pour les cinq morceaux de l’album.  La sobriété des instrumentistes n’exclut pas une intense expressivité sonore. Pour le trompettiste, qui se donne à fond dans Some Trees, c’est un écrin de rêve et d’une réelle intensité. La science du glissando de Valentin Ceccaldi, les cadences sur les cordes préparées de Marcelo Dos Reiscontribuent à créer une belle tension. Wooden Floor, qui suit juste après, manifeste une belle retenue et se développe dans un drone tortueux. La trompette et le violon se nourrissent de leurs intervalles respectifs. La trompette s’écarte, le violon faisant entendre sa voix frontalement dans l’aigu soutenu par le violoncelle puis revient dans le grave hésitant pour tenir des tonalités microtonales et ensuite des sussurements et des gazouillis vers un son sale, le violoncelle s’enfonçant dans un grave indécis. Toute cela semble aussi minuté que naturel et organique. Un emboîtement de séquences plutôt que des dérives. Le résultat musical est une belle réussite avec pour chaque morceau une identité précisequi le distingue clairement des autres. J’ai un grand plaisir à découvrir et écouter ce Chamber 4 qui explore une voie intéressante de l’improvisation d’aujourd’hui. Original à plus d’un titre !!

LubatovGareth Lubbe & Simon Nabatov Leo Records CD LR 762

Simon Nabatov et Leo Feigin ne m’en voudront pas trop si j’avoue méconnaître la musique et les enregistrements du pianiste, sans nul doute un des plus brillants de sa génération dans ce domaine musical au confluent de la musique contemporaine sérieuse et du jazz d’avant-garde. Simon Nabatov est un pianiste de haut vol et je me souviens d’un excellent projet Leo Records, Nature Morte, dans lequel il officiait aux côtés de Phil Minton. On ne peut pas rester insensible à ses qualités musicales et instrumentales et à celles de son complice Gareth Lubbe, un super violoniste alto, doublé d’un vocaliste d’envergure dans deux suites, Plush Suite  et Suite In Be pour un total de 61 minutes.  La voix de gorge grave de Lubbe s’ébat dans un style voisin des chanteurs de Touva : karigiraa, différents types de khoomei et cette voix flûtée insaisissable (Part 2 de Plush Suite) et remarquablement étendu. Les nuances, les inflexions mélodiques et changements de clé dans la même émission sont vraiment épatantes et pleines de finesse. Gareth Lubbe est un artiste vocal rare et Nabatov dialogue avec un réel goût utilisant les ressources sonores du piano dans les cordes, avec la résonnance et en étouffant la pression des marteaux. Dans la première suite, il passe de l’instrument à la voix et parfois les deux. Si j’adore le travail  vocal de Lubbe et admire le grand métier pianistique de Nabatov, il y a pour moi un hic : la démarche de Simon Nabatov est, à mon avis, celle d’un pianiste classique qui se livre à l’improvisation avec un réel succès, plutôt qu’un improvisateur libre pur jus comme Fred Van Hove qui a créé son propre langage en s’écartant des modèles et du pianisme académique. Il y a chez Fred une folie et une substance qu’on peine à trouver ailleurs. Cela dit, il y a des fort belles choses dans cet album qui mérite l’écoute comme cette cadence exquise de 9’20’’ du piano et de la viole dans la Partie 1 de la Suite In Be. Lubbe tire parti de son alto avec de superbes chatoiements dans le timbre et les harmoniques. Superlatif tout comme le doigté et le touché du pianiste : on se régale. Un excellent duo pour ceux qui savent prendre plaisir à jouir de la musique d’où qu’elle vienne et une démonstration vocale à retenir pour une anthologie de la voix humaine aux côtés de Phil Minton, Demetrio Stratos et cie. Plus classique vingtiémiste qu’improvisé, quand même.

Zero  Rotozaza : Rudi Mahall Nicola L. Hein Adam Pultz Melbie Christian Lillinger Leo Records CD LR 763

Projet qui se veut à mi-chemin entre le free-jazz qui ne se cache pas et l’improvisation libre radicale en tentant, souvent avec succès, à profiter des éléments constitutifs de chaque orientation, à les marier et à confronter les démarches  que d’aucuns ont voulu, à une époque, opposer. Disons que vu du point de vue de la diversité « biologique », la formule souffleur / basse / batterie plus guitare est un lieu commun des musiques improvisées telles qu’elles sont pratiquées dans le circuit des festivals et clubs « importants ». Consulter les catalogues de disques consacré à votre musique préférée et vous finirez par le constater, ne fût ce que chez Leo Records. Cela dit Christian Lillinger se démène avec une belle énergie sur ses fûts, Rudi Mahall fait exploser sa clarinette basse dans les aigus ou siffle un contrechant exquis, le plus sonique des quatre, le guitariste Nicola L Hein explore son engin dont il a customisé les pédales. Un morceau plus aéré, Der Hammer als Hammer, donne à entendre l’archet actionné par le contrebassiste Adam Putz Melbye dans l’hyper grave. J’entends bien la nécessité de leur démarche mais c’est quand ils lancent des dés et choisissent des options sans crier gare que l’intérêt monte d’un cran, même si les formes qu’ils choisissent d’investiguer ont un réel intérêt. On devine l’évocation détournée d’un thème de Dolphy. Hah ! Rudi Mahall , un musicien puissant et subtil !  Au fil des plages, une réelle connivence se fait jour, des concordances, une écoute intense, une stratégie commune concertée par des signaux impalpables. Ce disque n’est pas pour moi un manifeste que je glisserai dans mes disques « importants » en relation avec mon expérience et mes goûts, mais plutôt un témoignage d’un groupe et d’invidualités qui a réussi son projet et que j’aurais à cœur d’écouter en concert. Et c’est avant tout cela qui compte.

Marialuisa Capurso & Jean-Marc FoussatEn Respirant FOU Records FR-CD 17

Chez FOU Records, les CD’s de Jean-Marc Foussat se suivent sans se ressembler. Trois pièces enregistrées « live at POP –der Laden » à Berlin le 19 février 2016 proposent des ambiances planes, faussement répétitives et étirées avec soin à base de Synthi AKS (Foussat) et la voix et les paroles traitées par des effets électroniques multiples (Capurso). Le titre du premier morceau, Osmosis (19’49’’), ne croit pas si bien dire, les deux artistes s’intégrant leurs sons l’un à l’autre avec une dynamique excellente. Entend-on une guimbarde ou l’effet d’un traitement sonore vers 12’/13’ ? Le vent des steppes souffle ou la bise transperce les fenêtres d’un château abandonné des Carpathes, Marialuisa  entonne une berceuse bisyllabique qui finit par se démultiplier lorsqu’on devine les murmures de Jean-Marc. Les sons changent lentement de couleurs et de timbres comme dans un crescendo/ decrescendo réussi et on aboutit dans un autre espace-temps où tinte un filet de son aigu. Purple Future (15’28’’ ) est une autre mouture de ces procédés et qui débute par des boucles de voix (mère-fille ??) Dans le processus, JMF injecte sa voix dans l’installation en la traitant : on découvre une trame d’une réelle richesse sonore même si le côté obsessionnel voire répétitif (la boucle vocale initiale est une constante durant quelques minutes et ce procédé est réitéré par la suite) ou « planant » est un peu trop appuyé. Par rapport à la musique électronique que les médias essaient de nous servir, la musique du duo Capurso – Foussat est nettement plus accidentée, volatile, lucide et somme toute, plus vraie.  Capurso transforme graduellement deux mots - litanie à chaque loop comme un rituel secret. La recherche de l’électronicien n’est pas vaine : on l’entend pêcher quantité de sons intéressants et très fins. Vu l’émission continue de son dispositif, on réalise parfois la nature de ses mutations sonores après coup. Place du Marché (11’06’’) fait cohabiter un jodel d’oiseau, des battements de guimbardes sidérales et des croassements synthétiques…. Se joignent d’autres matériaux (vents électroniques), des boucles quand d’autres s’estompent, l’électronique revêtant une apparence de vocalité, frémissante parmi les bribes de conversations étouffées et tournoyantes et des dissonances rebondissantes. Je ne vais pas me perdre dans la description de cette troisième pièce terminée par un couplet vocal très efficace, inspiré d’un folklore balkanique imaginaire et traité en boucle et multitracking. Mais plutôt témoigner de sa qualité qui élève la tenue de cette collaboration d’un concert. JMF : à suivre !

Adriano Orrù Maria do Mar Luiz Rocha - Spontaneous Music Ensemble - Ivo Perelman Matt Shipp Michael Bisio Whit Dickey

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Orrù Mar Rocha Live at Mia 2015Endtitles

Emballé dans une feuille de papier  gris clair pliée judicieusement et marquée au centre par l’inscription Orrù Mar Rocha Live at Mia 2015, ce beau document nous fait entendre un très remarquable trio d’improvisation contemporaine. Le contrebassiste Adriano Orrù muni aussi d’objets, la violiniste Maria do Mar et le clarinettiste Luiz Rochaconcertent leurs efforts en se concentrant avec beaucoup d’empathie sur plusieurs aspects : les formes, l’écoute mutuelle, le sens de l’épure, l’équilibre entre chaque instrument, la construction collective, une qualité « musique de chambre » alliant dynamique sonore et énergie, indépendance et une interactivité subtilement tangentielle. Il y a un passage où le lyrisme est exalté et le decrescendo qui suit mène au silence. Le public applaudit et rappelle ensuite : on a droit à des coups d’archets fouettés sur les cordes et la voix de do Mar qui s’égosille abruptement. La suite est intense, bruissante, le souffleur vocifère dans le tube de la clarinette basse, l’origine des sons est peu descriptible, si ce n’est le violon qui vrille les aigus quasi en sottovoce.  Cela conduit à des notes tenues, quelques notes répétées, un aigu de clarinette proche du flutiau et partant de là un beau trilogue exprimant un sentiment d’hésitation, de réitération d’une conclusion dont on retarde l’aboutissement. Subtil, lumineux. Comme le concert (et l’enregistrement, très bon vu les circonstances) a eu lieu dans une église, les trois musiciens doivent restreindre leurs actions pour rester lisibles et éviter la saturation. On apprécie le jeu de contrebasse puissant d’Adriano Orrù, le contrôle sonore et l’audace de Luis Rocha et la subtilité délicieusement réservée de Maria do Mar. Chaque séquence développe une idée commune et puis enchaîne vers une réalité différente. On n’étale pas, on concentre… un dosage inné de la répartie, du commentaire, de la relance se fait jour. De nombreuses figures de style qu’on croirait être empruntée à l’écriture théâtrale sont dévoilées par le jeu collectif. En fait, c’est exemplaire : la conviction et l’efficacité de cette musique la rend indispensable.

Spontaneous Music Ensemble Familie & OlivEmanem 5033 


Rassemblant Trevor Watts, Derek Bailey, le pianiste Peter Lemer, les chanteuses Pepi Lemeret Norma Winstone, ou Maggie Nicols et Carolann Nicholls, les bassistes Jeff Clyne et Dave Hollandou Johny Dyani mais aussi Evan Parker ou Kenny Wheeler dans deux sessions de studio sous la houlette de John Stevens, guide- catalyseur du Spontaneous Music Ensemble, Familie & Oliv, enregistrés respectivement en janvier 1968 et février 1969, documentent la période initiatrice du groupe autour de procédés d’écriture, de passages obligés et d’organisation orchestrale à la fois proches et éloignés du free jazz ouvert de l’époque. Un parallèle peut être tiré avec les compositions de Bill Dixon dans November 64 ou Intents and Purposes ou de Sound, le premier album paru de Roscoe Mitchell. Une anecdote concernant la qualité excellente des enregistrements studios : les deux versions de la composition Familie (plages 1 & 4)ont été mises en boîte par Eddie Kramer, l’ingé-son de Jimi Hendrix et les sessions d’Oliv le furent par Eddie Offord qui fut le technicien du groupe Yes au début des années 70. On sait aussi que le bassiste de Yes, Chris Squire, était un collègue de Trevor Watts chez Boosey & Hawkes, l’éditeur musical pour qui ils réalisaient la copie au net des partitions. Trevor et Stevens avaient en effet décidé d’effectuer un travail rénumérateur hors de la scène musicale afin de conserver une liberté d’expression totale et de ne pas être obligés de se plier aux desiderata des patrons de club. Les deux versions de Familie font respectivement 19 : 42 et 11 : 33, la deuxième étant une seconde section alternative. Ces deux enregistrements ne furent jamais publiés et une autre version est parue dans l’album « posthume » du SME, Frameworks (Emanem 4134). Quant à Oliv(1 et 2), il s’agit des deux faces de l’album Spontaneous Music Ensemble publié par Marmalade, le label de Giorgio Gomelsky. GG et Marmalade firent d’ailleurs connaître la chanteuse Julie Driscoll, future Julie Tippetts, laquelle chanta dans le SME en 1971.  Ce sont des enregistrements intéressants voire passionnants avec la remarque importante que les enregistrements du SME de l’époque et leurs concerts quasi journaliers sont des choses relativement différentes. Par exemple, John Stevens a invité Kenny Wheeler et Derek Bailey systématiquement dans trois enregistrements publiés à l’époque : le légendaire Karyobin sur le label rock Island, le présent  Oliv I & II publié par Marmaladeen 1969 (Spontaneous Music Ensemble) et le moins connu, So, What Do You Think ?(janvier 1971 label Tangent), alors que ces deux musiciens étaient des contributeurs occasionnels du groupe. De même, David Holland fut invité pour Karyobin,So What et Familie. Le SME est un groupe qui a énormément travaillé, répété, investigué et fait évoluer sa démarche au point que chaque témoignage enregistré doit être entendu comme le révélateur d’une phase particulière parfois assez éloignée de la pratique du concert. On retrouve un fil conducteur : la pratique d’exercices musicaux collectifs conçus pour permettre une véritable communion sonore et qui servent de guides pour créer ces pièces musicales, une forme d’improvisation à la fois très libre et semi-dirigée. Aussi, John Stevens décidait fréquemment des changements de direction dans la musique du groupe et cette progression en dents de scie fait du SME le groupe le plus complexe à cerner musicalement. Je lui ai d’ailleurs consacré une étude en 2007 d'une quarantaine de pages parue dans le magazine Improjazz et traduite dans Oro Molido.
Dans la première et plus longue version de Familie(19 : 42), les voix de PepiLemer et de Norma Winstone,  la flûte, le piccolo et le sax soprano (Brian Smith, Trevor Watts et Evan Parker), le violoncelle et les deux contrebasses de Jeff Clyne et David Holland jouent un drone (le « sustain » des pièces d’ateliers) dans une première section alors que John Stevens,Derek Bailey et le pianiste Peter Lemer se mettent successivement à improviser à partir de la deuxième minute. Le batteur souligne, le guitariste tranche et le pianiste introduit d’abord des lueurs tonales qu’il abandonne sous la pression de l’improvisation collective pour parcourir le clavier en montagnes russes. Cette section augmente ou varie d’intensité au fur et à mesure que les improvisations prennent de l’importance dans la masse de l’orchestre. C’est alors que les voix chantent des  glissandi impressionnants et que se distingue brièvement la flûte dans des brisures de la masse sonore (5 ‘). Les chanteuses improvisent sur des changements de tonalité tout en conservant l’émission vocale des drones.  On revient ensuite vers le sustain où les voix dominent ou alternent avec les flûtes. Le piano improvise modalement et la guitare plutôt à mi-chemin entre le sonique et le sériel. Une autre section de Familie pointe vers les 11’ et les musiciens s'y lancent dans une improvisation collective en conservant l’esprit de ce qui a été joué auparavant lors de la première version. Principalement les voix, la flûte et le piccolo, la batterie, aérienne avec les cymbales, les deux contrebasses et le piano. Des connivences et des interactions successives entre chaque instrumentiste apparaissent créant une sorte de tapisserie tissée par le foisonnement des  lignes et et accents de chaque improvisateur et où l’auditeur peut visualiser leurs imbrications dans le détail. Cette deuxième section se termine en decrescendo que vient souligner un remarquable glissando des voix. C’est un peu avec un procédé similaire mais plus travaillé que débute Oliv I (19:25) : les trois chanteuses à l’unisson (Maggie Nicols, Pepi Lemer et Carolann Nicholls  avec des nuances tonales subtiles et des effets de glissando,  Derek Bailey égrène des notes en arrière plan tout comme le pianiste. Par dessus, Kenny Wheeler délivre une remarquable improvisation quasiment durant toute la composition. On y retrouve l’effet sustain de Familie enrichi par d'autres procédés qu’il faut écouter avec attention pour en saisir la richesse. Lorsque la contrebasse de Johny Dyani et le piano de Peter Lemer entrent en scène après les 8’ pour se retrouver dans une walking bass secondée par la batterie de John Stevens alors que Wheeler accélère le tempo de son improvisation, tandis que les voix forment un drone en arrière-plan. Un peu plus tard, le trompettiste interrompt brièvement son solo pour laisser la place au pianiste. Il reprend son tour de force alors que le tandem rythmique intensifie ses balancements jusqu’à sa dislocation. Dès les 15’, c’est la guitare perçante de Derek Bailey (harmoniques et suraigus) qui se détache ici et là. Curieusement le sax alto de Trevor Watts reste très discret. Derek Bailey, alors membre à part entière d’un des groupes les plus radicaux de la scène londonienne, Music Improvisation Company, tranche par son aspect sonore austère et « non-idiomatique ». Final en roulement de batterie et d’incursions chromatiques sur le registre médium et aigu du piano au moment où le volume de  l’orchestre diminue progressivement et s’éteint. Pas tout à fait satisfait par le déroulement de la composition Oliv lors de l’enregistrement, Stevens proposa alors d’enregistrer en quartet : Maggie Nichols, Trevor Watts, Johny Dyani et John Stevens. Il s’ensuit une improvisation de 15 :57 qui compte parmi les meilleures choses enregistrées par le groupe. Ce quartet avec Dyani était en fait le Spontaneous Music Ensemble« de concert » et une équipe composée de Stevens, Watts, Maggie Nicols et Carolann Nicholls s’est produite au premier Total Music Meetingà Berlin en novembre 1968. Ils furent rejoints sur scène par John Mc Laughlin en personne, lequel habitait d’ailleurs dans le même immeuble que la famille Stevens à Ealing. Mongezi Fesa remplaça Nichols par la suite et ce deuxième  SME quartet joua au festival de Kongsberg en Suède, mais ne fit aucun enregistrement même s’il laissa un souvenir inoubliable. Plusieurs choses sont très pertinentes dans ce magnifique essai d’improvisation collective d’Oliv II. Trevor Watts joue en laissant des espaces de silence et en se mettant au niveau sonore de la voix de la chanteuse afin d’inclure complètement Maggie Nicols dans le son et la dynamique de l’ensemble. Celle-ci est encore à ses débuts, mais fait preuve d’une très grande sensibilité. Il lui est demandé de vocaliser avec une voix blanche sans forcer l’expression. On est là très loin du jazz. Certains intervalles demandent de la précision pour une vocaliste et malgré l’apparente simplicité de la musique, il s’agit du fruit d’un travail intense car le S.M.E.de Stevens et Watts répète quasi journellement. Avec Jeanne Lee à la même époque, Maggie Nicols se révèle déjà comme une innovatrice de la voix humaine dans la musique improvisée. Le jeu de John Stevens est ici plus proche de celui d’une batteur de jazz « même free » par rapport à celui d’autres enregistrements où sa (mini) batterie minimaliste. Quelques passages chantés ou joués sont écrits et s’intègrent naturellement dans le flux des improvisations comme s’ils en faisaient. On y trouve le Sustain et une des premières manifestations enregistrées  de laClick piece qui, elle, clôt Oliv II. Dans ce final où chaque musicien essaie de jouer une seul son isolé dans son propre rythme personnel un peu comme une goutte d’eau qui tombe sur le sol. Chaque goutte de son est très légèrement décalée par rapport à celles des autres. Tout l’intérêt de la pièce réside dans le fait que les improvisateurs internalisent leur feeling du temps en relation avec celui des autres en vue d’approfondir cet aspect de l’improvisation. Où commence la musique per se et ou finit la pédagogie est un des mystères insondables de la musique du S.M.E.L’album finit par une belle et intrigante version de la deuxième section de Familieoù la voix de Norma Winstoneétonne par son port de voix d’une discrétion absolue avec des choix de notes et de durées qui attirent irrésistiblement l’écoute même si le timbre de sa voix est en retrait par rapport au volume des instruments. L’ensemble collectif se répand dans l’atmosphère en laissant à chacun l’espace pour être entendu ou deviné. J’ajoute encore que ces enregistrements on été repiqués d’un acétate personnel de John Stevens pour Familie et de copies vinyles pour Oliv. Ils ont fait l’objet d’un travail très soigné de nettoyage et d’amélioration du son, Martin Davidson ayant acquis une maîtrise remarquable en la matière. Même si cette musique est datée de presque cinquante ans, certaines choses dans son contenu forcent l’écoute par son actualité, entre autres, l’effort incessant d’écoute mutuelle des musiciens et des idées mélodiques brillantes, autant que celles de l’Art Ensemble of Chicago, groupe révélé la même année. Il faut souligner le bond en avant au niveau de la finesse et la recherche musicale de John Stevens et Trevor Watts par rapport aux enregistrements des années précédentes (cfr Withdrawal 1966/67 ou Summer 67). Stevens et Watts sont aussi des compositeurs en quelque sorte car ils ont incorporé des nuances musicales d'une grande subtilité au niveau des intervalles des timbres de la dynamique (Oliv II). Si quelques plages d’albums du trio de Schlippenbach, de l’Unit de Cecil Taylor, de Braxton en solo ou de Music Improvisation Company peuvent résumer leurs musiques respectives, celles du  Spontaneous Music Ensemblenécessitent un véritable travail exégétique ardu pour percer le sens de leur démarche Sans cela, l’auditeur pourrait se faire une idée fausse du cheminement et des perspectives. Une des raisons qui ont poussé Emanemà en publier le maximum des enregistrements disponibles. On attend encore la réédition de So What Do You Think ?(Stevens Bailey Holland Watts Wheeler). Martin Davidson m’a communiqué, il y a une dizaine d’années, ne pas vouloir le rééditer parce qu’il n’appréciait le jeu de batterie « trop formel » de Stevens dans cette session de janvier 71, époque durant laquelle il a découvert le groupe au Little Theatre Club, découverte qui l’a définitivement conquis. On espère que MD changera d’avis. Pour conclure : des instants de magie qui surviennent dans des tentatives atypiques pour transformer la pratique de l’improvisation.

Spontaneous Music Ensemble Withdrawal Emanem 5040

Réédition de l’album Emanem 4020 accompagnée de notices signées Martin Davidson et de photos d’ Evan Parker et de Jak Kilby. Ces enregistrements datent de 1966 et 67 et réunissent John Stevens Paul Rutherford et Trevor Watts, les trois fondateurs du groupe ainsi que Kenny Wheeler, Evan Parker, Derek Bailey et Barry Guydans une tentative réussie de libération et d’affranchissement des modèles (même « free-jazz) vers une nouvelle musique. Outre les instruments pour lesquels ils sont connus (Stevens, batterie, Watts, sax alto, Rutherford, trombone, Wheeler, trompette et bugle, Bailey, guitare, Parker, sax ténor et soprano, Guy contrebasse) cinq d’entre eux interviennent aux petites percussions additionnelles, Guy au piano, Watts au hautbois, à la flûte et à la voix. Les quatre premiers morceaux de l’album sont consacrés à la bande son d’un film jamais réalisé sensé décrire une expérience de détachement d’une addiction à la drogue. Trois pièces Part 1A, 1B et 1C se succèdent (5’ et 7’) et débouchent sur une Part 2 de 13’.  Derek Bailey n’intervient pas encore, car il ne faisait pas encore partie du groupe. S’il y a un musicien dont on reconnaît indubitablement le style, c’est Kenny Wheeler mis largement en évidence dans chaque section comme s’il était le soliste accompagné par les sons des autres : Barry Guy joue avec l’archet dans les graves, on distingue le hautbois pépiant de Watts et la batterie reste quasi silencieuse pour créer cet effet d’arythmie. Il semble que l’enregistrement date de septembre 1966. La quatrième plage, Part 2 est nettement plus intéressante : les musiciens tentent de créer des dialogues par deux ou trois et les interventions individuelles s’alternent successivement chacune dans des dynamiques variées en obtenant des timbres et des sons recherchés et peu usuels. Il y a une formidable sens de l’espace et une concentration sur le son dans l’instant avec une volonté de créer une musique originale, suspendue, jouée au ralenti. Ceux qui s’attendent au déluge de notes et à cette vitesse d’exécution très virtuoses de ces musiciens seront étonnés. Suivent aux plages 5, 6 et 7, Withdrawal Sequence 1, 2 et 3 « C4 »respectivement de 11:22, 10:52 et 2:35 et enregistrées en mars 1967. Avec la présence de Derek Baileyà la guitare et le jeu plus présent de John Stevens, on a droit à une improvisation collective où intervient un glockenspiel vraisemblablement joué par Watts ou Parker. Rutherford et Wheeler alternent leurs interventions et se répondent en inventant constamment. Barry Guy fait résonner la contrebasse avec des pizz disruptifs. On n’entend guère Evan Parker qui a avoué plus tard s’être senti en présence de musiciens de trop haut niveau pour lui. La Sequence 2 débute par des notes de flûte de Trevor Watts avec des effets de timbre remarquables, Barry Guy plongé dans les cordes du piano tirant les cordes comme une harpe ou les faisant résonner comme une cymbale avec les commentaires percussifs de Stevens. Le trombone de Rutherford intervient, le piano et la percussion se maintenant au centre et Watts vocalise dans sa flûte. Quand Rutherford fait silence par intermittence la guitare et la trompette ajoutent des couleurs, Barry Guy passe à l’archet de sa contrebasse et obtient des effets sonores aux moyens d’harmoniques qui suggère l’envol d’une bourdon. La séquence 2 s’agite : Bailey ponctue avec des clusters complexes, la trompette dans le suraigu et le sax alto free de Watts. On a vraiment l’impression que naît ici l’improvisation libre comme elle va se développer par la suite avec ces musiciens et ceux qui vont être entraînés dans leur sillage. C’est bien sûr la dimension interactive « call and response » car il ne faut pas oublier qu’à la même époque le groupe AMM investiguait l’option « laminaire » où les sons individuels s’aggrègent de manière compacte (et un volume sonore plus élevé). Il y a une volonté de travail sur la dynamique au point où le silence devient une composante majeure de la musique mettant en évidence les couleurs sonores et les détails du jeu des membres du groupe. Les quatre dernières plages forment la suite de Seeing Sounds& Hearing Colours. C’est après s’être rendu à Copenhagen avec Evan Parker vers décembre 1966 que John Stevens imagina de nouvelles idées en relation avec cette expérience danoise. Les deux musiciens ont pu jouer avec le groupe de John Tchicaï. Entre autres, John Stevens fut séduit par un des musiciens qui improvisait à la scie musicale et cela l’a conduit à aller de l’avant dans sa recherche. Ainsi Seeing Sounds & Hearing Colours, soit quatre morceaux de 4, 4, 5 et 7 minutes, tente avec succès d’exploiter systématiquement les couleurs sonores que recèlent les instruments en relation avec la sensibilité propre à chaque musicien. La musique commence à s’éloigner du free-jazz et se rapproche des sonorités de la musique contemporaine écrite même si on réalise en écoutant que la musique est totalement improvisée, superbement imagée. Comme le suggère le titre, les musiciens tracent des images sonores dans l’espace. Le titre du premier morceau est Introduction « Puddles, Raindrops & Circles, et la musique visualise ces indications. Naît ainsi une musique faite d’interactions, d’écoute mutuelle et de construction collective où la spontanéité dans l’instant est la qualité la plus frappante. Alors que ces musiciens seront connus plus tard pour leur virtuosité déroutante, ils se concentrent ici exclusivement pour faire du sens et acquérir ces qualités d’écoute, d’esprit d’à propos  et la fantaisie, indispensables pour développer cette musique improvisée radicale alors naissante. Plutôt que se lancer dans des solos, on veille à improviser de manière interactive dans une sorte de course relais où chacun réagit ou poursuit les sons de ces collègues en alternance. Un excellent document enregistré par Eddie Kramer (l’ingénieur du son de Jimi Hendrix était aussi un vrai fan du SME !). Qui plus est, accompagné de photos vintage des jeunes musiciens en cravate et chemise blanche et de notes indispensables pour déchiffrer le contexte. Même si cette musique a 50 ans d’âge, elle s’écoute encore avec plaisir.

Soul Ivo Perelman Matthew Shipp Michael Bisio Whit Dickey Leo Records. CD LR 739

Chaque nouvel album d’ Ivo Perelman est une vraie perle, un ouvrage travaillé avec amour, amoureusement spontané. Un saxophoniste  ténor lyrique, charnu, éthéré, extrêmement sensible et dont la logique de jeu échappe totalement aux poncifs et autres exercices issus des nombreux bouquins et cours de jazz qui foisonnent. Comme Lester Young, Chet Baker ou Art Pepper bien avant lui, Ivo Perelman est un grand lyrique qui improvise comme un chanteur avec un timbre qui évoque la voix humaine. Son style est profondément original et personnel. Après s’être distingué par un expressionnisme surprenant et dévastateur, notre homme s’est plongé dans un exploration aussi intuitive que méthodique des méandres et volutes sonores que lui permettent sa superbe technique et son timbre particulier, sûrement un des plus émouvants qui soient. L’expression de la sincérité musicale. Ces dernières années, il enregistre intensivement de nombreux albums avec le pianiste Matthew Shipp, le batteur Whit Dickey, le contrebassiste Michael Bisio et d’autres musiciens comme le guitariste – contrebassiste Joe Morris, le violoniste alto Mat Maneri, le batteur Gerald Cleaverdans toutes les formations possibles, duos, trios, quartets pour le label Leo. Cette série sans fin offre toujours un grand plaisir d’écoute, de fréquentes surprises et cet album en est une très belle confirmation. Tout comme un Evan Parker, Ivo Perelman dépasse le sens commun du saxophone ténor et témoigne activement de cet esprit collectif par lequel chaque musicien du quartet ici présent, est l’égal des trois autres et dispose de tout l’espace d’intervention dans les structures de la musique jouée. Bien sûr la voix du saxophone ténor prédomine car elle survole les élans du piano et les vibrations de la contrebasse et de la batterie. Mais chaque musicien peut développer à souhait toutes les variations et angles de jeu jusqu’à plus soif dans une construction musicale élaborée faites de multiples dialogues, correspondances, connexions d’idées. Une véritable merveille, le jazz libre idéal, lisible, aéré, profondément intense ou entièrement décontracté, à la fois sobre et expansif.


Daunik Lazro-Joëlle Léandre-GeorgesLewis / Jean-Luc et Cécile Capozzo / Fail Better ! Luis Vicente Joao Pais Filippe Jose Miguel Pereira Joao Guimaraes Marcelo Dos Reis / Brian Groder trio w Michael Bisio & Jay Rosen

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Daunik Lazro Joëlle Léandre Georges LewisEnfances à Dunois le 8 janvier 1984 FOU Records FR CD 18



Extraordinaire album avec un Georges Lewis complètement alien démontant et remontant son trombone pour trouver des timbres inouïs, un Daunik Lazro survolté et agressif au sax alto et une Joëlle Léandre en pleine possession de ses moyens vocaux (délirante !) et très attentive à la contrebasse. C’était l’époque où les musiciens improvisateurs découvraient de nouveaux territoires et le public allait de surprises en surprises. Sans doute, Enfances est le meilleur exemple enregistré de concert réussi pour ces deux aventuriers de la scène musicale française quand le Dunois était le lieu où cela se passait au début des années 80. Le travail à l’archet de Joëlle Léandre est un régal et le lyrique Daunik Lazro est la passion incarnée. On s’est parfois senti perplexe pour les interventions « théâtrales » de Joëlle Léandre dans la relation avec ses coéquipiers. Un musicien allemand de premier plan et très sérieux qualifiait sa démarche par le terme aktionnismus.Ici se fait jour une symbiose  merveilleuse entre son chant et son jeu de contrebasse qui rend sa présence excitante. La démarche du saxophoniste se distingue du tout venant free-jazz, il est perpétuellement à l’écoute, n’apportant que du bois sec et de l’air pour activer le foyer. L’intelligence et la sensibilité musicale de George Lewis et ses incartades sonores inouïes, son jeu sensible et virtuose, confèrent à ce trio une dimension supplémentaire, inspirante pour ses deux camarades de scène. Bref un trio de très haut vol qu’on a envie de réécouter encore et encore tant il regorge d’instants secrets qu’on voudrait inoubliables. Joëlle Léandre aurait-elle publié cet enregistrement en lieu et place de son premier opus, Les Douze Sons(Nato), un album anthologique un peu trop de bric et de broc malgré un personnel incroyable (Bailey, Barre Phillips, Lewis, Reyseger, Nozati, Schweizer), il se serait inscrit aux côtés des articles incontournables incarnant irrévocablement l’improvisation libre. Car il s’y passe tant de choses dans un seul concert… Dix morceaux intitulés Enfancede 1à 10 qui vont du très court ou nettement plus long : Enfance 5 compte 19 : 33. Cette suite se révèle passionnante par sa succession de propositions, de contradictions, d’emballements, de trouvailles, de retrouvailles, de coups de théâtre, d’échappées, de réflexions, de connivence, de coq-à-l’âne… . Chaque duo (GL – JL, GL – DL, JL – DL) tire le suc de la combinaison instrumentale et les trios vont dans de multiples directions assez peu descriptibles dans le détail, un véritable patchwork mené par une logique imparable et le feeling de l’instant. Comme signalé plus haut, la contrebassiste y révèle son jeu d’actrice parfaitement consommé. Il est question d’une publicité pour un produit qui sert à  astiquer le bois de la contrebasse et qui se termine aux cris de « Papa, Papa, Papa ! ». J’y trouve le plaisir fou de jouer et une spontanéité exubérante, des idées fantastiques ou tout-à-fait folles, la conjonction inespérée de la flamme de Lazro et son timbre acéré, du chant déjanté de Léandre en complet accord avec une contrebasse à l’archet qui musarde et les bruissements / éructations dingues de Lewis au trombone … . Il faut se souvenir que Georges actionnait  la coulisse avec l’embouchure contre ses lèvres ou sa joue et que cela produisait des timbres et des sons bruitistes étonnants. Il fallait le voir pour le croire : une véritable basse-cour ! On trouve une partie de ce même trio inclus dans les enregistrements publiés par Hat Art avec les fameuses pochettes / emballages postaux cartonnés au bord rouge sous le nom de Daunik Lazro et le titre Sweet Zee. Il est ici réédité dans son intégralité ! L’urgence et la folie douce de ce trio est restée intacte depuis 32 ans.

Zero Sum : Fail Better ! Luis Vicente Joao Pais Filippe Jose Miguel Pereira Joao Guimaraes Marcelo Dos ReisJACC Records.
Owt : Fail Better ! Luis Vicente Joao Pais Filippe Jose Miguel Pereira Joao Guimaraes Marcelo Dos Reis No Business Records NBLP 91 (album vinyle).

Fail Better est extrait d’une citation de Samuel Beckett qui dit en gros : essaye, échoue, essaye encore, échoue, recommence mais échoue mieux. Un des principes constants de l’improvisation. Fail Better ! est le nom du quintet composé lui-même de formations existantes. La trompette de Luis Vicente, la batterie deJoao Pais Filippe, la contrebassede Jose Miguel Pereira, le sax alto de  Joao Guimaraes et la guitare électrique Marcelo Dos Reis. JACC  pour Jazz Librement improvisée et enregistrée en février 2013 à Coimbra dans la Salao Brazil, leur musique utilise des points de repère et des balises mélodiques et modales. Le jeu remarquablement lyrique et passionné du trompettiste s’envole dès le premier morceau, pendant que la contrebasse fait vibrer un drone et que les percussions colorent. Improvisations libres dans une aire jazz free où affleurent subtilement des sons et une approche sonique plus radicale comme le duo percussion guitare du troisième morceau qui entraîne le reste du groupe dans une tentative totalement libertaire. Si la chronique du cd précédent (Enfances de Lazro Léandre Lewis FOU Rds) soulignait l’effet patchwork comme étant une dérive décidée dans l’extrême instant, une échappée centrifuge de multiples désirs, Fail Better fonctionne comme la confluence de plusieurs pratiques improvisées entre le jazz contemporain et l’improvisation libre avec une  volonté de cohérence orchestrale tout en créant un effet patchwork. On joue très « ensemble » en quelque sorte. Les structures de la musique sont relativement simples et épurées, un brin minimalistes à certains moments de la part du percussionniste et du contrebassiste. Mais le batteur peut se mettre à tirer des sons pointus qui attirent l’écoute à la Paul Lovens ou Roger Turner. Le guitariste tutoie parfois le blues de loin ou saute à pieds joints au-dessus de la bienséance jazzy. Le trompettiste est très souvent en point de mire dans la plupart des morceaux avec son style lyrique et polymodal, quasiment accompagné par les autres dans certaines séquences. Le saxophoniste intervient ici et là bien en symbiose avec l’ensemble. Et c’est bien là la principale caractéristique de ce vrai collectif : une grande cohérence en essayant de marier la chèvre et le chou avec talent pour créer une musique qui s’écoute avec un vrai plaisir.

Et ce plaisir est renouvelé dans OWT, nouvel album de Fail Better ! lui aussi enregistré à la Salao Brazil et publié par No Business Records. Cela démarre en évoquant Don Cherry. La caractéristique du groupe est de jouer du jazz très libre en incorporant des sonorités propres aux recherches de l’improvisation libre, des drones, des répétitions de pulsations, de sons et de timbres originaux. Un jazz expérimental en quelque sorte, lyrique mais attiré par la radicalité. On assiste à l’épanouissement de leur démarche plus d’un an après leur premier opus (Zero Sum février 2013 – Owt avril 2014). Cette musique devrait être judicieusement programmée  pour mettre un public « vierge », sensible à Miles Davis ou Chet Baker, sur la piste de musiques différentes, audacieuses. Un parti pris de simplicité. Et cela sans concessions à une quelconque mode façonnable. La facture en est claire, logique, équilibrée et la démesure poétique s’instille toujours à un moment inattendu. Circular Measureévoque irrésistiblement  l’Afrique et l’Art Ensemble et c’est le seul morceau « foisonnant » de ce très beau vinyle. Bref, du jazz libre basé sur des échelles modales, inspiré et plein de fraîcheur avec des audaces sonores. Tout est senti, vécu, spontané et assumé. Écoute recommandée si vous voulez vous faire plaisir sans vous gratter la tête.

Soul EyesJean-Luc Capozzo et Cecile CapozzoFOU Records FR CD 15.



Le label FOU de Jean Marc Foussat nous livre ici un beau cadeau musical pour une superbe (re)lecture de compositions intemporelles de Mal Waldron et Charlie Mingus en forme de medley impromptu par le superbe trompettiste Jean-Luc Capozzo et sa fille Cécile, une pianiste sensible et enjouée. Cécile, très à l’aise avec les thèmes développés et explorés, crée une trame sur laquelle le paternel souffle de manière inspirée. Tous deux cherchent à étirer les possibilités enfouies au cœur du matériau musical mingusien et  waldronien. Les « dérapages » free sont fréquents et alternent avec des variations subtiles sur la mélodie et les accords  No More Tears enchaîne sur un Goodbye Pork Pie Hat extrapolé, disséqué qui lui même se dissout en blues dans lequel surnage les notes de Nostalgia in Time Square. Tout cela sur 24 minutes.Deuxième plage : Soul Eyes au ralenti, suspendu dans le vide, intimiste et désenchanté comme si l’âme de John Coltrane (pour qui Mal Waldron avait écrit cette magnifique composition dont J.C. a gravé LA version dans Coltrane ! ). Le comping s’anime et nous avons droit à un solo de trompette qui retrace les écarts possibles de la mélodie en évoquant d’autres. Les deux musiciens créent un bel équilibre en improvisant simultanément avec des emprunts nuancés au blues. La musique prend le temps d’être jouée, écoutée, ressassée, réitérée dans les détails. Cécile s’élance seule, éclairée ensuite par un superbe contre chant en piano de la trompette pour rejoindre un Pithécanthropus Erectus déconstruit ce qui donne lieu à une suite de calls and responses avant que le Pithécanthrope de Mingus se redresse avec de beaux décalages du jeu de ses deux mains sur le clavier. On évoque Monk par instants sans y prendre garde. Cela fait 13 minutes de bonheur. Pour clôturer une belle version introvertie de The Seagulls of Kristiansund que Mal avait immortalisé avec Steve Lacy, Manfred Schoof, Jimmy Woode (un bassiste d’Ellington) et Makaya Ntshoko (One Upmanship Enja 1977). Une fois délivré le thème et la belle improvisation de Jean-Luc , le piano en donne une vision très différente que celles millimétrées que Waldron réalisait en concert. Avec la reprise du trompettiste tout en douceur,  le vol de la mouette s’estompe vers le silence. Voici donc un beau travail de ré-incarnation du jazz historique sans aucun passéisme ni nostalgie. J’aimerais bien entendre le père Capozzo avec un Ran Blake, si c’est possible un jour.

R Train on the D LineBrian Groder Trio Latham Records



Ce n’est pas la première fois que je chronique un disque en trio du trompettiste et bugliste (flugelhorn) Brian Groder avec ses deux acolytes, le contrebassiste Michael Bisio et le batteur Jay Rosen. Si j’y reviens, c’est que la musique (jazz moderne contemporain) est excellente et authentique. J’ai aussi une pensée émue pour le contrebassiste Dominic Duval, disparu il y a quelques jours à l’heure où j’écris ces lignes. Dominic a formé une paire mémorable avec Jay Rosen auprès de Joe McPhee ou d’Ivo Perelman  et Michael Bisio joue beaucoup avec les mêmes musiciens. C’est dire à quelle famille musicale appartient le trompettiste New-Yorkais qui fait d’ailleurs  référence au métro de NYC dans le titre de son bel album. Huit compositions de quatre à huit minutes avec un maximum de 9 :57 pour Retooled Logic, un titre qui souligne l’aspect recherché voire savant de la musique de Groder, faite de modes particuliers et de soubresauts rythmiques artistement articulés par un tandem basse batterie exemplaire. Contrebasse élastique à souhait tenue d’une main ferme et jeu de batterie léger et aéré. Vous conviendrez que les trios trompette basse batterie ne sont pas légion, on se souvient des trios de feu  Roy Campbell. Musicalement le trio de Groder joue à ce niveau, mais en comparaison avec une relative retenue et un lyrisme plus introverti. Toute l’attention de Groder est de phraser avec précision et application sur le rythme et les intervalles du thème (assez sobre). Les cadences sont truffées de subtilités rythmiques et le trompettiste Brian Groder a un style et une esthétique personnels qui tiennent la route sur toute la longueur des cinquante minutes du parcours de son R Train sur la Ligne D. On ne peut qu’applaudir : cette musique démontre la grande probité artistique et musicale de ce musicien au-delà du solide savoir faire. Les intervalles de chaque mode et les nuances qui peuvent en découler sont exploités avec obstination et ce n’est pas une sinécure ! Contrôler le son d’une trompette et surtout d’un bugle avec de tels écarts de notes et faire sens musicalement comme Groder le fait est tout-à-fait enthousiasmant. C’est un peu jésuite pour une partie du commun des mortels qui cherche dans le jazz la marque de l’exploit athlétique. Les ignares ont dit ça aussi de Steve Lacy. On n’entendra pas ici de trompettristerie  propre à racoller les chalands et de dégoulinants chapelets de notes exhibitionnistes qui cachent assez souvent le peu de capacité à phraser une improvisation sur la mélodie. Rien que du bel ouvrage ! En bref, je vote pour. Bien que je cours pas après le jazz moderne vu que j’ai tellement à faire dans l’improvisation radicale, j’avoue que des artistes  comme Groder, Rosen et Bisio sont l’honneur d’une vocation trop bafouée.

Madame Luckermiddle: Jauniaux Minton Parkins Marclay Otomo Luc Ex Vatcher Weston / Thea Farhadian & Klaus Kürvers / We Free Bréchet McKellar Waziniak / The Fold Tim O'Dwyer

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Madame Luckermiddle : Catherine Jauniaux Phil Minton Zeena Parkins Christian Marclay Otomo Yoshihide Luc Ex Michael Vatcher Veryan Weston ccam / vandoeuvre 1235. 1998



Voici l’enregistrement du concert à Musique Action donné par ses amis en lieu et place de celui du nouveau groupe de Tom Cora, Madame Luckermiddle, qui était programmé au Centre Culturel André Malraux avec Tom Cora décédé juste l’avant veille. Soit Tom Cora, violoncelle, Zeena Parkins, harpe et claviers, Luc Ex, basse électrique et Michael Vatcher, batterie.Les membres de Roof sont aussi présents, il  était composé de Tom Cora, Phil Minton, Veryan Weston et Michael Vatcher. Au programme  du répertoire composé respectivement par Minton & Weston, Tom Cora, Catherine Jauniaux. S’ajoute Catherine Jauniaux et, ici et là, les platines de Otomo Yoshihide et de Christian Marclay. Pour qui aime les chanteurs vocalistes qui jouent de tous les registres, cet album est un régal. Le talent de chacun trouve sa place au fil de la performance elle-même centrée sur la problématique de la question sociale, qui reste toujours aussi lancinante. Madame Luckermiddle a perdu son mari, tué sur la chaîne de la conserverie et se résigne à accepter les conditions de son patron (manger à la cantine durant trois semaines) plutôt que de faire un procès pour accident de travail. Malgré sa résignation, elle n’en pense pas moins et c’est tous ces sentiments et sa rage refoulée qui est exprimée ici. Quelques beaux échanges instrumentaux et une ambiance extraordinaire. Pour la contribution vocale de Minton et Jauniaux : 10/10.

eXcavations Thea Farhadian & Klaus Kürvers Black Copper 002


Un très beau duo de cordes sous titré Twelve improvisations for violin and  double bass. Thea Farhadian est une violoniste américaine de la côte Ouest et c’est à Berlin qu’elle rencontra un des contrebassistes les plus actifs de la ville, Klaus Kürvers. Les deux instruments résonnent et vibrent en symbiose donnant à entendre une musique improvisée de chambre du plus bel effet. Klaus Kürvers qui semble un nouveau venu fut impliqué dans les débuts du free-jazz allemand dans les années 60 avant de devenir architecte et historien de l’archictecture à temps plein et un des supporters les inconditionnels des nouvelles musiques et du jazz sans se produire publiquement. Il a suivi les développements du free-jazz et des musiques improvisées à Berlin, haut lieu incontournable pour ses festivals organisés par Joachim Ernst Berendt et FMP, ses clubs comme Flöz et Quasimodo et qui est en devenu la capitale européenne avec ses initiatives innombrables et ses musiciens accourus du monde entier car c’est l’endroit où cela se passe et d’où les groupes en vue rayonnent. Klaus Kürvers s’est remis à jouer en public il y a quelques années dès sa mise à la retraite et a développé un style aisément reconnaissable à l’archet, anguleux, boisé et mûrement construit. Son pizz est élastique à souhait et il affectionne des walking subtilement décalées. Il travaille régulièrement avec Tristan Honsinger et a enregistré avec un superbe quartet de contrebasses pour Evil Rabbit, Sequoia avec Miles Perkin, Andrea Borghni et Meinrad Kneer. Thea Farhadian est une violoniste, performer et compositrice basée à San Francisco et Berlin. Après de solides études musicales, entre autres la musique électronique au Mills College et un MFA au Interdisciplinary Arts à l’Uni S.F. State et l’étude la musique Classique arabe avec Simon Shaheen, elle a travaillé au Berkeley Symphony Orchestra sous Kent Nagano, dirigé un festival de cinéma Arménien à NYC , effectué plusieurs résidences entre la Californie, le STEIM à Amsterdam, la Jordanie et Londres, créé  de la musique pour la vidéo expérimentale et réalisé plusieurs projets mêlant composition pour violon et électronique avec un intérêt marqué pour l’improvisation. Il y a un réel raffinement dans la conjonction de leurs deux univers acoustiques. Sensibilité, sens architectural, empathie sonore, une grande écoute, émotion tangible, douze compositions de l’instant ou improvisations tendues vers un résultat final focalisé sur la musicalité plein d’équilibres et quelques tiraillements en multipliant les idées, les écarts, les tensions, la fusion ou la différence…. Chaque pièce est un petit voyage à lui seul et apporte des timbres nouveaux, des échanges qui transforment constamment la perspective et notre perception de leurs sonorités. Les couleurs sombres et fantomatiques de la contrebasse étirée s’unissent aux lueurs zébrées et fugitives du violon contemporain aux nuances infinies. Même s’ils recherchent un aspect construit et logique dans leurs improvisations vers des pièces musicalement abouties, Thea et Klaus jouent le jeu de l’improvisation jusqu’au bout. Elle a une maîtrise superbe des nuances du dodécaphonisme et des techniques alternatives et il va chercher l’intimité des sons boisés avec une réelle expertise faisant vibrer les cordes au plus fin. On leur décernera le prix Johannes Rosenberg de l’année 2016 dont les récipiendaires précédents furent entre autres en 2015 Live at Mosteiro Santa Clara a Velha  Carlos Zingaro en solo Cipsela et auparavant August Poems de Wachsmann et Teppo Hauta-Aho  et Imaginary Trio de Wachsmann Bruno Guastalla et Dom Lash, sur Bead Records, Live in Puget Ville de Barre Phillips et Malcolm Goldstein sur Bab Illi Lef, sans oublier les Kryonics de Jon Rose Matthias Bauer et Alex Kolkowski publié par Emanem. Pour en savoir plus : http://orynx-improvandsounds.blogspot.be/2011/11/johannes-rosenbergs-list-of-recommended.html
C’est vous dire la haute tenue qualitative de leur musique librement improvisée.

Strange but True : We Free KingsPascal Bréchet - Colin Mc Kellar - Thierry Waziniak  Hôte Marge12

Un power trio dynamique multi-directionnel avec le guitariste Pascal Bréchet (aussi sitar et effets), le contrebassiste Colin Mc Kellar (looper et effets) et le batteur Thierry Waziniak. Douze compositions de deux à quatre ou cinq minutes pour la plupart et deux au-delà , 9 :04 et 7 :41. Lors du concert auquel j’ai eu le plaisir d’assister ils jouaient de longs enchaînements et , ayant été invité à monter sur scène, j’ai pu apprécier la grande qualité de leur écoute. La pochette dit : « Toute la musique a été improvisée sur l’instant, pas d’ajout, pas de retrait ». Comme quoi, depuis les temps héroïques où Bailey, Parker, Lytton, Brötzmann, Bennink et Van Hove étaient quasi les seuls à jouer l’improvisation totale, celle-ci est devenue presqu’un lieu commun dans la pratique musicale d’un nombre exponentiel d’artistes de tout bord et on a l’impression que c’est devenu un moyen pour créer de la musique  dans une quantité de styles différents du classique contemporain et du free-jazz au rock d’avant-garde. Un trio de ce genre avec une telle démarche il y a trente ans aurait à coup sûr écrit des compositions. Donc We Free (référence à l’album de Roland Kirk) crée des ambiances avec des sonorités recherchées et des cadences invisibles et la musique pourrait être cataloguée comme étant du post-rock, le premier morceau évoque le guitariste Phil Miller . Il faut souligner, l’intelligence musicale, le sens de la dynamique et l’inventivité du guitariste Pascal Bréchet. J’avoue être assez allergique aux effets multiples et croisés à la guitare électrique dans l’impro pour la simple et bonne raison que pas mal de guitaristes saturent le son, confondent énergie physique et un mauvais contrôle de l’amplification au travers de la table de mixage et du P.A. ou que ce n’est pas adapté à l’espace. Bref un côté bouillie agressive, mais pas incisive, tranchante, souple et on ne maîtrise pas le B A BA de la musique électronique, car il s’agit de musique électronique sous une forme ou un autre. C’est pas mal de chose de ce genre qu’évite Pascal Bréchet  en sus d’être un guitariste subtil au niveau des doigts et des deux mains, tant la gauche sur le manche que la droite entre la fin de la touche et le chevalet. Thierry Waziniak est un excellent batteur polyrythmique, assez discret dans cet album, il s’agit de leurs débuts en trio. Thierry a joué intensément avec feu Jean-Jacques Avenel et Gaël Mevel. Quant à Colin Mc Kellar, le contrebassiste, est un British résident dans le Nord de la France et il trafique le son de la contrebasse de façon originale (Instabile). On lui doit d’avoir très judicieusement rassemblé ce trio, idée à la quelle les deux autres (et un batteur jazz pur jus !) se sont ralliés faisant de We Free un véritable collectif. Au stade de leur évolution à laquelle ils étaient arrivés lors de l’enregistrement, on les entend créer des atmosphères électrisantes, fugaces, en étageant les couches de manière mouvantes, dynamiques et une variété remarquable de couleurs sonores et de textures. C’est une démarche intéressante et qui préfigure leur superbe et très long concert de Bruxelles où les éléments ouïs ici sont été transfigurés avec un surcroît de vie et de risques, s’enchaînant dans une dimension supérieure après un échauffement progressif pour atteindre une vitesse de croisière et une communion interpersonnelle de très haut niveau. Les amateurs de psychédélique auraient été sciés. Le batteur s’impliquait à fond avec un sens remarquable de l’équilibre sonore au sein du groupe. Il a trouvé la dynamique idéale tout en exploitant toutes les possibilités de timbres et des pulsations (jeu free) avec toute l’énergie voulue comme on l’entend dans Brimming Over et Between the Material and the Skin. Ah oui, le guitariste n’en fait jamais trop pour soigner la qualité sonore, mais quand il se lâche, c’est  un feu d’artifice ! Et le bassiste crée du liant avec un vrai bon sens tout en sachant se mettre en avant avec des boucles déjantées. Strange But True me semble donc une bonne introduction à un excellent groupe qu’il faut vraiment avoir entendu sur scène si on veut faire l’expérience d’une musique post-rock improvisée de premier plan.

Tim O’DwyerThe Fold (Köln Project) Leo Records Leo CD LR 721



J’ai découvert le saxophoniste Tim O’Dwyeravec le duo The Mirror Unit  dans un cédé particulièrement enthousiasmant avec un autre saxophoniste, Georg Wissell : Wind Makes Weather  / Creative Sources CS 311. Fabuleux ! Le  projet The Fold consiste en une subtile imbrication écriture / improvisation faisant appel à deux musicien arabes traditionnels, Bassem Hawar au djozé, une petite vielle à archet, et Saad Thamir au tambour sur cadre et à la voix, le tubiste Carl Ludwig Hübsch et le clarinettiste Carl Rosman. Il s’agit d’un projet complexe où chaque musicien est à la fois compositeur, interprète, improvisateur et je dirais même improvisateur collectif. Dans ce projet, il est question des cartes du Tarot qui servent à mettre en place les structures musicales dans leur succession et leur imbrication. Le rôle de Tim O’Dwyer est de d’avoir conçu le projet et de diriger l’ensemble. Il s’agit d’un processus de co-comprovisation interactive. J’ajouterai encore qu’il y a un parallèle à faire avec le concept de xenosynchronicity (cher à Frank Zappa) auquel s’attache un grand créateur d’aujourd’hui, le contrebassiste - compositeur Simon H Fell. En effet, on entend Bassem Hawar et Saad Thamir jouer une musique de forte inspiration traditionnelle alors que Carl Ludwig Hübsch joue quelque chose qui s’apparente au jazz contemporain ou au free radical et O’Dwyer improvise « non-idiomatiquement alors que les sons de Carl Rosman oscille entre le classique vingtiémiste ou lamusique modale d’obédience orientale. Bref, il y a plusieurs esthétiques qui cohabitent, s’intègrent, fusionnent ou collisionnent, des parties modales et rythmées par le tambour sur cadre, du minimalisme sonore, du free éclaté, etc… O’Dwyer est vraiment un saxophoniste surprenant quand il jongle avec les sonorités, le son du djoze de Bassem Hawar est très proche de celle de la voix humaine et Hubsch est un superbe tubiste. The Fold signifie le Pli et dans le cadre du Tarot, le Pli de Cartes constitue un faisceau de destinées en devenir qu’il faut élucider. Le projet de The Fold tourne autour d’un Pli de cinq visions musicales auquel Tim O’Dwyer insuffle un esprit créatif et original avec le concours enthousiaste et subtil de ses coéquipiers.  Je salue cette production pour la qualité du travail accompli et pour ses potentialités bien réelles.

Too many reference points for the early Mark Wastell's Confront Records label, sorry !

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My Confront records early days

The first time I heard of Mark Wastell was from his collaboration with Trevor Taylor ‘s Avant Magazine and FMR CD-label & mailservice  (Future Music Records). Their very first Compact Disc was also one of the very first free improvised music CD ever issued in 1988, Eleven Years After with violonist Phil Wachsmann, cellist Marcio Mattos, guitarist Ian Brighton, percussionnist Trevor Taylor and pianist Pete Jacobsen. Phil, Marcio, Ian and Trevor had a longstanding musical relationship since around 1973 : Phil and Ian played in the legendary Incus 12 Balance album and in Tony Oxley ‘s February Papers / Incus 18. This quartet performed recently at Café Oto in 2016, but they never managed to make a recording until 1988. The next CD, with one or two of these musicians, which came to my attention was Icarus on FMR Records. It was Phil Wachsmann, singer Carol Ann Jackson, bass player RogerCurphy, Trevor Taylorand a young newcomer on cello, Mark Wastell who was also working as writer and interviewer in Avant. The second evidence of Mark’s activity was a track issued in one of Avant Magazine‘s CD Gift, a sort of anthology of artists linked with the magazine and FMR : there were a John Russell track, an Eddie Prévost track and a trio with pianist Veryan Weston, Mark Wastell on cello and Robin Musgrove, one of the drummers of the John Stevens’s Little Theatre Club era. So, reading avidly the listings of CD’s in sale at FMR/ Avant, I noticed a new label, 2:13 Records, managed by younger artists from Berlin and London. So I ordered Nunc, a German quartet, with Burkhard Beins, percussion, Martin Pfleiderer, soprano and tenor sax, Michael Renkel, guitar and Wolfgang Ritthof, voice. I learned from the cover that 2 :13 Music label was operated by John Bissett in London and Burkhard Beins in Berlin and from Avant that the name of the label came from a Church clock blocked on 2 :13 and located in the St Michael & All Angels Church where Mark, Rhodri and others organized and performed free improvised music gigs. This NUNC quartet sounded quite radical, more so than most of FMP recent productions or even Incus duos with Derek Bailey. At the time I heard just one great trio on FMP called Comité Imaginaire by Holz für Europa with Wolfgang Fuchs, Hans Koch and Peter Van Bergen and that’s it ! I bought this cd in the Mole Jazz shop on Gray’s Inn Road along with Dada Da of Phil Minton and Roger Turner, the very first recording of improvised music recorded by Martin Davidson himself, following Martin’s return in London and just before the launch of the newly digital Emanem label which changed the face of British  recorded free improvised music in the late nineties and 2000’s. So it was a strong second wave of bigger interest in « the » music  since it growed in the mid seventies with Evan, Derek, Lol, AMM, John, Trevor, Rutherford, Lytton, Oxley, McGregor, Moholo, Ossie, Maggie, Phil and Phil and Roger ! Strangely, I bought these two cd’s the same day when I saw Mark Wastell in the flesh for the first time in the Red Rose. Roger and John Russell were on the bill on a Mopomso gig but Roger’s fly from touring abroad was late and Mark brought him kindly with his car at the last minute. Since then, I knew that Mark, one of the few new young players of his generation, behave at the service of the community.
Avant published also an ad for the UK tour of Phil Durrant, Burkhard Beins, Michael Renkel and a fourth artist, perhaps Rhodri Davies and it was something fresh in the air. So next time, I read that a new CD was out on Mark Wastell’s imprint, Confront Records with the number Front 05. It was  Assumed Possibilitieswith Chris Burn, piano,  Rhodri Davies, harp, Phil Durrant, violin and Mark Wastell cello recorded in 1998. A cheap white cardboard digipack with the black and  white cover – text only pasted treasuring quite spaced and raw sounds from alternative techniques’ instrumental manœuvres : restraint, exploratory, challenging. Chris played the innards,  Rhodri ‘s sounds seemed coming from a strange machine and Phil was more extreme than with his tenure in the trio with John Russell and John Butcher. The listening requested more concentration and  close listening than many recordings of the older generation. So I tried to get other recordings of Confront but they were already sold out. So I found Ghost Notes of the IST trio on Bruce’sFingers/BF28 with both Mark, Rhodri and bassist Simon H Fell with compositions for improvisers. And also All Angels on EDO with Rhodri, his sister Angarhad Davies on violin and cellist Nikos Veliotis, as the Cranc trio. This latter album sounded absolutely great and retrospectively like the last « classical » free improvisation recording from these players ever, before they shifted to new aesthetics. Also of interest and bought from FMR, two new 2 :13 Music issues :  the manifesto of the future Berlin Reductionnism: Moos(2 :13 Music cd 008/009 ltd edition of 150) and Odyn Galch,music for Harp and Guitar(2 :13CD010) by Rhodri Davies and guitarist John Bissett, to this day still the responsible of 2 :13 Music. Moosis a very spaced and subdued duo music, litterally scratching lightly the surfaces of the instruments, by  Activity Center, the duo of percussionnist Burkhard Beins and guitarist Michael Renkel. The artwork paper packaging was very much complicated to unfold !  Just after this, there was the Raducalisation of Mr Malfatti and the acknowledgment of the work, ethics and practice of AMM’s Eddie Prévost and Keith Rowe by younger players and listeners. Suddenly many people played closer to silence and drones.  And from then I got the feeling that this nucleus of players become a real new wave in the field of improvisation, specially when I ordered and listened to the first TheSealed Knot, 21 :11 of new music by a new trio with Burkhard Beins, Rhodri and Mark, reference number Front 06on Confront and recorded at All Angels the 14th april 2000. This sounds like another world inside the improvised galaxy and the resonant acoustics of the church wasn't foreign with the idiosyncracies of the music. I loved this recording a lot because of his soft noise aesthetic and the great use of silence or playing on the border of silence. The harmonics of Rhodri's harp, his bowing on the strings with resonant objects, the small sounds and high metallic hits of Burkhard, his use of the bow and Mark Wastell restraint on the cello. My friend Tim Fletcher had recorded this concert as he did very kindly with other gigs in these mentionned here. 
Then, I attended many  Freedom Of The City festivals in London and caught Mark's performances. Firstly in 2001, the Quatuor Accorde (Phil Durrant, Mark Wastell, Charlotte Hug and Tony Wren) and the Chris Burn Ensemble with John Butcher, Mark Wastell, John Russell, Chris Burn piano & percussion, Matt Hutchinson on synthesizer & electronics. This set went in the Horizontal White CD on Emanem, the only totally free improvised Chris Burn Ensemble recording. All these guys plus Phil Durrant, Rhodri, Axel Dörner, Marcio Mattos and Jim Denley were  playing in a great CBE's Navigations Cd on Acta. The Quatuor Accorde had a nice issue on Emanem, Angel Gate and later Emanem issued a great anthology double cd with All Angels' performances of solos and duos with Butcher, Prévost, Tomlinson, Sanders, Turner, Beresford, Fabienne Audéoud, Matt Hutchinson, Oren Marshall and Veryan Weston at the church organ (All Angels 1999-2001 Emanem 4209). These performances sounded often in the musical spirit of their organizers, Rhodri Davies and Mark Wastell.
The following year, 2002, in the same FOTC, performed a nice duet of Mark Wastell and his dear friend trumpet player Matt Davis. Very restrained music on the border of silence with few movements and zero agitation. I had just listened to Mute Correspondance, a great album of Matt Davis with dancer Rosa Muñoz, being Front 007 (although the formers were numbered 05, 06) with a very creative translucid packaging/cover sleeve with notes. Matt Davis told me that, for himself, the duo of Veryan Weston and Trevor Watts played the greatest music in the FOTC 2002. Other 2001 recordings of note to be issued was Surface Plane of Beins/Davies/Wastell on Meniscus. And of couse Incus issued a new Company double CD, Company in Marseille (Incus 44) with no one else than the whole IST trio : Rhodri, Mark and Simon with Derek Bailey  and tap dancer Will Gaines ! This edition of Company even performed with John Zorn in NYC (see also IST New York featuring John Zorn CCS 40). The IST trio is also featured in one track in the a/l/l CDAudiology 11 Groups In Berlin Total Music Meeting2001 and their whole concert was found later in IST Berlin ccs 13. This concert marked a white stone in the evolution of the Berlin avant scene.
For myself, one of the pinnacles of such period/time for my feelings and imagination was the quartet issued by « confront recordings london preservation series » under the reference FRONT 10 (the first zero of James Bond’s 007 vanished !) with only 30 minutes of music of Rhodri Davies, Matt Davis, Mark Wastell and a great flutist, Alessandra Rombola. Such short time of playing takes its source with the fact that any London gig is always a three-act-bill since John Stevens and Trevor Watts invited Derek Bailey to share evening dates in the LTC as a soloist improviser in order that there would be at least one listener or two in case of nobody showed up which was very often. I suppose, as Mark wrote me years later, that the copy of this FRONT 10 I got was a bootleg and by now the sound is actually damaged .
Unfortunately, I missed a Confront limited edition cd by the trio Matt Davis/ Phil Durrant / Mark Wastell issued in 50 copies (recorded 2000 at All Angels and reissued now as ccs 24). And I don't find back the first Confront solo of Nikos Veliotis, beta (letter B in greek) as front 08, but managed to get two Cd'r of Texturizer of NK & Coti Kfrom Nikos himself. At the time I become a good customer of Mark Wastell's shop Sound 323 at 323 Highgate. I bought from him the very heavy Charlie Patton Revenant Box and other items. When Mark operated Sound 323, Confront shifted to a regular CD company with austere digipacks. This new Confront policy was launched by Trem as Confront 11, a great solo of Rhodri Davies recorded in 2001, which expressed the new esthetic. A real tremendous sound experience. There was also an interesting silent and almost Raduesque solo of Nikos Veliotis, Radialas Confront 13 and a very silent Foldingsby Tetuzi Akiyama, Toshimaru Nakamura, Taku Sugimoto and Mark Wastell with the number Confront 12. So, then, I knew how was New Silence !
 In 2003, FOTC had the trio IST on the bill, with Simon, Rhodri and Mark (I made the picture which is in the  CD Conway Hall on Confront) and their music was more restrained than on Ghost Notes. Sort of small sound events which waited each other to happen. I was staying at Veryan Weston’s home (as i did the other years) and VW told me about the « London New Silence » speaking also about a sort of schism inside the music community. The year before, the Assumed Possibilities quartet  recorded his second cd for the italian label Rossbin with the title Still Point, meaning perhaps « not yet London New Silence » ! Anyway, this is an excellent music in the style of the Davies/ Wastell /Durrant team on the moment of their radical shift. Beautiful "soft" noise music with a lot of nuances and details on the limit of silence. Two years later,  were issued the Confront Collectors Series cd's in convenient coloured plastic case. The word "Case" makes me think that this music was also tagged as lower case. In 2005, while I was performing in London with John Russell, Mark made me very kindly a gift of unwanted object, CCS1, a new sound departure of the IST trio recorded in 2004.
So were the early Confront days…
here : http://www.confrontrecordings.com/#!releases/kps69 


Sequoia Borghini - Kneer - Kürvers- Perkin / Benedict Taylor solo/ Michel Doneda & Fred Frith / Henri Roger / Giust - Caruso - Pilat - Casadei-

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Rotations.  sequoia : Antonio Borghini Meinrad Kneer Klaus Kürvers Miles Perkin evil rabbit 21.

Enregistré en 2012 à Berlin, cette merveille de l’impro libre à quatre contrebassesétait restée dans les cartons de sequoia jusqu’à ce qu’evil rabbit ne les publie http://www.evilrabbitrecords.eu/err21.html . Basés à Berlin, ces quatre contrebassistes ont eu le loisir d’affiner leur travail, leurs relations interpersonnelles et de nous offrir ce beau travail de recherches, de sonorités, d’interactions, d’imbrications dont le potentiel se métamorphose au fil des plages embrassant des univers contrastés ou complémentaires. Un véritable orchestre de contrebasses d’avant garde. Lors des années révélatrices de la naissance de la free music, Barre Phillips a produit deux enregistrements en solo (Journal Violone / Music man a/k/a BasseBarre / Futura) et en duo avec David Holland (Music for Two Basses/ ECM). Des décennies plus tard, cette utopie musicale continue à vivre et à se développer au sommet avec ces quatre musiciens intelligents, sensibles, intransigeants. 48 :10 d’œuvres qui allient le meilleur de la composition avec le sens ludique maîtrisé des improvisateurs expérimentés. La contrebasse est explorée dans ses nombreuses dimensions sonores, les timbres sont recherchés, grattés, fouillés,  parfois inouïs, harmoniques fantômes, chocs col legno, vibrations des cordes au delà du grave, grondements du gréage, murmures sotto voce , etc... Un grand disque très contemporain. Trop d’artistes brillants se répètent. Une fois n’est pas coutume, un grand voyage sonore qu’il faut écouter absolument pour se faire une idée des possibilités réelles de l’improvisation libre assumée jusqu’au bout. Il existe un autre album de quartette de contrebasses, enregistré celui-là en hommage à Peter Kowald : After You’ve Gone / Victo avec Barre Phillips, Joëlle Léandre, Tetsu Saitoh et William Parker. Je trouve ici que le projet de sequoia est plus abouti, sans doute parce qu’il est plus focalisé sur une démarche de groupe. Klaus Kürvers est un vétéran des débuts du free jazz européen et les trois autres nettement plus jeunes, Antonio Borghini, Meinrad Kneer et Miles Perkin assurent la relève haut la main. Bel emballage noir à chemise  en papier fort avec une lucarne pour le titre : Rotations (by) sequoia. Indispensable et excellent titre, le nom du groupe soulignant l'épaisseur de ces quatre contrebassistes, s'il le fallait. Je mets ce cédé sur ma liste rotatoire au sommet de la pile.

Benedict TaylorSolo viola A Purposeless Play Subverten Pugilism Subverten

Fondateur du label collectif CRAM qu’il codirige avec deux amis, le guitariste Daniel Thompson et le clarinettiste Tom Jackson, le violoniste alto Benedict Taylor publie ses travaux en solitaire sur son label Subverten. Après Alluere et Pugilism dont les versions digitales sont incompatibles avec la carte son de mon léger MacBook, j’ai reçu la version physique en double CD d’ A Purposeless Play, sa dernière création : https://subverten.bandcamp.com/album/a-purposeless-play . Après avoir écouté et réécouté en boucle son Transit Check inaugural (CRAM), plein de glissandi microtonaux et parcouru à plusieurs reprises Pugilism, je constate que Benedict persévère dans l’exploration en renouvelant sans aucune crainte son stock-in-trade. Le premier cédé de Purposeless s’intitule : Never Apologize Never Explain, le deuxième, Agitate Antagonise Aggravate Animategribouillés au marker sur un feuillet carré blanc tamponné (la pochette en papier recyclable brun est tamponnée avec des lettrages encrés et la surface des compacts sont couverts de gribouillis compulsifs surimprimés jusqu’au cafouillage). Chaque pochette est unique, car celle dont je dispose est différente de l'exemplaire ci-dessus. Tu vois le travail de tamponnage !!
Never Apologize Never Explain : même s’il peut se perdre en chemin, Benedict Taylor sait que c’est le prix à payer pour trouver et faire sortir le métal rare de sa gangue. Il n’y a donc pas de raison de s’en excuser et comment/ à quoi bon commenter lorsque la musique est jouée sans se répéter ! Sa musique dit tout ce qu’elle a à dire. Une idée s’impose, elle est perçue, rendue, étirée, transformée, retranchée, d’autres apparaissent dans le fil du jeu incessant pour finir en beauté. Ces glissandi subtils truffés d’harmoniques aboutissent à un filet de son intime dont le caractère sonore ténu souligne la profondeur une fois que le jeu s’anime vers un contrepoint sauvage qu’il remet aussi tôt en question…. Ailleurs des frottements immobiles et presque muets sont le point de départ d’une construction complexe presque dramatique dont il retarde le développement. Il ne craint pas l’expressionnisme canaille qu’il alterne subitement à  jeu sottovoce quasi vocal sous le registre normal du pianissimo. On entend gémir le crin de l’animal. Une fois ces doigts chauffés, les vibrations des cordes confinent à une transe intériorisée. Pff… Aucune volonté d’épate, c’est la mise à nu de l’âme et du cœur. Dans l’absolu, ces successions de formes décousues sont remarquablement vécues et transmises à l’auditeur avec soin.  Benedict Taylor est un chercheur, un poète, un grand musicien, compositeur de l’instant, et un altiste très doué. L’alto exige du biceps, de la poigne et un contrôle de l’archet à la fois sensible et très puissant. Il y a des violonistes excentriques et erratiques, mais tous les altistes que je connais sont des gens aussi équilibrés qu’intenses tant l’instrument demande d’efforts et par conséquent un mental très solide pour en maîtriser les possibilités. Voici l’homme. Ici, il tente de démontrer ce que signifie de jouer sans but défini en se laissant guider par les sons (Purposeless Play).
Pugilism, sorti plus tôt que Purposeless Play,évoque, par les titres des morceaux, l’art de la boxe, sport physique du mouvement instantané dont il simule la stratégie et la tactique dans sa relation combative et énergique à l’instrument. Cet album rejoint le précité dans ma liste de découvertes enthousiasmantes que je garde précieusement sur le coin de la table alors que je pensais déjà connaître BT par ses enregistrements précédents, dont Transit Check et le Songs for Badly Lit Rooms avec le clarinettiste Tom Jackson (Squib Box). En effet, Pugilismreprésente, je pense, mieux la musique que Benedict Taylor viendrait à jouer si vous assistiez à un de ses concerts solos. Plus lyrique, on y trouve l’évidence du jeu violonistique et la quintessence de l’alto improvisé avec parfois un souffle et un grain qui ramènent un air d’Inde du Sud (pour ceux qui ont écouté les violonistes Indiens). Grandiose !
Je viens aussi de mettre la main sur Compost du trio Benedict Taylor -Daniel Thompson - Alex Ward, enregistrement auquel j’avais assisté à la Shoreditch Church à Londres en mai 2011. C’est la pierre fondatrice du label CRAM.  J’avais chanté au même concert que nos trois apôtres avec Lawrence Casserley et Phil Wachsmann (https://soundcloud.com/jean-michelvanschouwburg/stleonards-part1?in=jean-michelvanschouwburg/sets/frogs-by-mouthwind) et le moins qu’on puisse dire est que l’acoustique particulière du lieu  rendait indispensable un enregistrement minutieux pour profiter de la musique jouée à plein régime. Ce qui fut fait ! Un beau document où on entend Alex Ward faire imploser la colonne d’air de sa clarinette, Daniel Thompson faire ses premiers pas arachnéens et Benedict Taylor au sommet de son talent.

Michel Doneda  Fred Frith  Vandoeuvre 1440


Sans aucun titre. Enregistré à Oakland, California en 2009. Comme saxophoniste partenaire de ses échanges improvisés, Fred Frith a eu une mémorable association avec Lol Coxhill, saxophoniste aujourd’hui disparu (French gigs  1978 AAA, incontournable). Par la suite, il a convolé avec John Zorn dont le label Incus de Derek Bailey avait publié un Duets extraordinaires. Plus récemment, on l’a retrouvé en compagnie d’Anthony Braxton et d’Evan Parker. C’est à l’aune de ces artistes qu’il faut apprécier le  travail sur le saxophone soprano de Michel Doneda. Dans sa relation à son instrument propre, il est sans doute l’improvisateur français (« radical ») le plus remarquable et un des plus engagés dans cette voie, sans rétroviseurs. Fred Frith utilise la guitare comme une miraculeuse boîte à sons. Il a initié et popularisé cette pratique de la guitare couchée et environnementée de préparations, d’objets et de bidouillages dans le sillage de Keith Rowe, lorsque celui-ci s’est retiré de la scène entre 1972 et 1979 pour des raisons d’ordre politique.  Tour à tour bruissante, craquante, ondulatoire, striée, minimaliste, l’électricité fait ici le retour vers un état de nature. Et c’est avec cette même disposition d’esprit que le souffleur appréhende la rencontre. Il sélectionne spontanément parmi tous les éléments que sa technique et son savoir instrumental recèlent, les timbres et les sons, souvent les plus extrêmes et les plus fins qui épousent les inclinations sonores du guitariste. Pas de « solos », mais une imbrication organique. S’opère ici une symbiose sonore, émotionnelle livrant des paysages vivants, une complete communion. L’écoute attentive transparaît dans les détails des sonorités, des accents, du feeling. Dans la dernière pièce quasi silencieuse, The Devil and the Deep Blue Sea, Michel Doneda laisse s’échapper du pavillon un filet ténu d’une seule harmonique maîtrisée, aiguisée, extrême. Un sifflement d’oiseau. La musique s’apaise et survient un éphémère battement de langue sur le sommet de la hanche, comme un léger battement d’ailes dans le lointain ! Merveilleux album. Qu’attendent les organisateurs hexagonaux et européens pour inviter (un peu) plus souvent ce saxophoniste soprano incontournable ou ce très remarquable duo. Lacy et Coxhill nous ont quitté et il nous reste Evan Parker Urs Leimgruber et Michel Doneda

Henri Roger Free Vertical Compositions Facing You / IMR 010

Henri Roger est un excellent pianiste de la scène alternative visiblement intéressé par les possibilités combinatoires de l’électronique. Free Vertical Compositions comporte 11 compositions basées sur des pulsations entrecroisées et une multiplications d’accords et de voix jouées aux claviers électroniques et aux percussions électroniques, avec une solide dose de loops qu’il a un malin plaisir à contrarier. Le musicien obtient des variations intéressantes en décalant subtilement les rythmes et évoque sans peine des voyages intersidéraux «réalistes - oniriques », plutôt Druillet que Tintin. On entend aussi des orgues qui chavirent et s’enfoncent dans l’inconnu (#4) ou les sonorités étirées d’un bandonéon.  Sans parler de contrepoints curieux. Sa démarche musicale est illustrée par des oeuvres graphiques digitales incluses dans le livret et qui évoquent indubitablement la musique. Il y a une relation évidente. Je ne vais pas cacher que cette démarche est assez éloignée de mes préoccupations aussi bien comme artiste que comme critique. Toutefois, les superbes qualités de musicien d’Henri Roger, l’aspect souvent organique des sonorités et cette impression de mystère, (car mystère il y a : All Music, design & layout : Henri Roger, mais encore ?)  parfois carrément free (#7) etc… font qu’il se trouvera certainement des auditeurs pour écouter et apprécier cette musique originalement construite. Un peu hors du sujet de mon blog, mais s'inscrivant parfaitement dans le champ des Musiques de Traverse qui peuvent mener un public (disons) prog-rock/ expérimental "rythmique" vers la découverte des possibilités de l'improvisation libres radicales et des compositeurs extrêmes. 
Par exemple : https://www.youtube.com/watch?v=5gSp66-IlS8  

Luciano Caruso Ivan Pilat Fred Casadei Stefano Giust Apnea Setola di Maiale.

Stefano Giust, le batteur du groupe est l’infatigable cheville ouvrière du label alternatif Setola di Maiale dont le catalogue débordant rassemble tous les noms de presque tous ceux qui sont impliqués dans les musiques expérimentales, free jazz, improvisées radicales etc..d’Italie. Ahurissant travail de fourmi. La qualité graphique des centaines de  CDr ou CD, souvent emballés dans des digipacks minimalistes, est remarquablement soignée.  Il trouve le temps de prêter main forte à des camarades provenant de toutes les régions d’Italie avec son drive énergique et sa capacité d’intégrer les projets les plus divers avec sincérité et une réelle justesse de ton. Ici dans la Cantina Cenci de Tarzi, Treviso, il propulse les souffleurs Ivan Pilat (sax baryton) et Luciano Caruso (sax soprano incurvé) avec la contrebasse de Fred Casadei. Un beau moment fait de sincérité, d’énergies croisées, du souffle de Caruso qui évoque Steve Lacy ou mieux les accents de Steve Potts et se découpe sur la succession de vagues et de ressacs.  Enthousiasmant, chaleureux, le son du blues. Même si les souffleurs ne sont pas des « tueurs », l’émotion est indéniable. L’axe du free-jazz souffleurs – basse – batterie dans un dimension tout-à-fait improvisée sans pour autant casser les codes de cette configuration instrumentale. Un bon point. Ce qui compte aussi pour Stefano, c’est de jouer avec de vrais potes aussi allumés que lui sans se poser de questions. Le jazz par essence est la musique de l’instant qui frôle l’éternité. C’est bien le sentiment qu’ils parviennent à partager ! 

Et bien sûr j'annonce déjà la parution prochaine de la chronique pas encore écrite du merveilleux CHANT de Nuova Camerata: Pedro Carneiro percussions /Carlos Zingaro violon /João Camões alto /Ulrich  Mitzlaff cello /Miguel Leira Pereira contrebasse publié par l'infatigable utopiste Julien Palomo d'Improvising beings dans le droit fil des préoccupations du cercle des amis de Johannes Rosenberg , le pionnier génial de l'art Total du violon.... aaaiiie !! http://www.improvising-beings.com Et bien sûr l'événement free-jazz du mois les prolongements inespérés du Linda Sharrock Network https://improvising-beings.bandcamp.com/album/live-vol-1-bab-ilo-20160825 . Il faut être un fou furieux comme Julien pour croire aussi intensément à l'utopie . C'est sans doute le meilleur du lot .... !! 



Nuova Camerata: Zingaro-Camoes-Mitzlaff-Pereira-Carneiro / Bitten by A Monkey Dylan Bates Roland Bates Steve Myers/ Joe McPhee/ Gianni Mimmo & Yoko Miura

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ChantNuova Camerata : Pedro CarneiroCarlos Zingaro Joao Camoes Ulrich Mitzlaff  Miguel Leiria Pereira improvising beings ib50


Pour ce numéro ib50, Julien Palomo nous a vraiment trouvé un superbe album dans le droit fil de l’improvisation contemporaine et du contemporain libre. Contemporain libre, comme il y a du jazz libre libre. Un quatuor de cordes violon - alto - violoncelle - contrebasse agrémenté d’un marimba, instrument requis par plusieurs compositeurs d’importance comme Boulez dans Le Marteau Sans Maître. Le quatuor, dans le même ordre,  Carlos Zingaro, Joao Camoes, Ulrich Mitzlaff et  Miguel Leiria Pereira et au marimba, Pedro Carneiro. DeChant IàChant VII,sept pièces racées et équilibrées dans leur facture où chacun trouve sa place et où l’auditeur peut suivre clairement le cheminement personnel de chaque improvisateur, lesquels font fréquemment silence laissant la place à un des autres instrumentistes.  Les durées sous les cinq minutes pour quatre morceaux, deux autres vont jusque 10 :18 , Chant II et 9 :16, Chant IV. Ceux-ci sont l’occasion de développements vraiment intéressants où les propositions individuelles colorent par leur feeling particulier la qualité émotionnelle de chaque passage : surviennent dans le Chant II des duos entre l’alto ou la contrebasse et  à chaque fois le marimba. Une fois l’alliage pris, un troisième s’intègre dans la conversation oblique et partant de ce point, une construction nait spontanément qui débouche sur des mouvements concertés qu’on croirait avoir été écrits par un compositeur bien adroit mais qui résultent d’une capacité d’écoute mutuelle et d’invention. Cela sonne quand même sérieux et appliqué si on compare à d’autres formations plus expansives, dirais-je, voire enflammées, je pense au Stellari Quartet (Wachsmann, Hug, Mattos et Edwards : Gocce Stellari Emanem 5006) ou au ZFP Quartet (Zingaro, Mattos, Simon H Fell et Mark Sanders : Music For Strings, Percussion and ElectronicsBF 59) : l’expression est proche des codes du contemporain mais avec une profonde interaction entre chaque instrument. Il y a une certaine réserve de la part des instrumentistes sans doute pour faire régner un équilibre absolu entre les parties, chaque voix, les séquences, au sein de l’espace sonore, etc…. C’est en tout cas, vraiment, intensément remarquable. Au fil de l’écoute, les affects et l’accord mutuel dans la construction musicale font naître des situations musicales qui auraient été obtenues par plusieurs procédés d’écriture. Le compositeur peut retourner à sa feuille, Nuova Camerata en assume le rôle et l’intention, ici partagée collectivement, avec le plus grand brio. Voici un merveilleux voyage mouvant, émouvant, logique, subtil, propre à répondre à la question : « c’est quoi, Papa,  la musique contemporaine ?? » (vocable quasiment septentenaire).  Et bien, pour tous ceux qui ont cru à la musique improvisée libre depuis la fin de leur adolescence ou lors d’une prise de conscience due à une frustration indicible, ON a gagné !! Il fut un temps où le grand ponte, feu Pierre Boulez, déclarait publiquement que l’improvisation, c’était « de l’onanisme en public » (sic). Déclaration commentée par Cecil Taylor (Jazz Magazine août 1975). Il y a dix ans, Pierre Boulez n’a pas hésité un seul instant à commissionner un des groupes précités d’improvisation libre lors d’un festival de Musique Contemporainedans un pays germanique où on ne rigole pas. C’était bien le but de ces pionniers (Zingaro au Portugal) : la musique n’a pas de frontières et l’inspiration provient de toutes les expériences, sans exclusive. Il fallait alors y croire * ! En voici une superbe démonstration !
* On retrouve la foi de ces pionniers de la première heure chez notre ami Julien Palomo, maître d’œuvres énamouré d’Improvising Beings, label utopiste s’il en est. PS : CD physique en attente de lien bandcamp à l’instant où j’écris ces lignes.

Bitten By A Monkey : I had a little not tree  Dylan Bates Roland Bates & Steve Myers https://bittenbyamonkey.bandcamp.com

Bitten By A Monkey se compose de trois musiciens aussi divers en tempérament qu’ingénieux à faire coexister la carpe et le lapin avec une précision et un sens formel peu commun. Steve Myers souffle dans les flûtes à bec de toute dimension, Roland Bates est un excellent pianiste et le frère du fameux Django Bates, et son frère Dylan Bates  violon, overtone flute, vièle médiévale, scie musicale et xaphoon est une des personnalités les plus originales de la scène musicale britannique. Cet enregistrement date de 2008 et est sorti en cd physique avant d’être accessible via bandcamp, la plate forme la plus musician friendly. J’ai plusieurs points de congruence auditive avec les frères Bates et Steve Myers car ces artistes sont mêlés à plusieurs projets musicaux qui vont du Texas Swing délirant et révivifié, au Médiéval hirsute et organique, en passant par une conception off-the-wall de l’improvisation libre dont BBAM est un excellent exemple. Ces derniers temps, Alterations(Beresford, Cusack, Day et Toop, excusez du peu) renaît de ses cendres après trois décennies, si l’un ou l’autre de leurs disques avaient des occurrences enthousiasmantes (écoutez la folie du concert publié par Intuitive Records), on a pu se rendre compte que l’art de l’hybridation des pratiques et des intentions musicales n’est pas une chose facile tout comme manier l’humour, la goguenardise, le délire excentrique est parfois périlleux. Tout aussi talentueux et contrasté sans aucune affectation, BBAM a choisi pour l’enregistrement de I had a little not tree une voie plus épurée détachant les interventions individuelles dans le silence créant un suspense dans les sonorités et les actions en suspens dans un temps retenu plutôt qu’en se précipitant dans le flux. Symbiose organique de l’éclectisme assumé et de l’expressivité de mélodies gauchies. Entrelacs de haikus qui s’attirent ou se repussent dans l’imagination auditive. Attractivité presque visuelle de l’événement musical et sonore isolé entraînant la réaction ludique expressive. Une belle efficacité se répand pour imprimer un feeling dans le moindre son. Lyrisme de la déraison. On voisine parfois le persiflage sans vulgarité. Les sentiments exprimés passent par tous les changements d’humeur qu’un individu sensible et imaginatif, un artiste British, traverse durant une journée à ruminer l’élaboration de ses prochains gigs dans une  économie de mouchoir de poche. Insouciance, poésie, dérision, dérisoire, gravité, désespoir, foi du charbonnier, sagacité, révolte …L’alternance des sonorités et des timbres, souffle/vent (Steve Myers) et cordes (Dylan Bates), est presque kaléidoscopique et dans ces échanges la main heureuse du pianiste (Roland Bates) est lumineuse. J’avais écouté leur précédent album, le premier BBAM nettement plus rempli, et avait été convaincu à moitié. Ici avec ce petit non arbre, on atteint une vitesse de croisière, un niveau musical considérable. Vraiment, je l’assure, on tient chez Dylan Bates un des grands excentriques British, dans le plus beau sens du terme et chacun à sa façon, à l’aune des Lol Coxhill, Terry Day,  Derek Bailey, Jamie Muir, Adam Bohman etc… Et ce penchant est conjugué par sa fratrie, Roland Bates, Steve Myers, le guitariste Jerry Wigens etc…. A la fois musiciens de jazz basiques (les styles HCF et assimilés, le Texas swing, le bop ou la musique africaine n’ont pas de secret pour Dylan qui tire une partie de ses maigres revenus dans ces univers musicaux), poètes du non sens ou du sens caché des choses, utopistes de l’universalité des musiques, BBAM et tous leurs potes doivent encore être découverts par les maîtres à penser de la planète improvisation à laquelle il manquera toujours une couleur tant que de tels zèbres n'aient pu courir dans la savane des rencontres de Berlin à Madrid. Dylan Bates est aussi son propre sosie, Stanley Bäd, auteur de plus de 120 chansons  décalées 150 % british complètement folles dans un style issu du cabaret anglais dont vous devriez avoir une petite idée si vous avez parcouru les albums des Kinks voire certaines chansons des Beatles (remarque : la chanson décalée française n’a jamais fait rire un Bruxellois au parfum de la zwanze éternelle, mis à part Bobby Lapointe). Stanley Bäd en assure toutes les parties instrumentales et, issu de sa fertile imagination, son projet « médiéval » déjanté A Folysse Fyssh  convie des visions breugheliennes voire celles du maître d’Hertogenbosch…. Plus que ça tu meurs.

Joe McPhee solo Flowers  Cipsela 005

Enregistré en 20009 dans le festival Jazz ao Centro à Coïmbra , cet album solo nous fait entendre Joe McPhee au seul saxophone alto dans septcompositions personnelles , alors qu’il joue plus souvent du ténor et du soprano. Il y a de « véritables » saxophonistes alto dans le jazz libre comme feu Jimmy Lyons, Anthony Braxton, Sonny Simmons, Trevor Watts ou Marco Eneidi qui vient de disparaître. Mais le but de Joe Mc Phee n’est pas d’investiguer toutes les possibilités de l’instrument, mais de transmettre un message lyrique, de faire sortir sa voix à travers l’instrument dans des thèmes – ritournelles en dérivant de leurs axes vers un chant libéré. On lui doit, avec plusieurs autres, la « deuxième libération » du jazz libre après la première vague des sixties, renouvelant ainsi l’apport aylerien. On entend une version de Knox(plage 3), morceau fétiche qui se trouvait sur son premier album solo Tenor(Hat Hut C), indispensable. Knox rend un hommage à Niklaus Troxler, organisateur du Festival de Willisau dès 1975. Troxler avait eu le culot de présenter cet artiste encore inconnu et tout-à-fait atypique. Les deux premiers concerts de Joe à Willisau en 1975 et 1976 et Tenor furent parmi les tous premiers albums du label Hat Hut, devenu hat Art par la suite et enfin Hatology.  D’ailleurs, ce concert eut lieu en présence du même Niklaus Troxler  pour l’inauguration de son exposition d’affiches, Troxler étant un artiste graphique remarquable.  En plus de quarante ans de vie musicale, Joe Mc Phee ne s’est jamais départi de sa liberté de ton, de spontanéité et de sa fraîcheur comme quand il se met à siffler un thème  dédié  malgré le fait qu’il est devenu une icône incontournable et une artiste prolifique par le nombre de concerts, festivals et d’enregistrements qu’on ne compte plus. Cela dit, s’il y a une émotion palpable, que l’atmosphère se réchauffe et la passion poindre au fil des morceaux et que j’éprouve du plaisir à l’écouter, cette prestation me semble en deçà de celle de Tenor que je tiens pour un album incontournable. Il y joue du ténor avec une voix éminemment personnelle et c’est vraiment son instrument. Avez-vous seulement une fois entendu Rollins ou Coltrane ou Lacy à l’alto ? Ou Braxton au ténor ? Third Circle, dédié ici à Anthony Braxton, évoque une pièce de celui-ci incluse dans son double album Saxophone Improvisations Series F pour America que j’ai écouté des dizaines de fois.  Je ne peux pas m’empêcher citer quelques saxophonistes alto qui méritent d’être écouté d’urgence pour l’originalité de leurs concerts solo. Dans le cadre polymodal (initié par Steve Lacy : Gianni Gebbia, vraiment un grand original incontournable (H Portraits et Arcana Major - Sonic Tarots pour Rastascan) et Trevor Watts (Veracity /FMR & World Sonic/ Hi4Head) , un créateur historique qui étonnera toujours. Dans une voie « éclatée » : Georg Wissel de Cologne (The Art of Navigation/ NurNichtNur) et l’explosif Stefan Keune (Sunday sundaes/ Creative Sources). On peut citer les très subtils Audrey Lauro ou Massimo Falascone, lui-même un connaisseur remarquable de l’univers de Roscoe Mitchell. Justement, cela me rappelle que Roscoe Mitchell a gravé avec son incroyable concert solo à Willisau 75 (justement) sur son double album Noonah (Nessa) dans des circonstances difficiles. Il remplaçait Braxton et le public « branché » chahutait.  A côté d’une telle performance, Flowersmanque vraiment de sel. J’aime beaucoup Joe Mc Phee (un super double album 45rpm du trio X pour No Business que je n’ai pas hésité à acheter) et Cipsela est un excellent label (le fantastique solo de violon de Carlos Zingaro). Mais si sa carrière a démarré en Europe, il y a quarante ans c’est parce qu’il apportait autre chose, il est donc naturel que certains veuillent aujourd’hui se passionner pour d’autres artistes qui creusent la différence.

Gianni Mimmo & Yoko Miura  DepartureSetola di Maiale SM 3140.

Voilà qui est beau ! Ayant moi-même chanté sur scène avec ces deux artistes et amis, je les retrouve dans un même disque et cela me rend heureux. D’abord, je dois préciser que c’est un peu le hasard qui les a mis sur ma route et que, de prime abord, je n’aurais  pas pensé travailler avec eux, simplement parce que ma direction esthétique personnelle est sensiblement différente dans l’univers des musiques improvisées. Seulement Gianni Mimmo (sax soprano) et Yoko Miura (piano) sont tous deux d’excellents artistes et c’est un réel challenge de chanter avec eux et de créer des correspondances entre nos univers respectifs. Nous partageons tous les trois un travail avec Lawrence Casserley et son live signal processing. Récemment, un concert avec Lawrence et Yoko à Oxford s'est déroulé de manière inespérée ainsi qu'un duo avec elle à Louvain. Donc ayant du "tirer mon plan" avec  mes ressources musicales face à cette pianiste, je suis sans doute suffisamment habilité à mesurer les écueils d'une telle entreprise. Dans cet album enregistré  à Milan par Paolo Falascone au studio Mu Rec, Gianni Mimmo sort de lui-même et c’est un nouveau  Départ (Departure). Il trace de nouveaux espaces par rapport à ce que je connais de sa musique et il finirait par se recopier si de tels challenges ne le poussaient hors de ses gonds. Ici,  il adopte des réflexes d’improvisateur de l’instant même s’il est confronté à une pianiste qui joue de manière « plus conventionnelle » que la plupart des free musiciens auquel ce blog se consacre quasi-exclusivement. Par exemple, on l'entend souffler avec un growl primal alors que la pianiste croise les rythmes en martelant un Boogie Woogie Wonderland lunatique. Dans Prologue et Departurequi ouvrent successivement (avec succès !) l’album ou dans le long Rain Song final,  Yoko Miura nous livre des Haikus en suspens qui mettent subtilement en valeur la voix singulière de Gianni. De belles nuances qui dévoilent la subtilité intérieure du jeu. C'est elle qui a composé l'entièreté de la musique, une suite polymodale remarquablement enchaînée avec force passages obligés, mais qui offre une grande liberté au souffleur. Elle joue aussi brièvement dans les cordes du piano juste ce qu’il faut et d’un harmonica à tuyau ou d’un xylophone, ajoutant quelques couleurs sur le côté du plus bel effet. Le cheminement de sa pensée musicale dans l’instant et tout au long de ce disque, nous démontre sa capacité à construire sur la longueur avec une réelle qualité compositionelle. Cette rencontre nous fait oublier que Gianni Mimmo se réfère à l’expérience de Steve Lacy au point que certains y trouvent à redire. Son jeu au soprano et le son qu’il obtient font de lui un souffleur qui accroche l’oreille et ouvre le cœur des auditeurs. Ici, les risques pris dans cette rencontre en terrain peu familier pour lui (il s'agit des compositions très travaillées de Yoko Miura) créent une urgence intérieure propice à la surprise. Ce duo devrait absolument se poursuivre en public pour grimper encore en intensité et en assurance. C’est le genre d’album qu’on écoute pour le plaisir et qui a été enregistré d’une traite comme une conversation entre amis qui commence et finit et dont on sort heureux et réjoui avec de nouveaux sentiments en tête. 

Some jazz things : Duck Baker Trio, Generations Quartet w Oliver Lake,I Am Three, Stefano Leonardi's Conversations and Ceccaldi - Léandre

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Malgré l'avertissement imprimé ci dessus qui indique clairement que le sujet de  mon blog est consacré majoritairement à l'improvisation libre radicale, tout en commentant parfois des enregistrements plus proches du jazz "free" ou des oeuvres basées sur une forme d'écriture ouverte, je reçois des albums qui se situent tout à fait hors de l'objet de mes réflexions. Donc, certains albums reçus ne seront jamais chroniqués parce que je ne peux pas m'étendre sur tous les sujets et que j'estime que ma compétence est insuffisante dans d'autres domaines. Et je n'ai aucun autre collaborateur. En plus, je ne suis pas un critique, je suis avant tout un praticien de cette musique (chanteur) et si je continue à écrire (depuis 1999), c'est d'abord et surtout parce que de nombreux collègues improvisateurs en sont heureux et qu'un lectorat se mobilise pour suivre le contenu de ce blog...  Il y a donc une confusion à mon sujet ! Bien sûr, je chronique un Ivo Perelman qui sonne "jazz", mais c'est avant tout parce que ce musicien de première grandeur (une voix unique du sax ténor) pratique un jazz librement improvisé et très consistant. Son label Leo m'envoye donc des choses excellentes ou intéressantes (Zurich Concerts), mais il ne faut pas compter sur moi pour commenter le récent Sergey Kuryokhin The Spirit Lives d'Alex Aigui & Ensemble 4'33 Leo CD LR 750/751, cette musique se situe hors de mon sujet. Si j'ai chroniqué le disque jazz traditionnel du Duck Baker Trio, c'est que ses trois musiciens sont des improvisateurs libres, que Duck Baker est un créateur hors norme et que son propos va plus loin dans la connaissance des origines et du contenu de cette musique que celle de bien des jazzmen de conservatoire. Son savoir est à la fois encyclopédique, humoristique et basé sur une pratique étendue. Et donc, je pensais qu'il était intéressant de voir jusqu'où ces gars sont capables d'aller. Une des choses que je trouve lassante dans le jazz libre (free - avant g.), c'est le recours systématique au sempiternel tandem basse-batterie propulsant des souffleurs. Et quand il y a des thèmes et que chacun joue son solo et qu'on retombe sur le thème... etc.... pfff... . Je fais déjà des efforts pour chroniquer certains disques parce que les musiciens impliqués sont bien méritants et courageux etc... et qu'ils ont un réel talent.... Mais si votre musique ne se situe pas dans le champ déjà très large de mes préoccupations, il ne faut pas s'attendre à lire quelque chose de ma part. L'album ci-dessous, Conversations About Thomas Chapinest déjà un cas limite. Mais pourquoi "about Thomas Chapin" ? Mon point de vue est que si on a quelque chose d'intéressant à dire on n'a pas besoin d'un maître à penser ou de se référer à qui que ce soit ou alors il faudrait interpréter la musique de cette personnalité incontournable de manière originale. Sinon à quoi bon ? Flow m'a convaincu car Lake, Fonda et Stevens essaient avec succès d'improviser collectivement dans le cadre qu'ils se sont choisis tout en assumant les risques avec brio et pas mal d'audace. Honnêtes ! Aussi, comme j'écoute très peu d'albums de jazz récents depuis des décennies en me réservant à des choses incontournables comme par exemple le trio de Jimmy Giuffre avec Paul Bley et Steve Swallow dont Emanem va publier les concerts de Bremen et Stuttgart de 1961 (wow !) ou Sonny Rollins au Village Vanguard, Coltrane etc... Depuis les années septante, je soutiens la musique improvisée libre et j'ai aussi entendu des réflexions incroyables (ment méchantes) provenant de l'univers du jazz (musiciens, organisateurs, journalistes, personnalités etc...) au sujet des meilleurs artistes de la free music européenne au niveau musical exceptionnel. A force d'être plongé dans la musique de ces nombreux artistes improvisant librement,  je suis devenu très difficile dans le domaine du jazz même si j'apprécie les qualités intrinsèques d'un individu et son bagage musical : je m'intéresse au sens des choses ! 

Conversations about Thomas ChapinStefano Leonardi Stefano Pastor Fridolin Blumer Heinz Geisser Leo Records CD LR 702
Publié en 2014, cet album Leo m’a échappé à sa sortie mais mérite qu’on s’y arrête. Articulées autour de l’axe helvétique contrebasse – percussions formé par Fridolin Blumer et Heinz Geisser, celui-ci étant un habitué du label, se développent les Conversations entre le flûtiste Stefano Leonardi et le violoniste (« électrique ») Stefano Pastor, lui-même entendu dans d'autres contextes le révélant comme un artiste au son original. En effet, la musique de Pastor se marierait parfaitement avec celle de l’altiste Mat Maneri (alto = violon plus grave, faut-il préciser). L’intérêt de ce quartet  réside dans plusieurs éléments qui se coordonnent naturellement : le flux polyrythmique free du batteur sensible et inventif qui ouvre le jeu collectif, le contraste entre la sonorité particulière et la polymodalité systématique du violoniste et le son truffé d’harmoniques inspiré des techniques contemporaines du flûtiste. Le tout réuni par la pulsation libre du contrebassiste, assez en retrait. Une musique collective pleine de qualités et d’ouverture reposant sur l’idée du jazz libre « libre » ou composé instantanément et propulsé par le tandem basse-batterie, la basse incarnant le rôle fonctionnel qu’on lui assigne dans le jazz proprement dit. Les crédits instrumentaux nous informent que Leonardi jouent « des » flûtes sans préciser lesquelles. Je l’entends tenter de faire swinguer une flûte basse avec un certain taux de réussite et cette volonté à l’heur d’apporter une autre couleur qui s’accorde bien avec le timbre du violon électrique. Le jeu de Pastor, assez virtuose, a cette coloration particulièrement chaleureuse qui n’appartient qu’à lui : son approche du son amplifié est originale et peut aisément se prêter à des mariages sonores très riches, principalement avec des instruments à vent. Il s’essaie aussi à la microtonalité, ce qui enrichit le niveau des Conversations. On se souvient du merveilleux concert de Novara en compagnie de Gianni Mimmo (sax soprano) et d’Angelo Contini (trombone) publié sur Amirani, dans une formule originale s ‘il en est. Le défaut de son approche, assez jazz finalement, est que ce violoniste n’exploite pas les nuances de timbre, d’attaque et de dynamique propres au violon, un des instruments les plus fascinants de l’univers musical toutes catégories. Il ne se départit quasi jamais de son phrasé polymodal souvent pentatonique proche de la vocalité d'un chanteur de blues mais s'essaie à varier ses improvisations sur la durée. Le flûtiste recherche, quant à lui, à renouveler ses propositions au niveau des timbres, des idées et des nuances apportant de l’eau au moulin collectif. Un hic : la prise de son n’est pas optimale, la dynamique propre à la flûte n’est pas assez rendue et le bassiste est relégué dans un coin du champ auditif.  Le batteur, Heinz Gesser, qui a vécu aux USA et joué souvent avec William Parker et le pianiste Guerino Mazzola, est vraiment remarquable par son écoute et la diversité complexe de ses frappes et de leurs enchaînements : on peut se concentrer sur son jeu à l’écoute au casque : un régal. Le titre du disque est un hommage au grand saxophoniste disparu Thomas Chapin, lui-même une sacrée pointure à la flûte. D’excellents musiciens qui ont véritablement intégré l’acte d’improviser ensemble et cela s’entend ici, avec la réserve qu’ils sont capables de graver un opus (live ?!) un cran au-dessus de ces Conversations. Donc de bonnes raisons de les écouter en scène.

Generations Quartet Flow Oliver Lake Joe Fonda Michael Jefry Stevens Emil Gross Not Two
Rien n’est plus sympathique que l’association humaine et amicale du bassiste Joe Fonda et du pianiste Michael Jefry Stevens qui ont déjà traversé à deux plus de deux décennies avec leurs trios, quartettes et quintettes en compagnie d’indiscutables : le saxophoniste Mark Whitecage , le trompettiste Herb Robertson, le batteur Harvey Sorgen , etc…. soutenus imperturbablement par le label Leo records. Un vrai groupe de scène – toujours le même que celui de l’enregistrement, le Fonda Stevens Group. Bref des honnêtes gars ! Ici Not Two a publié un quartet où le batteur a un rôle swinguant et relativement musclé (cfr Rollin’ signé Lake) et le souffleur est de la trempe d’un vrai fils spirituel d’Eric Dolphy, Oliver Lake. J’ai entendu Oliver Lake dans ma jeunesse et j’appréciais, mais au fil des années je me suis mis à aimer sincèrement son jeu au sax alto (comme avec le Trio qu’il partage avec Reggie Workman et Andrew Cyrille) : il a vraiment bonifié son jeu de manière exponentielle dans son domaine au niveau des tous meilleurs (encore en vie !) de l’instrument : Roscoe, Trevor Watts, Sonny Simmons … et vraiment peu d’autres…). Musicalement, il exprime le mieux qu’il est possible la vérité et le courage de ses racines en les conjuguant avec une réelle ouverture vers la réalité qui se joue dans l’instant. Sur base des idées – compositions - schémas de Lake (deux), Fonda (deux) et Stevens (trois), les quatre musiciens développent une musique en concert qui alternent swing contagieux, improvisation solitaire ( ah le coup de pouce du bassiste !), équilibres instables dans un free aussi maîtrisé qu’il permet à chacun de lâcher prise puissance et finesse conjuguées, espace de recherche sonore qui point à bon escient, ….. Une richesse dans la complémentarité des appétits musicaux qui se livrent sans complaisance ni facilité. Le saxophoniste ne mâche pas ses mots - expressionnisme et réflexion -, poussé dans ses retranchements par un trio aussi charpenté que volatile. Les idées neuves les plus appropriées sont liées naturellement à la construction déjà acquise, etc…. Lake n’hésite pas à faire vibrer et éclater sa colonne d’air comme un vrai frère d’Albert Ayler (Flow), méprisant ouvertement la bienséance «des saxophonistes avec un contrat dans un label sérieux» !  Un art solide de la musique collective et spontanée basée sur un cheminement pré-établi dans lequel on insuffle la flamme des meilleurs (Mingus, Art Ensemble, Jimmy Lyons etc…) et qu’on détourne en jouant. Le temps passe quasi en un instant dans la substance et la consistance malgré la longueur des pièces (17:24, 12:43, 11 :11, …).  D’une tradition éprouvée, ces musiciens renouvellent l’agencement des affects, du vécu et de l’entente et évitent les poncifs. Le pianiste a ses moments lumineux et recueillis qui font une accalmie bienvenue et l’archet remarquable du contrebassiste introduit la mélodie du morceau suivant (La Dirge de la Fleuer (sic !) dans le quel il prend un solo superbe excellemment phrasé …. Le batteur comprend à merveille ce qu’il faut faire dans tous les cas et donc on peut saluer son travail, à la hauteur. On en a pour son argent, dirais-je ! Je remercie fortement le copain qui m’a envoyé ce disque pour que je le note ! C’est un beau cadeau musical. Mingus, Richmond, Byard, Dolphy auraient sincèrement aimé cette musique.

I AM THREE Mingus Mingus MingusSilke Eberhard Nikolaus Neuser Christian Marien Leo CD LR 752
12 compositions légendaires ou peu connues de Charles Mingus, lui-même un des deux ou trois plus géniaux, importants et indispensables compositeurs  et chefs d’orchestre du jazz moderne ou même tout court, arrangées par un curieux collectif saxophone alto (Silke Eberhard), trompette (Nikolaus Neuser) et batterie(Christian Marien). On a droit bien sûr à ces hymnes extraordinaires (que j’adore et connaît quasi par cœur) que sont Better Get…, Fables of F…., Oh Lord…….. That Atomic….., Goodbye Pork….., Self-Portrait in ……., Jelly … et Orange ………, Then Blue…… . Si ce que je viens d’écrire ne vous dit rien (du tout), dites vous que vous avez une sérieuse lacune musicale ou que vous n’avez pas assez creusé la veine mingusienne, Mingus étant, à mon avis un compositeur, du XXéme s. aussi compétent et important que Schönberg, Bartok, Cage, Xenakis, Ellington ou Monk. Sa pratique et son expérience de compositeur – instrumentiste «collectif » est une influence majeure dans la musique d’aujourd’hui, transcendant à la fois musique populaire et musique savante comme personne et poussant l’improvisation dans ses retranchements ultimes, parfois en fait plus loin que pas mal de free-jazzmen. Les souffleurs Eberhard et Neuser comprennent de l’intérieur et vivifient le message de Mingus et en cultivent souvent les nuances. Cela sonne réellement à la Mingus dans le feeling, le son et les altérations de la substance mélodique : dans Goodbye…. Ou Moanin’, par exemple.  Le batteur Christian Marien est un excellent batteur que j’ai eu plaisir à écouter en duo avec le tromboniste Matthias Müller (Superimposesur Creative Sources), mais Nom de D…. j’ai presqu’envie de fâcher !! Le batteur !!  Je me lâche : si ce musicien, excellent au demeurant (sa tentative est méritante !), pense avoir le goût et le feeling pour jouer la musique de Mingus, et bien, je pense qu’il se trompe. Pourquoi ce jeu rock trop lourdingue (on est loin de la finesse de celui d’un Jim Black) ?? Je trouve cela malheureux pour ces trois excellents musiciens et j’ai l’impression de perdre mon temps, moi qui réserve en fait l’emploi de mon temps libre à écrire sur l’improvisation libre radicale – sans références à un compositeur célèbre, sans thèmes, ni béquilles et incentives en tous genres etc…. Je suis un des rares à m’y consacrer entièrement dans le détail sans me soumettre à la censure d’un rédac‘chef… Surtout, qu’il y a des dizaines de critiques qui sont spécialisés dans le jazz sous toutes ses coutures (et censurés par leur rédac’chef).

Déjà Vouty   Duck Baker Trio Fulica Records
Richard « Duck » Baker est un véritable grand artiste de la tradition nord-américaine de la guitare. Il y a des décennies, il enregistrait pour  Kicking Mule, le label de Stefan Grossmann, lui-même fils spirituel number one du plus grand et du plus incontournable guitariste de toute l’histoire du blues (mais aussi du ragtime et du folk), le légendaire Reverend Blind Gary Davis. La pratique de la guitare (acoustique et picking pouce - index démoniaque) du Révérend illumine toute la scène de l’instrument acoustique.  C’est dire dans quel environnement musical Duck Baker a évolué. Le présent trio, dont le titre de l’album,  Déjà Vouty, évoque ceux de Slim Gaillard, distille un jazz (de chambre ?) de grande classe. A la contrebasse, un musicien incontournable (aux côtés d’Evan Parker, Paul Lovens, Veryan Weston, Mark Sanders, Roscoe Mitchell, Paul Dunmall, Lol Coxhill etc….) et un improvisateur libre indiscutable (le genre de type à aller au fond des choses) : John Edwards. Heureusement pour lui et pour la contrebasse, on l’entend un peu partout… À la clarinette, un grand artiste largement sous-estimé, magnifique dans de nombreux contextes musicaux et clarinettiste fétiche du génial compositeur- chef d’orchestre-contrebassiste Simon H.Fell : Alex Ward. Très jeune, il joua dans la Company de Derek Bailey et est devenu une des dix ou douze personnalités musicales de la scène londonienne les plus importantes. Un récent album solo de Duck Baker (Outside) publié par Emanemet enregistré entre 77 et 83 est une excellente introduction à l’univers inspiré de ce guitariste à qui John Zorn a proposé un album de compositions d’Herbie Nichols (ouf !!) pour son label Tzadik. Bien que la musique « habituelle » de ces trois musiciens navigue dans la liberté (quasi)totale ou via des structures « risquées » dans le cas du guitariste, la musique du Duck Baker trio, fondé en 2006, est du swing pur jus un brin modernisé. Même si l’instrumentation du Duck Baker Trio est similaire au trio de Jimmy Giuffre avec Jim Hall et Ralph Pena le feeling et l’ambiance, l’esprit, tout est en complètement différent. Il y a une forme d’humour, la construction des pièces à la fois traditionnelle et délicieusement abstruse, presque pour se payer la tête des puristes du jazz  conventionnel en leur montrant où réside l’imagination. Les titres de chaque morceau font parfois un clin d’œil narquois à la niaiserie des collectionneurs sans qu’ils s’en rendent compte. Le clarinettiste, au centre du débat vu la qualité vocale de son instrument et de son souffle, joue le texte pas tout à fait comme il faut, mais dans les règles de l’art avec l’air nostalgique et tout. J’aime particulièrement son solo dans There’s No Time Like The Past. S‘entrecroisent une variété homogène de styles et d’allusions à la tradition du jazz dignes d’artistes qui en ont fait une investigation minutieuse. Les compositions de  Baker démontrent à l’envi sa grande érudition jazzistique étendue par une pratique pointue. Même sans devoir lire les remarquables notes de pochette du leader, on a compris. Dans le monde du jazz, tant depuis quelques décennies qu’actuellement, il y a une idée fixe, un préjugé malfaisant : c’est que les musiciens « free » ne savent, ne peuvent pas etc… jouer cette musique dite de jazz. Mais cet univers socio-culturel étant perverti par les médias, la stratégie des majors, la cupidité et la volonté d’acclimater la musique de la libertéà ce que les décideurs estiment être « tout-public » au point que les artistes qui jouent le jeu finissent par en livrer une mouture sans âme, avec peu d’imagination et superficielle, il advient que le parfum de la liberté se hume ailleurs que sous les projecteurs, même dans ce cadre traditionnel, sans doute dans une salle à l’étage d’un pub londonien ou dans un petit festival de province. Bref, Déjà Vouty est un beau témoignage de musicalité.

Joëlle Léandre & Théo CeccaldiElastic Cipsela
Après avoir publié l’extraordinaire album solo d’un des deux ou trois géants du violon improvisé, Carlos Zingaro, Cipsela nous propose un autre album de cordes dont la qualité musicale se hisse à des hauteurs voisines, Elastic. J’ai toujours trouvé que si Joëlle Léandre a bien du talent musical, son parcours enregistré et publié était un trop étendu par rapport à ce pour quoi elle excelle. Par exemple, j’adore le trio des Diaboliques avec Irène Schweizer et Maggie Nichols. Plutôt qu’improvisatrice libre (ou radicale etc…), je qualifierais sa démarche de compositrice de l’instant pour son goût sûr à construire une musique intéressante à l’aide de l’improvisation et avec de la suite dans les idées. Fort heureusement, l’adage des compositeurs violonistes du lignage Rosenberg est ici entendu : Joëlle Léandre joue avec un autre excellent cordiste, le violoniste Théo Ceccaldi, et cela pour le grand plaisir de nos oreilles, ces deux instruments étant faits l’un pour l’autre. Cette suite enregistrée en concert semble bien organisée, mais j’imagine qu’elle a été crée dans l’instant, l’écoute, la construction, le sens de la forme etc… étant une seconde nature pour ces deux musiciens. Par exemple, on prend la liberté de faire du « call and response » explicite seulement une fois arrivé au numéro # 6 final de la suite, laquelle coule de source depuis le début et semble se terminer abruptement comme par surprise.  Mais un numéro # 7 (non mentionné sur la pochette) raconte encore une belle histoire intime de frottements indécis, allégoriques, fantomatiques. Avant ces deux événements musicaux bien marquants, on a bien mis ici l’excédent de virtuosité et d’énergie « palpable » sur le côté  pour se concentrer sur la qualité sonore et des variations subtiles sur des choses élémentaires en vue (!) de stimuler l’écoute et de créer du sens. Entente parfaite. Il se dégage une véritable maturité musicale et une sorte de qualité visuelle, picturale dans le matériau sonore. Une des qualités intrinsèques de Joëlle Léandre est le pouvoir de communiquer l’essentiel à un public qui commence à découvrir ce type de musique et de toucher sa corde sensible. Elle le fait sincèrement et son collègue a très bien compris la démarche. Une seule pointe d’humour surgit et cela suffit (#6). Johannes Rosenberg a insisté sur l’importance capitale pour les violons, altos, violoncelles et contrebasses d’improviser ensemble exclusivement. En effet, il y a une qualité sonore spécifique qui se transmet d’un instrument à l’autre et, à travers lui, vers chaque instrumentiste. Cette qualité révèle la nature de l’instrument, etc… Cet Elasticen est la preuve tangible. Je préfère cette association violon – contrebasse, Ceccaldi – Léandre, que les opus avec des saxophonistes, par exemple, auxquels Joëlle s’est livré, que ce soit Braxton ou Lacy. Même si je suis un inconditionnel des duos de ces deux artistes, il y a une logique dans les démarches musicales et il est parfois bon de suivre ce simple bon sens jusqu’à ce que la bonne fortune vous autorise tourner le dos aux évidences pour vous singulariser une fois pour toutes à la surprise générale. Donc, si je donne un avis vraiment favorable à l’écoute de cette musique, je ne cache pas qu’en matière de cordes – petits et gros violons, je préfère sensiblement l’altiste Benedict Taylor et son tout récent opus solo Pugilism, le solo de Carlos Zingaro pour Cipsela (Live at The Mosteiro de Santa Clara) et ceux de Charlotte Hug (à l’alto) publiés chez Emanem. A la contrebasse, le Volume de John Edwards. En matière de rencontres violon - contrebasse, le duo de Barre Phillips et Malcolm Goldstein pour Bab Ili Lef et celui de Phil Wachsmann et Teppo Hauta-Aho, August Steps (Bead) sont de solides références tout comme le Grand Duo de Maarten Altena et Maurice Horsthuys (Claxon). Je trouve leurs musiques plus riches, plus requérantes et correspondant mieux, à mon avis, aux défis de l’improvisation totale * et à mon expérience d’écoute de cette musique.

* Totale : par totale, j’exprime la réalité (et l’ambition) de vouloir remettre en question les paramètres (tous ou presque) de la musique dans l’instant et au fil d’une improvisation dans sa durée en concomitance avec son ou ses partenaires en utilisant les possibilités de l'instrument. Tâche ardue ou seconde nature, selon votre inclination à improviser.
PS 2 : je ne chronique pas souvent des albums de Joëlle Léandre car tout comme les soufflants Brötzmann, Gustafsson, Vandermark, Mc Phee, etc… d’autres que moi s’en chargent déjà et que le nombre exponentiel et croissant d’improvisateurs me fait préférer d’essayer d’en révéler l’extraordinaire bio-diversité, si je peux me permettre ce terme, indispensable à la survie de cette musique, et cela auprès d'artistes moins notoires que les précités. 

Music Is Now : schedule 2016 / 2017

Mia Zabelka - Ivo Perelman Art of the Improv Trio - Simon Nabatov - Annette Giesriegl & Udo Schindler - Chefa Alonso & Tony Marsh

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Mia Zabelka  Monday Sessions Creative Sources CS 320

Voici un beau témoignage d’une pratique contemporaine du violon enregistrée en concert. Travail très personnel sur la gestuelle et le son acoustique de Mia Zabelka, personnalité active en Autriche et qu’on croise sur les scènes européennes. On l'a découverte avec Maggie Nicols et John Russell dans un excellent trio: Trio Blurb(Extraplatte 821-2). Ces Monday Sessions me rassurent car j’avais trouvé son précédent opus en solo un peu superficiel avec un son électrifié qui gommait la spécificité du violon, et la musique disons, « expérimentale ». Et c’est bien ces possibilités expressives sonores et kinesthésiques qui sont mises ici en valeur dans une dizaine de pièces développant soigneusement un aspect  bien typé de l’instrument. Il y aussi une  intervention vocale proche de la poésie sonore que j’apprécie vraiment (Oscillations). Mia Zabelka va chercher des sons inouïs, sorte de sabir de sorcière sous hypnose. Strömungen est le lieu où l’instrument gratté, percuté et frotté se transforme en discrète boîte à bruits alien. Imminent Disaster voit actionner l’archet de bas en haut de manière compulsive et incarne sa dimension expressionniste. Avec Entfremdung, on peut mesurer sa capacité à sublimer l’instrument comme marqueur culturel et en faire un objet sonore, à creuser jusqu’à l’extrême les propriétés astringentes de l’archet sur les quatre cordes presque simultanément en les pressant sans relâche laissant s’échapper des microsons hyper-aigus. Stream of Consciousness est une belle construction spontanée où des éléments apparemment disparates s’enchaînent comme dans un rêve. Voici un superbe ouvrage qui, s’il ne fait pas montre de la maestria violinistique exceptionnelle des solos enregistrés de Carlos Zingaro ou de Malcolm Goldstein, atteint le même haut niveau musical et de liberté par l’ expressivité, la sensibilité, et un goût irrépressible pour un son brut, hanté. De la free-music sans concession.   Sans de tels albums, mon blog perdrait sa raison d’être.

Ivo PerelmanThe Art of Improv Trio
Volume 1 Karl Berger & Gerard Cleaver Leo CD LR 771
Volume 2  Mat Maneri & Whit DickeyLeo CD LR 772
Volume 3 Matthew Shipp & Gerard Cleaver Leo CD LR 773
Volume 4 William Parker & Gerard Cleaver Leo CD LR 774
Volume 5 Joe Morris & Gerard Cleaver Leo CD LR 775
Volume 6 Joe Morris & Gerard Cleaver Leo CD LR 776


Six albums Leo, six pochettes ornées d’œuvres graphiques / picturales en noir et blanc très expressives d’Ivo Perelman, sorte de calligraphie imaginaire et spontanée. Ses traits vifs sur la surface blanche semblent tracés d’une main sûre à l’instar des volutes de son jeu au saxophone ténor : tous deux portent son empreinte secrète.  Le trio semble être le nombre d’or de l’improvisation en matière de groupes, depuis Sonny Rollins au Village Vanguard, Bill Evans, Albert Ayler et Spiritual Unity, Ornette Coleman avec Moffett et Isenzon, le trio Schlippenbach etc… En trio donc, Ivo Perelman seconcentre dans les échanges avec ses fidèles : Matthew Shipp, le pianiste  avec qui il a gravé des duos mémorables (Callas, Corpo), le violoniste alto Mat Maneri, le batteur Whit Dickey, le contrebassiste William Parker, Joe Morrisà la guitare ou à la contrebasse, Gerard Cleaver qu’on retrouve  dans cinq des six volumes et Karl Berger au piano. Ivo a enregistré récemment des albums en duo avec chacun d’eux (sauf Parker) et certains d’entre eux cultivaient des couleurs particulières. Je pense à Two Men Walkingavec Mat Maneri ou Blue avec  Joe Morris, Tenorhood avec Whit Dickey et bien sûr les dialogues avec Shipp dédiés à la Callas. Ce qui frappe quand on écoute systématiquement ses albums au fil des trimestres dès leurs sorties, c’est la capacité du saxophoniste brésilien à improviser dans d’infinies variations, sa voix chaleureuse détaillant les nuances du registre aigu de l’instrument avec une qualité chantante, passionnée unique, tellement lyrique et amoureuse de la vie qu’il ne donne pas l’impression de se répéter. Gerard Cleaver, un batteur puissant croisé dans de nombreux groupes, se fait ici un discret poète des sons, des vibrations rythmiques avec une rare réactivité sensible et intuitive. Le but premier d’Ivo Perelman est de créer une conversation à trois où chaque participant improvise en permanence sur un pied d’égalité, le saxophone vis-à-vis de la basse, de la batterie  ou du piano, plutôt que de souffler en soliste accompagné ou propulsé par les autres musiciens. La conséquence est que son jeu s’est transformé, devenu moins éruptif depuis l’époque où il enregistrait avec Rashied Ali avec une énergie expressionniste égale à celle d’Albert Ayler. Il faut avoir entendu For Helen F (Boxholder 038/039) pour se rendre compte de l’existence de ce brûlot incandescent. Sans doute certains des albums précédents sembleront musicalement plus achevés, on pense au Counterpoint avec Morris et Maneri, à Two Men Walking,  aux duos précités avec Matt Shipp. Mais cet art de l’improvisation en trio en six volumes lui permet de chercher d’autres chemins dans les méandres du souffle et des notes étirées, altérées, ces étoiles filantes au firmament de l’inspiration. Des décennies après Ben Webster, Don Byas, Getz, Coltrane, Ayler, Sam Rivers, Ivo Perelman renoue avec cette inspiration illuminée, cette sincérité libre de tout calcul qui dit l’essentiel en renouvelant incessamment sa quête. On trouve là une démarche évoquant l’Archie Shepp des concerts enflammés (Three For A Quarter One For A Dime, Impulse), la virulence revendicatrice en moins. Le Shepp  des sixties était littéralement emporté par sa section rythmique projetant le son vers l’audience comme s’il haranguait une foule. Le référentiel du cri de Shepp vient clairement du preaching des pasteurs de l’Eglise Noire des discours enflammés de Malcolm X. Si Perelman a en commun avec le vétéran du free-jazz une incroyable aisance dans l’inspiration mélodique, il joue dans un registre nettement plus détendu et complexe en s’adressant avant tout à ses deux partenaires, sans parler de son extrême facilité dans l’aigu, où il fait chanter les notes les plus hautes de manière aussi unique que Stan Getz la saudade avec Astrud Gilberto. C’est avant tout la qualité d’écoute mutuelle et la finesse des réactions au sein du trio qui est au centre de leur message musical. En effet, et c’est bien là la différence avec le free jazz initiatique de la génération Ayler /Shepp, outre le fait que la musique de Perelman et ses partenaires est entièrement improvisée (sans thème écrit, ni motif mélodique ou rythmique récurrent), le message que celle-ci transmet se situe plus au niveau des relations entre chaque musicien comme s’ils incarnaient l’antidote au marasme sociétal actuel. L’écoute, le dialogue, la compréhension doivent être au centre des relations humaines pour que la société évolue positivement.  La musique de Shepp comme elle est documentée dans le brûlot  enregistré Live At Donaueschingen en 1968 était un cri de guerre contre l’injustice raciale,  une dénonciation virulente contre les souffrances infligées à son peuple… Shepp étant le leader incontesté, les autres servent son discours. Chez Perelman, même s’il est le personnage central, chacun est soliste à part entière, les hiérarchies sont effacées (même si c’est le son du sax ténor qui attire l’écoute) et les autres ont tout le loisir et la liberté de s’exprimer : la seule contrainte est d’écouter en permanence et d’interagir au mieux.
Autre particularité de Perelman : il a quelque chose de Lol Coxhill dans l’insistance à plier quasi toutes ses notes, à en altérer les intervalles de manière homogène sur toute la gamme. Et puis, si on écoute avec attention, se révèle l’insoupçonnable cheminement entre les particules sonores renouvelant plage après plage, disque après disque, la raison d’être de ses six volumes : si la démarche spontanée de Perelman est intarissable, on ne s’en lasse pas. Même s’il faudra bien quelques semaines pour en mesurer l’étendue. Il m’est difficile d’épiloguer plus avant sans que je me répète, mon blog ayant déjà tenté de décrire, décrypter et commenter ses enregistrements….  Là où l’improvisation libre et le jazz free se rencontrent !

Simon Nabatov Triopicking order Leo CD LR 765

Simon Nabatov est omniprésent sur le label Leo  d’abord pour son grand talent de pianiste et aussi parce qu’il est originaire de Moscou avant d’avoir émigré à New York avec ses parents et étudié la musique à la Juilliard School. Leo nous a fait découvrir les improvisateurs de l’ex-U.R.S.S. (Ganelin Trio et Sainkho Namchylak) et s’est attaché à les publier sans discontinuer. Donc, on ne trouve pas moins de 20 albums de Simon Nabatov sur le catalogue Leo avec des partenaires comme Frank Gratkowski, Nils Wogram, Matthias Schubert, Mark Dresser, Ernst Reyseger, Phil Minton, Tom Rainey, Mark Feldman, Han Bennink, Luk Houtkamp et tout çà depuis 2001, année où il avait initié sa présence sur le label avec l’excellent Nature Morte en compagnie de Phil Minton, Frank Gratkowski et Nils Wogram. Il peut s’estimer heureux, si on compare le nombre d’albums de Fred Van Hove, le pianiste préféré des praticiens et connaisseurs de la free music européenne, ces vingt cinq dernières années. Simon Nabatov est un pianiste virtuose absolument remarquable avec un background classique impressionnant et une capacité à improviser dans différentes directions entre jazz d’avant-garde et improvisation libre avec l’éclairage de la musique contemporaine. Les musiciens avec qui il a travaillé intensivement sont des artistes passionnants comme le saxophoniste et clarinettiste Frank Gratkowski et le tromboniste Nils Wogram. Récemment, il collabore avec des artistes de musique traditionnelle. Ici, picking order est un trio piano basse batterie somme toute classique et ses partenaires sont de solides musiciens. La musique très libérée (par rapport au jazz contemporain), à la fois dense, lisible, intelligente et parfois ébouriffante (quel pianiste !), requiert l’attention sans répit avec une réelle exigence. Il y a çà et là des choses audacieuses (même par rapport au free-jazz). Le tandem contrebasse batterie de Stefan Schönegg et Dominik Mahnig joue très professionnellement avec une certaine finesse, comme des jazzmen qui se mettent à improviser le plus librement possible tout en maintenant une forme de construction qui respecte le gabarit du trio piano- basse-batterie et avec des réflexes issus de cette pratique. Mais pour quelqu’un comme moi qui recherche l’originalité et l’invention et qui a été biberonné dans la musique de Fred Van Hove, Irene Schweizer, Paul Lovens, Paul Lytton, Maarten Altena, Evan Parker, Derek Bailey, Paul Rutherford, Gunther Christmann, Phil Wachsmann, Roger Turner etc… je trouve ce jeu en célérité un peu sans saveur, même si l’énergie n’est pas feinte. Je ne vais pas vous faire le coup du «je ne m’intéresse qu’à la musique improvisée non-idiomatique», car ceux qui parcourent mon blog savent que j’ai des goûts assez variés. Mais je préfère toujours l’originalité, le risque, l’imagination, la fantaisie, la recherche personnelle, le musicien qui ne ressemble à aucun autre, etc…  La technique instrumentale ne suffit pas à mes oreilles. Gageons que ses musiciens mûrissent et trouvent leur propre voix/voie créative. Sinon cela s’écoute avec intérêt et pour quelqu’un qui veut s‘initier au jazz libre / à l’improvisation à travers le piano, c’est une bonne porte d’entrée vers ces univers.

SO{U}NDAGES Annette Giesriegl & Udo Schindler Creative Sources cs319 cd

J’avais reçu un paquet de cd’s Creative Sources  tellement copieux que je n’ai pu faire la chronique de toutes les choses vraiment remarquables dans les deux mois de leur réception. Donc, je me rattrape avec un duo voix – clarinettes des autrichiens Annette Giesriegl et Udo Schindler avec de nombreux mois de retard alors que Creative Sources a déjà produit des dizaines d’autres albums. Annette, sur la photo de pochette chante dans un micro et Udo embouche une clarinette contrebasse. On l’entend aussi à la clarinette basse, au sax soprano et au cornet. Il s’agit d’une première rencontre lors d’un concert au festival Klang & Kunstà Vienne en novembre 2014 et le cd contient son entièreté dans l’ordre où cette musique a été jouée. Il y a cinq pièces : la première de 6’ en guise d’échauffement (j’entends qu’au tout début la voix d’Annette n’est pas entièrement assurée). Ensuite trois longs développements (12 :48, 13 :53 et 10 :57) et un final de 5 :15.  Les excellentes notes de pochette sont rédigées par Veryan Weston avec qui la chanteuse a collaboré, il y a quelques années (Different Tessellations Emanem 5015). Comme le souligne Veryan Weston, Udo construit sa musique au départ des propriétés de chacun de ses instruments et Annette travaille le son de sa voix en se référant avec une vraie flexibilité aux propriétés sonores des instruments de son partenaire. Elle utilise tout l’éventail de ses nombreuses possibilités vocales en les développant de manière très intelligente par rapport au cheminement du souffleur, et l’imagination est vraiment le moteur de sa démarche. L’écoute profonde est au rendez-vous tout autant qu’une réelle indépendance de chacun par rapport à l’autre. Donc très peu de mimétisme premier degré et c’est au niveau des détails, des intentions, du second degré, et de la finesse que cette écoute est palpable. Certains supporters acharnés de la free-music se focalisent sur les artistes réputés / notoires parmi lesquels certains nous inondent d’albums qui ne nous apprennent plus grand chose (même si on adore). Peu essayent de prêter une oreille curieuse à des artistes quasi inconnus tels que le duo de SO{U}NDAGES. Même si Udo Schindler ne fait pas montre de virtuosité, il fait plus qu’assurer, inspirant la réelle fontaine vocale, intarissable d’idées neuves, qu’incarne Annette Giesriegl, celle-ci étant à la fois une véritable stratège et tacticienne sur la durée en offrant toute la gamme de ses phonèmes, vocalises, harmoniques, effets vocaux etc.. quasiment sans se répéter durant les trente-huit minutes du concert et en conservant une logique interne très précise et des timbres personnels. C’est avec la technique du chant diphonique que le concert se clôture et j’apprécie sa manière de faire varier cette approche vocale (il faut savoir le faire), ce qui, sans cela, serait un gimmick.
Quoi qu’on puisse dire « au niveau technique » (beaucoup croient que c’est facile de chanter « en délirant » *), on trouve dans cet album une qualité fondamentale : savoir gérer au mieux son bagage musical, sonore et l’improvisation au fil des secondes de manière que la musique fasse sens et que chaque moment renouvelle ce qui a déjà été dit. Un vrai plaisir !!

Good Bye Red RoseTony Marsh & Chefa Alonso Emanem 5043


Situé à l’arrière d’un pub fameux de la Seven Sisters Road, à deux pas de la gare de Finsbury Park, le Red Rose Comedy Club était une salle à l’acoustique parfaite où John Russell (et Chris Burn) a organisé un concert mensuel de 1991 à janvier 2008. Un nombre incalculable d’improvisateurs et d’artistes ont pu y présenter leur musique surtout que d’autres événements y ont élu domicile bien avant l’existence du Café Oto, d’Iklectic et d’ Hundred Years Gallery. J’y ai rencontré Hugh Davies, Adam Bohman, Terry Day, Lol Coxhill, Steve Beresford dans le public. Le dernier concert de clôture avant que le local fut transformé en luna park par le nouveau locataire du complexe, eut lieu le 20 janvier 2008 et Good Bye Red Rose nous livre deux beaux échanges entre la saxophoniste soprano espagnole Chefa Alonso et le batteur Tony Marsh enregistré à cette occasion. Les autres morceaux datent de la même année. Trois improvisations au Flim Flam de 9 :51, 9 :03 et 15 :57. La dernière plage est consacrée  un extrait de concert à Huesca. Survolant les pulsations croisées de ce maître des rythmes et des timbres du batteur aujourd’hui disparu, Chefa Alonso s’aventure dans un tourbillon de notes éblouissant et chaleureux, aux intervalles étirés, sinueux , à l’attaque du son à la fois franche et fugace, souvent en respiration continue. Le batteur Tony Marsh est un vieux routier du jazz qui nous a quitté trop tôt. Cet incontournable de la scène londonienne  a joué intensivement avec Evan Parker, Elton Dean, Marcio Mattos, Paul Dunmall, Neil Metcalfe, Lol Coxhill, Nick Stephens, Didier Levallet, etc... Avant de nous quitter, TM a enregistré un Tony Marsh Quartetassez particulier et intriguant avec le flûtiste Neil Metcalfe, la violoniste Alison Blunt, la violoncelliste Hannah Marshall dans un registre musique de chambre / improvisation libre (Quartet Improvisations psi 11.06) et curieusement Stops (Psi 10.07), un album à son seul nom en duo avec Veryan Weston à l’orgue d’église (Stop Organen anglais). Comme quoi il ne faut pas trop cataloguer les improvisateurs et coller une étiquette « free-jazz » parce qu’on a entendu très souvent un batteur dans des formations archétypiques « souffleur – basse – batterie ». Donnez-lui l’occasion de publier des albums à son nom et il vous sort des choses atypiques comme ces Quartet Improvisations et ces Stops.

J’aime particulièrement ce disque parce que c’est un excellent exemple d’un percussionniste  issu du jazz qui s’adonne à l’improvisation totale en étendant ses techniques de frappe tout en restant dans le cadre du jeu de batteur « conventionnel » en faisant chanter les fûts et démultiplier les rythmes et les pulsations en toute liberté. Le développement de l’improvisation libre fin des années 60, début des années 70’s etc… nous a fait découvrir des percussionnistes qui altéraient radicalement les paramètres de la percussion tant au niveau des instruments, des techniques et des sonorités : Paul Lovens, Paul Lytton, Eddie Prévost, Roger Turner, Lê Quanh Ninh. Tony Marshreste fidèle à la conception établie de la percussion, mais son jeu a une réelle consistance, une urgence, une lisibilité, créant un dialogue – échange avec sa partenaire. Son jeu se révèle aussi énergique que respectueux de la dynamique requise pour établir un équilibre à poids égal avec la saxophoniste. Celle-ci s’engage dans un jeu serré et lyrique d’une réelle complexité, comme celle des harmonies qui sous-tend le choix de ses notes, cette course en avant vif-argent et ses croisements de doigtés particuliers. Elle ne se départit pas d’un choix assumé de fausser intentionnellement ses notes de manière à créer un réseau microtonal, homogène sur la durée entre les différentes hauteurs. On songe bien sûr à Lol Coxhill, si on veut chercher une comparaison, en précisant bien que Chefa Alonso, qui a eu un rôle déterminant dans la scène improvisée en Espagne, a son langage propre et qu’une fois l’avoir entendue, sa voix musicale nous reviendra en mémoire. Le duo renouvelle son jeu et les trames sur lesquelles il développe ses improvisations. Excellent et propre à mettre le feu aux poudres au Red Rose. 

Christiane Bopp & Jean-Luc Petit / Le Grand Fou Band/ People Band/ Paul Dunmall, Phil Gibbs, Trevor Taylor, Paul Rogers, Neil Metcalfe, Alison Blunt & Hannah Marshall

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Christiane Bopp & Jean-Luc PetitL’écorce et la salive Fou Records FR-CD19
Jean-Marc Foussat produit des albums en veux-tu en voilà en prenant soin de garnir son catalogue d’artistes légendaires comme Joëlle Léandre, Evan Parker, Derek Bailey et George Lewis (Idem 28 Rue Dunois Juillet 1982), Peter Kowald, Daunik Lazro  et Annick Nozati (Instants Chavirés), Willem Breuker Kollektief (Angoulême 18 mai 1980), Daunick Lazro, Joëlle Léandre et George Lewis (Enfances 8 Janvier 1984) et des artistes très peu connus comme le quartet de Jean-Brice Godet (Mujô), le collectif Cuir (Chez Ackenbush) et ses propres collaborations avec le clarinettiste Jean-Luc Petit (D’ou vient la lumière..) ou l’accordéoniste Claude Parle et l’altiste João Camõès (Bien Mental)…. Peu lui chaut si c’est du jazz contemporain un peu extrême (Cuir et Jean-Brice Godet), de l’impro libre ou de la musique dite contemporaine. C’est dans cette catégorie qu’on rangerait ce disque vraiment intéressant de la tromboniste Christiane Bopp et du clarinettiste contrebasse Jean-Luc Petit, aussi saxophoniste soprano. Titres poétiques ou imagés (Une image dans les voix 7’13’’, Au pays des plis 6’38’’, L’infini sur les lèvres 9’05’’, L’ombre du gel5’32’’, Dans ce bruit d’air 4’15’’, L’ombre s’efface 8’08’’, L’écorce et la salive 8’14’’), sons graveleux et bourdonnants avec une belle variété de timbres au gros monstre et volonté de s’insérer au plus près des sons de la clarinette contrebasse du côté de la coulisse. Complémentarité, souvent au bord du silence, art de la pause, instants subtils, battements de l’air au sortir des tubes, coordination du subconscient, finesse impalpable. Une véritable maturité se fait jour dans le jeu peu ordinaire de ces deux improvisateurs qui apportent du grain à moudre au moulin de l’originalité improvisée, surtout dans le dernier quart d’heure du concert (L’ombre s’efface et L’écorce et la salive). Comment improviser à deux en ne faisant penser à personne, faire sens avec quelques sons. Fou records cherche vraiment à nous présenter des enregistrements significatifs de musiciens de la scène française qui méritent d’être entendus, parce qu’ils rafraîchissent l’idée qu’on se fait de la musique improvisée. Jean-Luc Petit et Christiane Bopp sont des artistes à suivre de près, assurément.

Le Grand Fou Band au 7èmeciel. Petit label PL SON 020
http://www.petitlabel.com/pl/disque.php?ref=PL%20son%20020


Si j’ai bien compris, Jean-Marc Foussat a rassemblé dix sept amies et amis pour son anniversaire et ils ont joué de la musique tous ensemble. Pêle-mêle, Makoto Sato, Soizic Lebrat, Augustin Brousseloux, Claude Parle, Michael Nick, Jean-Brice Godet, Sylvain Guérineau, Fred Marty, Nicolas Souchal, Maria Luisa Capursoetc… artistes découverts au fil des parutions et écoutes des labels Fou et Improvising Beings. Les musiciens trouvent leur place dans le flux collectif par essais et ratures, en s’orientant à la pagaye entraînés par les courants et les alluvions au travers un territoire incertain. Chacun trouve le moyen et l’espace de jeter sa plus belle phrase dans la mêlée. Ce genre d’exercice a un mérite pour le musicien est qu’il force l’écoute et que celui-ci est obligé de se concentrer sur son jeu et de se remettre en question car avec la multiplication des propositions et l’incertitude de ce terrain mouvant, il n’est pas question de se laisser aller, de se dire OK, j’ai compris ! A l’écoute, l’auditeur est happé par cette fuite en avant et séduit par ceux qui apportent la cerise sur le gâteau. Une musique qu’il faut appréhender pour ce qu’elle est : un essai sincère de s’entendre et de faire évoluer la situation le plus positivement possible.

The People Band Live at Café Oto33eXtreme 007 /33jazzrecords.

Pour ceux qui n’étaient pas encore nés à cette époque, et ils deviennent de plus en plus nombreux, le People Band fut un des groupes de musique improvisée les plus extrêmes, tout comme AMM, le Spontaneous Music Ensemble ou Music Improvisation Company. Fondé en 1965 par inadvertance, un album produit par Charlie Watts, le batteur des Stones, sur le label Transatlantic, des concerts complètement anarchiques au Paradisod’Amsterdam, le public invité à jouer et à se mêler aux musiciens qui leurs prêtaient leurs instruments, l’échange de ceux-ci au fil du concert, des improvisations dans les parcs, jouer en sortant de scène, dans le foyer ou en sortant carrément de la salle, le concert de Bruxelles où il n'y eut que Terry Day aux percussions, violoncelle, saxophone etc.., l’enterrement du groupe dans le cimetière de Highgate en 1972 et la légende diffuse. Un des buts du groupe était de jouer sans arrêter, leur nom initial étant le Continuous Music Ensemble, changé par la suite en People Band, parce qu’ils collaboraient avec le People Show, une troupe de performance theatre alternative. Et aussi, de faire en sorte que beaucoup de choses soient permises, même les plus insensées. Par exemple, comme il suffisait qu’une poignée d’entre eux investissent un lieu en y invitant des amis de rencontre sous la bannière People Band, il arrivait que le groupe joue le même soir en Angleterre et aux Pays Bas. Une destination privilégiée, car on sait les Hollandais friands d’humour. Avec avec un groupe aussi éclaté, décomplexé, imprévisible, ils étaient servis. C’est en assistant à leurs concerts qu’Han Bennink s’est dit un jour qu’il jouerait bien aussi du violon, du banjo et du trombone sans crier gare. C'est en suivant leur exemple qu'il s’est mis à parcourir l’espace en continuant à jouer. Le réalisateur Mike Figgis, lui, y a joué de la trompette et le rocker punk Ian Dury(Sex Drugs and Rock n’roll) a fait partie de la mouvance People Band, tout comme le saxophoniste Davey Payne qui s’illustra dans les Blockheads de Dury. Deux porte-parole, mais non « leaders », le pianiste Mel Davis et le batteur Terry Day. Quelques-uns des improvisateurs londoniens les plus « anciens » de la scène, m’ont dit avoir senti pour la première fois le feeling de liberté totale de la free music européenne  en rencontrant Terry Day jouer du saxophone dans un atelier de peintre où un modèle posait  nue. Terry, peintre à l’époque (il avait étudié au Royal College of Art), se répandait dans l’espace en soufflant avec un son « déchiqueté ». Dans ce live enregistré en 2008, 2009, 2013 et 2014 au Café Oto, on croise Mel Davis, Terry Day, Mike Figgis, George Khan, Davey Payne, Paul Jolly, Charlie Hart, Tony Edwards et Adam Hart, soit des membres du groupe initial et des invités de passage comme Tony Marsh, Maggie Nicols, Ed Deane,Terry Holman (un ancien du PB), Ben Higham, Dave Chambers et Brian Godding. Des peintures expressionnistes et colorées de Gina Southgate. Aucun des instruments n’est crédité sur la pochette, comme si le disque s’adressait aux insiders. Mais peu importe : ils risquent bien d’en changer à un moment donné et ce qui compte c’est la musique et pas seulement qui joue quoi ! Leur musique est un flux, une jam monstre, du free-jazz informel, une foire d’empoigne. Des textes sont dits par Terry Day qui lui s’est remis à la batterie après l’avoir abandonnée pour raison de santé. Deux morceaux en solo du pianiste Mel Davis,  disparu en 2013, ouvre et clôture l’album en hommage à sa présence indispensable dans le groupe. Un jeu de piano lyrique et dépouillé. Ce troisième album du People Band est un document attachant et bourré d’énergie, avec de beaux échanges (George Khanà la flûte), les inévitables congas, un sax ténor puissant sincèrement free (jazz), du xylophone, la polyrythmie, des arrangements spontanés, du violoncelle scratché, des flûtes, l’écoute mutuelle, des explosions, des voicings spontanés des cuivres, parfois une ambiance sombre, la voix de Maggie, des envolées collectives dirigées par une main invisible, par de là l’anarchie, une cohérence. Une jam cosmique. Pour se documenter, Emanem a réédité People Band (1968, l’album Transatlantic et des inédits) et publié People Band 69/70 (Emanem 4102 et 5201)

Paul Dunmall Philip Gibbs Dreamworld FMRCD0348-112
Paul Dunmall Philip Gibbs Clouds Turned Silver FMRCD0372-214


Saxophoniste ténor extraordinaire que je n’hésite pas un instant à mettre sur le même pied qu’Evan Parker au niveau de l’inspiration, de la technique (surhumaine), de la musicalité, à ceci près qu’il joue plus en restant attaché aux racines du jazz, une musique qu’il connaît et pratique en profondeur, Paul Dunmall est un musicien qui réserve toujours beaucoup de surprises. Il est assez malaisé de définir son champ esthétique car la direction qu’il s’est choisie depuis des dizaines d’années embrasse bien des options au niveau du feeling, des intensités, de l’inspiration… Aussi, on est frappé par sa capacité à imprimer son empreinte personnelle dans des musiques qui semblent aussi éloignées que le « free » free-jazz intense et musclé librement improvisé, une sorte de musique de chambre microtonale onirique (folklore imaginaire ?) ou ses interventions aux multiples cornemuses qu’il joue aussi en solo (dingue).  Depuis 2000 et l’album Masters Musicians of Mu(Slam CD 241), il a effectué tout un parcours avec Phil Gibbs, le guitariste de Bristol, qui s’est concrétisé par des dizaines de concerts et une documentation exponentielle en CD’s et CDR’s qui culmine à presque cinquante enregistrements, souvent en compagnie du contrebassiste Paul Rogers. Les deux Paul ont évolué ensemble, entre autres avec le batteur Tony Levin, aujourd’hui disparu, et le pianiste Keith Tippett, et se sont révélés tous deux l’alter-ego l’un de l’autre. On sait que certains musiciens se vouent des amitiés fraternelles, souvent entières, mais je connais peu de musiciens autant attachés l’un à l’autre. Et quand ils sont réunis, le troisième homme qui renforce le plus leur collaboration musicale et spirituelle est le très fin Phil Gibbs. Par nécessité vitale, Paul Dunmall veut tout essayer tout en restant dans son domaine, l’improvisation libre, et cela, avec de nouveaux instruments. Pour ce beau Dreamworld en duo, PD joue de la flûteavec une belle sonorité et un timbre pur, de la clarinette, de la clarinette basse et du contrabasson, alors que ces instruments habituels sont les sax ténor et soprano et les bagpipes et cornemuses. Phil Gibbs est sensé jouer de la guitare électrique, mais en fait sa guitare sonne comme si elle était entièrement acoustique. Erreur du producteur qui a fait presser l’album avant d’avoir écouté ? On croirait entendre une guitare acoustique, espagnole et il en joue avec les doigts de la main droite. Dans plusieurs morceaux la clarinette (virtuose ou Giuffrienne) intervient avec la flûte (en re-recording). Une musique lyrique qui, selon le texte de pochette ne parle pas qu’au cœur de l’auditeur, mais à the whole subtle body. Par rapport aux albums sold-out de leur label Duns Limited Editions en trio avec Paul Rogers (le Moksha Trio) complètement microtonaux et délirants, c’est une musique plus sage, apaisée, détendue, aérienne, parfois méditative. Après deux morceaux légers et aériens, on entre le vif du sujet avec les clarinettes basses et «alto» mi bémol jouées simultanément par la magie du multipiste. La guitare a des accents andalous et la clarinette basse une sonorité translucide, polie avec des graves qui grasseyent. Un album réussi et surprenant pour qui connaît les deux musiciens ! The Clouds Turned Silver nous fait entendre Paul Dunmall à nouveau à la flûte et à la clarinette basse, ainsi qu'au sax soprano, Phil Gibbsà la guitare acoustique et Paul Rogers avec sa contrebasse à sept cordes. Moins délirant et microtonal qu’à l’époque folle où le Moksha Trio se lâchait complètement dans les CDR’s Duns Limited Edition pour quelque dizaines de collectionneurs inconditionnels, mais tout aussi profond et musical. Quatre improvisations s’écoulent au delà du quart d’heure dans une dimension intimiste où chacun fait de la place à l’autre, le centre d’intérêt du trio se déplaçant : le dialogue entre deux instruments comme le soprano et la contrebasse s’enchaîne subrepticement vers un duo sax / guitare ou contrebasse/guitare, mais le changement d’instrument est à peine perceptible tant ils sont affairés dans l’écoute totale et la cohérence de leur musique. Ces trois-là cultivent l’empathie, l’écoute mutuelle, la complémentarité, un lyrisme détendu. The darkness descends nous fait découvrir pleinement le jeu assez particulier de Dunmall à la clarinette basse avec une qualité de timbre plus classique que jazz, ou free-folk. Cela me fait songer à celui d’Ove Volquartz. Au final, The Clouds Turned Silver constitue une excellente entrée en matière de ce maginfique trio. Et pour qui connaît déjà les trois musiciens par leurs disques avec les batteurs Mark Sanders, Tony Bianco, Tony Marsh et Tony Levin, ce sera une surprise de taille. Il serait indiqué que FMR réédite les folies du Moksha Trio introuvables comme Moksha Trio Live, Gwinks, Live at The Quaker Centre etc…

Paul Dunmall Phil Gibbs Trevor Taylor New Atmospheres FMRCD0345 112

Trois pièces intitulées Atmos 1, 2 et 3 de 14 :28, 18 :09 et 10 :25 enregistrée en concert en novembre 2012. Trevor Taylor est le responsable du label FMR et il a fait publier pas moins de 60 cd’s du saxophoniste Paul Dunmall, souvent avec  le guitariste Phil Gibbs et lui-même aux percussions et à l’électronique. Ensemble, ils ont travaillé dans le groupe électronique Circuit, et le quartet acoustique Atmospheresen compagnie de la pianiste Evelyn Chang ou du contrebassiste Nick Stephens. Après les quatre volumes d’Atmospherespubliés par FMR , voici le New Atmosphere : Dunmall à la flûte et au sax soprano incurvé, (il a hérité du sax soprano incurvé de son ami Elton Dean), Gibbs à l’electro-acoustic guitar (mais aussi préparée et acoustique, si j’entends bien) et Taylor aux percussions acoustiques et électroniques (et vibraphone). Après Atmos 1,  délicat avec la flûte et sa sonorité droite et mélodieuse et la guitare acoustique, se déchaîne l’improvisation : sax soprano étirant les intervalles ou tournoyant, la guitare électrique préparée microtonale avec cette attaque particulière et la percussion libre, baguettes légères déployées avec vivacité sur les ustensiles recouvrant les peaux, cymbales légères. S’il jongle avec les notes avec un souffle sinueux, on constate que Dunmall peut adopter un son particulier pour chaque occasion et improviser durant toute la séance en maintenant cette qualité sonore particulière, ici elle évoque Lol Coxhill. Cette sonorité propre à la séance est en complète empathie avec le ton et l’approche adoptés par le guitariste. Avec le développement de cette deuxième improvisation, la guitare bourdonne comme un essaim de frelons et la percussion électronique se métamorphose en clavier, marimba, cloches, vibraphone, et étend les sonorités de la batterie de manière dynamique. L’espace et le temps s’ouvrent pour le percussionniste et le guitariste, le saxophoniste leur laissant l'initiative en jouant sur le côté.Les improvisateurs arpentent un territoire ensoleillé, des brisures éclatent… la guitare est devenue une sorte de harpe échappée d’un continent inconnu avec une échelle de notes qui nous la rend aussi étrange que familière par ses battements de piano à pouce/ likembé. Atmos 2 se termine avec les doigtés fous du guitariste. Il reprend l’initiative en solo dans Atmos 3, en créant spontanément un thème qu’il triture et ressasse dans lequel les deux autres s’inscrivent par petites touches, un accent d’accordéon pointant son nez du côté de l’électronique. Le soprano se fait liquide, cherche son phrasé sur les pulsations et entame le dialogue sur les accords et les arpèges insensés de la guitare, Trevor Taylor colorant de sons épars sur certains angles. La guitare devient pointue multipentatonique avec des intervalles curieusement altérés, sa résonance est amortie créant ainsi un timbre mat sans brillance, le son de l’instrument amplifié se limitant à l’attaque des doigts sur la touche. Ainsi, il laisse le chant du souffleur occuper l’espace sonore. Cette connivence est vraiment remarquable, car souvent, un peu partout, depuis que l’influence du rock est prépondérante, le guitariste fait fuir  le saxophoniste. Or, Phil Gibbs est un musicien issu du rock et passé à la free-music par la musique de John McLaughlin. Ces deux musiciens ont acquis la capacité d’assimiler leur substance musicale respective de manière réciproque comme le faisaient Derek Bailey et Evan Parker dans les années septante dans une approche très différente. Une quatrième plage non mentionnée sur la pochette qui sonne comme un remake de la troisième, Atmos 3 ! Phil Gibbsreprend son thème du morceau précédent et Trevor Taylor intervient au marimba basse / clavier électronique. S’ensuit une improvisation qui offre des similitudes avec la précédente. Le clavier électronique, les percussions, la guitare électrique (presqu’acoustique) giclent des sonorités électroniques en alternance avec le tout acoustique créant des mouvements contrastés. Le saxophoniste volubile et réservé se faufile entre les lignes, on entend un effet marimba géant, un splash de steel drum des Antilles et le sax conclut brièvement. Ce qui est assez étonnant : quelque soit la couleur sonore, l’instrumentation du groupe, acoustique ou électrique, qu’il joue du ténor, du soprano, des clarinettes, avec ou sans batterie et/ou contrebasse, vigoureuse ou évanescente,  la musique de Paul Dunmall et de ses acolytes conserve son identité, son lyrisme, sa spécificité.

Paul Dunmall Philip Gibbs Alison Blunt Neil Metcalfe Hanna Marshall I look at youFMRCD397-0915

Voici encore une belle surprise. Un quintet flûte, sax soprano ou clarinette, violon, violoncelle et guitare acoustique. Neil Metcalfe, Hanna Marshall et Alison Blunt, respectivement flûtiste (baroque), violoncelliste et violiniste avaient enregistré un bel album, Quartet Improvisations avec Tony Marsh, le batteur disparu, pour le label Psi d’Evan Parker sous la bannière du Tony Marsh Quartet. Il se fait que Neil Metcalfe, un musicien vraiment original, est un des collègues favoris de Paul Dunmall et Phil Gibbs et que ceux-ci on joué fréquemment avec Tony Marsh. Et donc, ces cinq musiciens se sont réunis pour une vraiment belle session d’enregistrement au Conservatoire de Birmingham et leurs interrelations conjuguées sont à la base d’une construction collective dans l’instant qui mérite vraiment le détour. À la fois lyrique, librement improvisée, acoustique, dans un registre musique de chambre délicat et subtil. Paul Dunmall y joue exclusivement du sax soprano et de la clarinette et Phil Gibbs de la guitare acoustique, qu’il transforme parfois en une sorte de harpe curieuse. L’empathie entre les cordes est merveilleuse, le guitariste jouant le rôle d’aiguillon ou d’un kalimba vibrionnant. Des mouvements gracieux des deux cordistes se détachent alternativement le soprano et la flûte baroque, déroulant de subtiles lignes mélodiques improvisées. Les musiciens prennent le temps de jouer ou jouent en prenant leur temps, sans aucune agressivité ni contraste. Il règne un équilibre instable, chaque instrument se mouvant entre chacune des autres voix instrumentales selon son propre biorythme, sa propre logique. On se rapproche ou s’écarte, le son de la flûte naît de l’archet sinueux du violon, le soprano rebondit sur le timbre du violoncelle, la guitare ponctue. Chaque improvisateur trouve un point d’attache, une question ou une réponse auprès de l’un des quatre autres. Le motif qui vient sous les doigts de l’un transite dans le souffle de l’autre. Le violon et le sax soprano trouvent des points communs. Une qualité particulière de dialogue multiple s’ébauche, prends corps, se métamorphose dans des croisements de volutes, dans les frottements langoureux des cordes. Le flûtiste se joue de la hauteur des notes,  écarte les intervalles sur les quelques commas  qui sont sa carte de visite, la violoniste ajuste son jeu de même, le soprano suave déboule des doubles détachés qui se glissent dans le jour des entrelacs mouvants. La télépathie devient contagieuse, les coups d’archets succèdent au micron près aux coups de langue des souffleurs, le violoncelle guide. On en finit par oublier qui joue : le violon, la flûte, le soprano ou la clarinette. Alison et Hannah font changer le décor démultipliant les perspectives et le guitariste s’immisce entre les jointures ou s’ébat à l’écart. Quatre longues improvisations collectives. L’une débute, par exemple, par les grondements du violoncelle quasi vocalisés inspirant les glissandi du violon. Interviennent ensuite les deux souffleurs. Dès les premières notes, Metcalfe et Dunmall choisissent la tonalité et les harmonies de leurs volutes respectives en relations avec les sons et les timbres des deux cordistes, leurs souffles conjugués s’inscrivant en empathie.  Franchement, cette démarche chambriste inextricable évolue au fil des morceaux vers une qualité de dialogue, un goût pour les timbres cultivant les nuances entre le diaphane jusqu’au charnu. On atteint le merveilleux, l’indicible. Si leur démarche est plus lyrique et « conventionnelle » que celle du trio Butcher/Durrant/ Russell ou de la mouvance Wachsmann, leur musique atteint un sommet de sensibilité et de créativité collective rare. J’ai beaucoup apprécié le trio de cordes Barrel des mêmes Alison Blunt et Hannah Marshall avec l’altiste Ivor Kallin (Gratuitous Abuse/ Emanem), celui d’Arc, le trio Sylvia Hallett/Danny Kingshill/Gus Garside  (The Pursuit of Darkness/Emanem), le magnifique Quartet Improvisations cité plus haut où on trouve encore Blunt, Marshall et Metcalfe. J’aurais pensé que l'association de cette équipe avec le tandem Dunmall - Gibbsétait un peu trop hybride et qu’à cinq improvisateurs, cela devienne une gageure, surtout que Dunmall n’hésite pas de publier des enregistrements qui se révèlent être d’honorables tentatives au niveau de la cohérence. Mais il appert que les intenses qualités d’écoute de chacun ont transformé la situation de départ qui pouvait laisser un parieur dubitatif : c’est une parfaite réussite. Une qualité musicale qu’on ne peut atteindre que par l’acte d’improviser collectivement en ouvrant grand les oreilles avec des affinités sensibles et convergentes. Ces musiciens, faut-il le noter, ont une absence d’ego totale. Pour les avoir rencontré personnellement, je peux dire qu’ils considèrent modestement leur propre talent comme une chose normale, qui va de soi, et pour laquelle il n’y a aucune raison de se prendre la tête. Mais par contre, ils sont intensément émerveillés par la musique de leurs collègues. Ces cinq musiciens se mettent donc instinctivement au service de la musique collective en évitant le moindre écart et leur individualité ne s’affirme que si la situation l’exige. Une vraie merveille.

Marco Scarassati Eduardo Chagas Gloria Damian Abdul MoiMême/ Jimmy Giuffre Paul Bley Steve Swallow / Veryan Weston at the organ/ Raymond Boni Jean-Marc Foussat Joe McPhee/ Sophie Agnel & Daunik Lazro

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Rumor Marco Scarassati Eduardo Chagas Gloria Damian Abdul MoiMêmeCreative Sources CS332CD

J’ai conservé ce compact intriguant, puissant et original par les sonorités pour une chronique ultérieure  parmi tous ceux que Creative Sources m’avait gratifié « en masse » il y approximativement un an. Cette musique , on l’aura compris immédiatement par le label (CS) et les noms de deux de ses créateurs, le tromboniste Eduardo Chagas et le guitariste Abdul Moimême, relève de cette école portugaise « Creative Sources » (ou Potlatch en France et Another timbre en GB) sonore et relativement minimaliste post AMM qui se détache sensiblement du courant principal de la musique improvisée libre par plusieurs aspects. La contribution spécifique de Marco Scarassati avec ses sculptures sonores confère à cette Rumor bien nommée une singularité toute spéciale par la densité métallique et les vibrations remarquables de son dispositif. Par bonheur, il a su trouver chez ses compagnons des chercheurs de son le complément adéquat à sa propre proposition esthétique. Le piano travaillé principalement comme une sorte de boîte - carcasse vibratoire et résonnante des chocs, frottements et usages percussifs sur les cordes et des mécanismes par Gloria Damian et la guitare traitée et entourée / préparée d’objets (et d’effets) d’Abdul Moimême partagent une dynamique commune dans laquelle le trombone bruissant d’Eduardo Chagas s’insère à souhait avec une telle pertinence qu’il passe inaperçu en tant que trombone alors que les vibrations discrètes ou les bruissements établissent des correspondances subtiles et créent ce qu’on appelle la cerise sur le gâteau. Une performance aussi satisfaisante que celle de Radu Malfatti si celui-ci avait continué à jouer comme il jouait avant sa quête du silence « raducal ». Je pense aussi à cet effet d’harpe détraquée qui émane du piano en un instant de folie. Une belle variété de propositions sonores contribue à relancer adroitement l’intérêt de l’écoute tout au long des deux longues improvisations. Certains déplorent un (relatif ou certain) ennui à l’écoute d’enregistrements de ce type d’improvisation ou, du moins, de la catégorie dans laquelle tout un chacun les voudraient rangés. Ici les musiciens prouvent qu’ils n’ont pas d’idée toute faite, ou n’en donnent pas l’impression, mais explorent le potentiel que recèlent leurs instruments et objets avec conviction, énergie, subtilité… Rumor, en ce qui me concerne, fait partie de ces témoignages qu’on gardera dans un coin de l’étagère pour y revenir et s’y plonger avec délectation, en en découvrant encore une autre dimension qui nous avait échappé.

Jimmy Giuffre Paul Bley Steve Swallow 3 Bremen & Stuttgart 1961 Emanem 5208

Il s’agit de la réédition augmentée d’inédits (et de deux plages officielles non rééditées) de deux albums publiés par Hat Art du fameux trio avant-gardiste du clarinettiste et saxophoniste Jimmy Giuffre  avec Paul Bley et Steve Swallow, un des groupes phares du premier free-jazz avec ceux d’Ornette, de Cecil Taylor et d’Albert Ayler. Dans cette musique, Giuffre se consacre uniquement à la clarinette et en joue en combinant les deux registres, alors qu’il se contentait de la partie « chalumeau » lorsqu’il jouait son « folk jazz » précédemment (The Train and the River). La musique enregistrée est plus vibrante, plus requérante que les deux albums Verve, Thesis et Fusion, eux mêmes réédités par ECM en double album dans les années 90. Il manquait à ce double album deux morceaux qu’on retrouve ici et parmi les six inédits, trois duos piano contrebasse (Bley – Swallow) dont une version mitigée du Blues Bolivar Balues Are de Monk. Je rappelle qu’il s’agit de compositions de Giuffre, Carla Bley et Paul Bley. Par  rapport aux morceaux des albums Verve, le concert de Bremen inclut une composition ambitieuse, Suite for Germany, qui faisait de cet album inital le sommet Giuffrien par excellence. Emanem nous gratifie d’un réel événement discographique même si Hatology avait réédité cette musique assez récemment. Elle a eu à l’époque et par la suite un impact considérable sur nombre de musiciens et ce trio créa réellement un enchaînement d’opportunités déterminantes pour Paul Bley, alors qu’il conduisit le leader à interrompre sa carrière suite au peu d’intérêt économique qu’elle a suscité. Elle illustre  une rare qualité de musique de chambre dans une démarche beaucoup moins exubérante et plus « intellectuelle » que celle du courant principal du free-jazz naissant. Ce qui rend ces albums de Giuffre tout-à-fait singuliers au sein de la discographie de base de ce courant musical. Il y a un son Bley et un son Giuffre absolument inimitables et leur complicité au sein d’un même groupe que complète merveilleusement l’invention d’un tout jeune Steve Swallow, fait de ce trio  un must listen que tout un chacun doit mettre au sommet de ses priorités pour un proche sapin de Noël ! Un prolongement inédit à cette démarche du trio, mais avec Joe Chambers et Richard Davis, cette fois, a été publié récemment et avec Bremen et Stuttgart, on a la quintessence de la musique « free » de Giuffre. C’est aussi un document de première main des avancées d’un pianiste essentiel dans l’évolution du jazz moderne vers la liberté totale, Paul Bley et qui met en lumière toute sa créativité et son imagination d’improvisateur et d’interprète. Un témoignage historique incontournable et une musique précieuse et vivante qui n’a pas pris une ride.

Veryan Weston discoveries on tracker action organ. Emanem 5044

La série 5000 d’Emanem présente bien des surprises auditives et ces découvertes sur les orgues à tirets sont furieusement fantomatiques et n’ont en fait pas d’âge. Je veux dire par là qu’elles ne s’inscrivent pas dans un tracé reconnu, balisé et évalué d’une quelconque école musicale liée directement ou indirectement ou même faisant référence à un compositeur incontournable (Stockhausen, Ligeti,  Scelsi, Feldman) comme si un musicien doué et intelligent n’assurait pas son existence et l’intérêt qu’on pourrait lui porter sans ces béquilles référentielles. C’est bien tout l’intérêt, le plaisir, l’ingéniosité contagieuse que nous communiquent ces découvertes des propriétés sonores des orgues anciens à tuyaux d’airs actionnées entre autres par ces tirets qui ouvrent ou ferment l’orifice de la colonne d’air de chacun de ses instruments. Non seulement Veryan Weston manie le clavier et le pédalier de l’orgue, mais il actionne le tiret dans des positions « non conformes » à ce pourquoi ils ont été conçus, créant ainsi des intervalles et des glissandi non tempérés, des sifflements improbables, des microtons venteux, une houle sonore, une sonnerie  déchaînée. Cette pratique est le fruit de toute une réflexion qu’il partage avec le violoniste extraordinaire Jon Rose dans le projet Temperaments. Leur plus récent opus auquel collaborait aussi la remarquable violoncelliste Hannah Marshall (Tuning out / Emanem) était consacré exclusivement aux orgues d’église Je l’avoue, pour mes oreilles aucune électronique ne remplace le charme inaltérable des cet instrument à vent. Non content d’un seul instrument localisé dans une église bien précise, Veryan Weston s’est livré à une quête systématique parmi plus d’une trentaine d’orgues répartis sur tout le territoire du Royaume – Uni : ici nous entendons des orgues historiques localisés à South Croxton, Horstead, Brighton, Stannington, Manchester, Newcastle et York et cela en préparation à la tournée avec Jon Rose et Hannah Marshall dont ce double album Tuning Out est le témoignage. Je dois aussi signaler que les orgues anciens ont été construits en fonction d’un diapason plus grave (per exemple A= 420 au lieu de A= 440 Hz) qui était celui de l’époque, antérieure ouvent à celle où toutes les échelles « non tempérées » qui pullulaient depuis l’antiquité ont été normalisées en un seul tempérament, majeur et mineur. Comparez un clavecin « moderne » et un clavecin historique et vous entendez directement la différence par les colorations des sonorités : le clavecin moderne vous semblera fade, sans goût aucun. En essayant chacun des orgues, VW fit parfois grincer les dents de certains chapelains et enchanta la curiosité amusée d’autres. Pris au jeu, le tempérament ludique de Veryan Weston l’amena à créer des musiques originales, surprenantes, hantées… En réaccordant l’échelle des tuyaux par le truchement de tirets restés à mi-parcours, il évoque un hypothétique gamelan à vent, si cela peut exister. Sans doute, cet orgue de Manchester permet des écarts imprévisibles. Le ponpon revient à celui de l’église All Saints de York et dont la pièce qui lui est consacrée « Numerous discoveries » clôture avantageusement l’album sur une durée de 24 minutes. Dingue et mystérieux! Veryan Weston est sans nul doute un des quelques pianistes / claviéristes parmi les plus profondément originaux de la scène improvisée et expérimentale contemporaine. Et ces discoveries, une de ses recherches les plus réussies.

The Paris Concert Raymond Boni Jean Marc Foussat Joe McPhee LP Kye 42

Comme l’explique la pochette, 40 ans après s’être rencontrés à l’American Center en 1975, le guitariste Raymond Boni, le joueur de synthés (VCS3) Jean-Marc Foussat et le saxophoniste multi-instrumentiste Joe McPhee concrétisent leur récente réunion en concert par un bel album vinyle. Deux faces : 1 Reunion 2 Célébration. Ici Joe joue du sax ténor et de la trompette de poche. On est ici à l’écart du free-jazz dans l’exploration sonore, l’immédiateté électrique, l’étirement des timbres dont la voix lunaire du saxophoniste vient calmer le jeu ou trouer la nuit noire par un déchirement aylérien. C’est un vrai album underground radical comme Joe McPhee en gravait à l’époque des débuts du label Hat Hut dans la deuxième partie des années 70’s. Le travail minutieux de Jean-Marc Foussat plein de nuances et le jeu électrisé plein d’effets noise de Raymond Bonicréent des paysages, des tensions, des crises avec lesquelles un Joe McPhee très engagé joue le jeu complètement. Avec sa trompette de poche il lance un lambeau de mélodie pour ensuite sussurer en faisant flageoler la colonne d’air. Bill Dixon faisait une chose similaire et le souffle fusée de McPhee s’en distingue indubitablement imprimant sa marque toute personnelle sur cet effet sonore  La connivence avec les deux électriciens est totale même s’ils excellent parfois à mêler la chèvre et le chou ou à saturer brièvement dans un chaos incontrôlé le temps de changer de cap vers un autre mode de jeu.  Des passages lyriques de Mc Phee surnagent. A la fin une ultime harmonique du ténor en phase avec le feedback de la guitare signe la partie. Chaudement recommandable. Plaira beaucoup aux auditeurs du « post rock » et aux inconditionnels du free au-delà des écoles.

Sophie Agnel & Daunik Lazro  Marguerite d’Or Pâle FOU Records FR-CD21

J’avais été complètement émerveillé par deux des plus beaux albums de Phil Minton en concert gravés en compagnie avec chacun de ces deux musiciens français insignes de l’improvisation libre : tasting / another timbre at02 enregistré en 2006 avec la pianiste Sophie Agnel et alive at Sonorités / Emouvance enregistré en 2007 avec le saxophoniste Daunik Lazro. C’est le genre d’albums sublimes qui imprègne les sens, l’imagination et la sensibilité au point qu’il nous semble avoir été enregistré l’année dernière. Ceux qu’on garde du coin de l’œil en espérant trouver le temps de s’y plonger. C’est bien l’effet que produit l’écoute répétée de ces moments d’union, de concentration, d’écoute au Dom de Moscou le 22 juin 2016 lors d’une tournée mémorable. Premier enregistrement donc de ce duo et aussi de Daunik Lazro au sax ténor. Certains observateurs prêts à pardonner les incartades de leurs artistes chéris post-modernes, post-rock, machin chose font la grimace remarquant que certains improvisateurs libres qui ont un succès public « moyen » et ne sont pas devenues des icônes ont tendance à mal se renouveler, à jouer comme ils le faisaient il y a vingt ou trente ans. S’il s’agit de X, Y ou Z, le fait d’avoir une grosse notoriété excuse tout. Si l’art de Sophie Agnel a muri relativement récemment, celui de Daunik Lazro remonte à la glorieuse époque où Joe McPhee et Frank Lowe pointaient le bout de leur nez et FMP, Brötzmann, Kowald et cie connaissaient leurs premières années de gloire. Çà nous fait quarante ans. Et bien, Daunik Lazro vient juste de muer : le voici au saxophone ténor. Après avoir été un challenger incontournable de Brötzmann au sax alto (il fallait entendre ses barrissements démentiels son alto levé vers le ciel), il s’est engagé dans des volutes sombres au sax baryton. Au ténor, il élargit son répertoire, joue sans se rejouer, donnant du grain à moudre aux esprits chafouins : sa voix est unique. Bien sûr on retrace ses lignes de force. Sophie Agnel qu’on a entendu faire bruisser les cordages et les marteaux du grand piano, bloquer les cordes, grincer les filets de cuivre, résonner la carcasse, donne ici la pleine mesure des registres inouïs de l’instrument.
Le duo est une merveilleuse machine à rêves, une rencontre sensible, amoureuse, lucide et… etc… On ne se lasse pas une minute tant les duettistes se renouvellent tout au long de ces six improvisations enchaînées par un esprit de suite qui frôle l'inconscient et qui se révèle tout autant un dérive poétique.Réalisé par Jean-Marc Foussat pour son label géant FOU Records où vous trouverez sa propre musique et ses collaborations, de l'improvisation sans concession (comme le duo récent de Christiane Bopp (trombone) et de Jean - Luc Petit (clarinettes),L'écorce et la salive FR-CD 19, une merveille)  et des enregistrements historiques des années 80 avec Evan Parker Derek Bailey, Joëlle Léandre, George Lewis et Daunik Lazro et dont le trio Enfances (Léandre/Lewis/Lazro FRCD 18) est la pièce à conviction ultime !

Cette Marguerite est  mettre dans la liste des duos intemporels récents dont je vais tenter prochainement de vous en faire  le menu dans ce blog !

Elisabeth Coudoux solo/ Harald Kimmig Daniel Studer Alfred Zimmerlin & John Butcher/ Toma Gouband Mark Nauseef & Evan Parker

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Elisabeth CoudouxSome Poems Leo Records LRCD  777

Un courageux album de violoncelle solo par une excellente musicienne auquel je souscris de tout cœur. Le titre : Some Poems. On a tous notre acception de la poésie, mais quelle musique ! Principalement des compositions, sauf deux improvisations libres pour les plages 1 & 8. Maîtrise de l’instrument et un beau travail sur le son. Re-recording aussi (shaken boundary conditions). Dans ces notes Kevin Whitehead cite une série quasi exhaustive de violoncellistes de jazz d’avant garde et d’improvisation, je pense à Jean-Charles Capon, Tristan Honsinger, Dave Holland, Abdul Wadud et Okkyung Lee qui m’ont particulièrement marqués. Il omet par contre Marcio Mattos, Albert Markos et Hannah Marshall, par exemple, et cite des violoncellistes que je n’ai pas encore eu le plaisir de découvrir. Fort heureusement, on retrouve chez Elisabeth Coudoux de nombreuses qualités propres à tous ces artistes et une capacité à faire sonner son violoncelle de manière expressive, grave, joyeuse, exploratoire, fugace, subtile …. qui va à l’essentiel. On trouve un magnifique éventail des possibles musicaux et sonores du violoncelle contemporain avec entre autres des accordages alternatifs. Une sorte d’anthologie passionnante de pièces bien pensées, subtilement travaillées et absolument convaincantes. Dans Sounding bodies, elle travaille sur un motif cadencé et répétitif à l’archet tout en en modifiant  presqu’insensiblement la qualité sonore quasiment à chaque coup d’archet. Impressionnant.  Les deux improvisations libres enregistrées témoignent de son expertise et de sa sensibilité en la matière. Derrière la brillance de l’exécution, il y a une véritable exigence musicienne. Elle joue régulièrement avec des improvisateurs tels que Philipp Zoubek, Mathias Muche, Daniel Landfermann, Nicola Hein et participe à  The Octopus un quartet de violoncelle avec Hugues Vincent, Nathan Bontrager et Norah Krahl (Subzo(o)ne LRCD 770). Ayant aussi écouté Vincent et Bontrager, rien que l’évocation d’un tel quartet, me met l’eau à la bouche. A suivre, à suivre, à suivre.Pour un premier album, c'est de suite l'excellence !!

Raw Harald Kimmig Daniel Studer Alfred Zimmerlin& John Butcher Leo records LRCD 766

Cette toute récente livraison de Leo Records consacrée aux cordes frottées (Trio Kimmig Studer Zimmerlin& John Butcher, Elisabeth Coudoux en solo et le quartet de violoncelles The Octopus) est un magnifique brelan de réussites. Rawplace la musicalité, la richesse du son, la finesse du jeu et l’imagination au sommet. Vous connaissez (nettement) moins parmi les cordistes, le violoniste Harald Kimmig, le contrebassiste Daniel Studer ou le violoncelliste Alfred Zimmerlin, que par exemple, Barry Guy, Joëlle Léandre, Fred Lonberg-Holm, Mark Feldman ou Carlos Zingaro. Mais quelque soit leur valeur intrinsèque individuelle, et comme cette musique improvisée est essentiellement collective, vous pouvez vous dire que le Trio Kimmig-Studer-Zimmerlin, en matière de libre improvisation, c’est vraiment quelque chose d’unique ! Et ne croyez pas que John Butcher est venu s’ajouter pour faire monter la sauce. D’ailleurs, musicien particulièrement intelligent et expérimenté, le saxophoniste britannique s’insère dans le jeu des cordes comme un fabricant de sonorités, un explorateur de l’inconnu, plutôt que comme un « soliste invité ». Quand cet artiste intègre se détache du lot par son phrasé butchérien, cela vient à des moments-clés comme pour souligner la pertinence du chemin déjà parcouru, tel un signal visible dont la signification resterait secrète. On a droit ici à l’expression spontanée et (aussi) hautement réfléchie d’une forme aussi sophistiquée que sauvage de la pratique improvisée contemporaine. Chacun des cordistes relancent la dynamique, l’évolution des propositions, altèrent les sonorités et les timbres, transformant spontanément les paramètres du son d’ensemble au fil des secondes, parfois avec un goût bruitiste affirmé et ce qu’il faut de provocation. L’écoute attentive de cet album nécessite de repasser le compact sur la chaîne (au casque !) à plusieurs reprises pour commencer à en saisir les lignes de force, la subtilité des détails, ses occurrences sonores irrévocables, sa radicalité. On joue parfois avec des riens, souvent avec une gravité non feinte et un sens ludique à la limite de l’absurde. Ça gratte, fouette, frappe, dérape, scie, harmonise, secoue, glisse, vibre, plane, assombrit ou ilumine. On est très très loin de l’exercice de style ou de la mise en pratique d’un concept. Ces trois-là nous font entendre tout ce qui est possible avec une contrebasse, un violoncelle et un violon sans tenir compte du fait qu’ils jouent avec un saxophoniste ténor ou soprano. John Butcher réalise un travail absolument remarquable, hautement musical même si les amateurs de saxophone « free » (ceux qui suivent obstinément Brötz, MatsG, KenV, JoeMc, Evan mais évitent quasiment d’autres moins notoires) ne vont pas y retrouver leurs jeunes. Avec la notoriété qui est la sienne, John Butcher (un artiste très sollicité) pouvait se contenter d’un No Man’s Land créatif en jouant les utilités dans une kyrielle de projets. Il montre ici que trente années après que je l’ai moi-même entendu pour la première fois, il n’a pas cessé de se remettre en question et de jouer le jeu. Rawporte bien son titre car est ici en jeu la qualité Raw de l’improvisation libre. Exemplaire.

As the Wind Toma Gouband Mark Nauseef Evan Parker  
Psi 16.01

Réunis par Mark Nauseef pour une session d’enregistrement, les trois musiciens ont surpassé les espérances de ce qui est au départ un vol d’essai en trio suite à une collaboration commune au sein d’un ensemble plus large. Et donc, la musique intrigante, aérée et peu commune de As The Wind , enregistrée en 2012a droit aux honneurs d’une publication sur Psi, le label d’Evan Parker. Psi avait marqué d'une longue pause ses publications suite à la baisse catastrophique des ventes de CD’s et ne publiait plus que des rééditions, comme cet album solo d’Evan Parker, Monoceros. C’est dire que cette belle session à deux percussionnistes a vraiment convaincu cet artiste exigeant pour qu’il l'a publie lui-même. Toma Gouband joue des lithophones (percussions en pierres) disposées sur les peaux des tambours et les cymbales inversées d’une batterie pour obtenir une résonnance, alors que Mark Nauseef, utilise une panoplie d’accessoires et instruments percussifs métalliques (gongs, tam-tam, cymbales, crotales, cloches). Evan Parker joue uniquement du saxophone soprano et nous reconnaissons sa sonorité dès les premières notes, une contorsion d’harmonique, ce glissando si caractéristique qui n’appartient qu’à lui. Multiphoniques et respiration circulaire dans un lent balancement en apesanteur. Sonorité exceptionnelle et travail sur le timbre en délicatesse, sans tordre les sons, ni « mâcher » l’articulation de manière paroxystique comme il peut le faire en trio avec Schlippenbach et Lovens, Guy et Lytton ou il y a quarante ans (cfr The Longest Night / Ogun 1976). Les sons très fins des deux percussionnistes, terrien et pierreux de Gouband et aérien et vibrations cuivrées de Nauseef, flottent dans l’espace. Une très belle facette d’un minimalisme sensuel et secret. L’univers conjoint des deux faiseurs de sons frappés (et grattés,etc..) engage le souffleur à la limite du silence, traçant une épure du souffle, parfois évanescent (hm!), dévidant une spirale dans l’infini, faisant durer les notes dans l’éther. Je pense évidemment au duo de Parker avec Eddie Prévost, Most Material (Matchless MRCD33) et ici, les trois musiciens poussent encore plus fort la retenue, le flottement s’éternise. Une harmonique fantôme émanant d'un crotale rejoint le souffle sotto voce ... il arrive que les sons de MN et EP se croisent sans qu'on sache lequel des deux musiciens les a émis. De temps à autre, le souffle s’anime et les harmoniques s’enchaînent en se croisant de cette manière si caractéristique quelques moments et pour s’échapper à nouveau vers le silence et animer ensuite une autre idée, des cycles étirés, une ellipse magique... 
Voilà donc un album qui surprendra ceux qui connaissent Evan Parker pour son énergie inextinguible et son jeu complexe, explosif et tortueux au ténor et au soprano et leur fera découvrir une autre forme de percussion, basée avant tout sur les sons, les timbres et leurs couleurs plutôt que sur les pulsations et les rythmes. Absolument magnifique !!



Strange Strings Strong Strings : Tristan Honsinger/Nicolas Caiola/Joshua Zubot/ Isaiah Ceccarelli - Malcolm Goldstein & Ratchet Orchestra - Goldstein/Zubot/René/Girard Charest - Irene Kepl

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Henry Crabapple Disappear In The Sea : Joshua Zubot Tristan Honsinger Nicolas Caiola Isaiah Ceccarelli  CD fait maison.
En caractères gras, noir sur fond bleuté, IN THE SEAet une baleine stylisée dans la mer, une pochette minimaliste transformable en oiseau de papier dont la courbe circulaire argentée du compact disc forme la crête, emballe une belle équipée 100% canadienne : le violoniste Joshua Zubot, le violoncelliste Tristan Honsinger, le contrebassiste Nicolas Caiola et le batteur Isaiah Ceccarelli. Un quartette improbable interprétant les compositions des membres du groupe, pièces créées pour être jouées par des improvisateurs et référant autant à la musique contemporaine, à (l’esprit de) l’improvisation radicale de manière tout à tour subtile, énergique, endiablée... On connaît le goût certain d’Honsinger (vétéran de la scène improvisée apparu vers 1976 aux côtés de Derek Bailey, Maarten Altena, Paul Lovens, Evan Parker, Toshinori Kondo, Steve Beresford, Gunther Christmann) pour la musique composée avec structures, thèmes mélodiques et rythmes intrigants et sa capacité à les transformer de manière organique, spontanée comme si tout cela était improvisé. In The Sea semble ici être plutôt un trio de cordes avec batterie (plutôt qu’un « quartette ») et je dois dire que le batteur donne la juste dose rythmique, sonore et imaginative loin de tous les poncifs pour illustrer l’aventure des trois cordistes. Chapeau donc à Isaiah Ceccarelli. Sa fine percussion laisse tout l’espace sonore aux cordistes en sollicitant le centre des cymbales, le rebord des caisses etc… : il a compris 100% ce qu’est le free drumming. Je ne répéterai jamais assez que les instruments de la famille des cordes frottées se révèlent dans toute leur profondeur et leur densité par des mains expertes lorsqu’ils sont réunis entre eux à l’exclusion d’autres instruments. Ici vous avez droit à l’excellence autant instrumentale, inventive, Groupe collectif où chaque instrumentiste participe à l’écriture et à la conception des morceaux sans que les auteurs ne soient mentionnés sur la pochette ou durant le concert en trio (sans I.C.) auquel j’ai assisté en Autriche (Limmitationes), In The Sea développe une puissante énergie digne du meilleur free jazz sans que cela ne phrase « jazz » et de passionnantes constructions musicales à l’aune des compositeurs « contemporains » à l’écart de tout académisme, je veux dire par là, la rigidité amidonnée, le superficiel. Et cela swingue : dans un ou deux morceaux entendus live on songe à la musique africaine ! Nos trois cordistes s’entendent comme les cinq doigts de chaque main que ce soit pour faire vivre une mélodie entraînante que pour explorer les sons et intercaler leurs trouvailles bruissantes sur le fil du rasoir de tempi multiformes. Tristan Honsinger intervient vocalement avec des textes poétiques comme lui seul sait les dire. Ce violoncelliste, sans doute le plus marquant de toute la free musique et un des instrumentistes préférés de Cecil Taylor, a trouvé des coéquipiers à la hauteur : le violon magique de Joshua Zubot, la contrebasse puissante et sans faille de Nicolas Caïola, la fantaisie percussive d’Isaiah Ceccarelli, Tristan Honsinger et sa sonorité extraordinaire forment ici un groupe majeur, incontournable, une sacrée bouteille jetée à la mer pour tous les amateurs de musique créative et spontanée. Amazing ! Diraient leurs collègues !!
Pour se procurer Henry Crabapple Disappear, il faudra retracer Zubot ou Caiola sur FB et leur demander une copie. Je pense qu’un enregistrement en trio TH/NC/JZ réalisé avec la meilleure technique devrait voir le jour du côté de la Slovénie…
En outre, Joshua Zubot et Nicolas Caiola, instrumentistes d’exception, sont impliqués dans d’autres projets passionnants dont je vais vous informer au plus vite malgré la pile toujours grandissante d’albums qui s’amoncellent sur ma table de travail !!

Malcolm Goldstein& the Ratchet OrchestraSoweto Stomp Mode 291

Malcolm Semper Malcolm disait Archie Shepp, du temps où ce saxophoniste révolutionnaire (et depuis légendaire) crevait l’écran de la New Thing et de la Great Black Music. Depuis lors (une cinquantaine d’années), le tout venant saxophonistique ressasse les vieilles recettes. Bien sûr, je suis un inconditionnel d’Evan Parker, Michel Doneda, Gianni Gebbia, Ivo Perelman, Paul Dunmall, Urs Leimgruber et suis inconsolable de la disparition de Lol Coxhill. Mais en égalitaire convaincu, je pense sincèrement que d’autres instruments et instrumentistes que les quatre ou cinq souffleurs d’anches qui se cooptent sur les scènes internationales de la free-music apportent une dimension tout aussi créative. Il y a de nos jours un véritable formatage de la free-music idéale qui se résume à l’équation souffleur violent/ exhibitionniste/ virtuose – bassiste survolté – batteur rentre dedans avec en prime, guitare noise ou électronique. Donc, sorry ! Mais on a assez donné. Malcolm Semper Malcolm : Malcolm Goldstein, un des deux ou trois plus géniaux violonistes improvisateurs, ayant contribué à la naissance de l’improvisation libre à NYC il y a 50 ans et compositeur d’œuvres destinées à des improvisateurs. À ses côtés, un ensemble exceptionnel d’instrumentistes dédiés autant à l’improvisation radicale qu’à l’interprétation de partitions alternatives : the Ratchet Orchestra , un ensemble dirigé par le contrebassiste Nicolas Caiola, en tournée en Europe à l’heure où je vous écris : http://www.nicolascaloia.net/ratchet.html. 
Violons : Joshua Zubot et Guido Del Fabbro, alto : Jean René, clarinette : Lori Freedman, saxophone alto : Jean Derome et Yves Charuest, sax ténor : Damian Nisenson, sax baryton : Jason Sharp, trompette : Ellwood Epps, trombone : Scott Thompson, guitare : Chris Burns, piano : Guillaume Dostaler, batterie : Isaiah Ceccarelli et percussions : Ken Doolittle. Je cite tous les membres de ce Ratchet Orchestra car il est visiblement composé de personnalités remarquables. Certains critiques se comportent comme s’il n’y avait, d’une part les « vedettes » ou grands noms de la musique improvisée et d’autre part les tâcherons anonymes des scènes locales considérés comme des « amateurs », alors que ce qui caractérise notre époque, c’est la présence sur les scènes d’une foule de musiciens et d’artistes exceptionnels qu'il faut soutenir et faire connaître. Alors, qu’un label de musique contemporaine comme Mode (où John Cage est abonné) consacre un compact superbement produit à Malcolm Goldstein et au Ratchet Orchestra est très réconfortant. Six compositions de Goldstein où l’improvisation et la personnalité des musiciens tiennent un rôle déterminant et où l’influence du jazz libre et la pratique de l’improvisation sont plus que palpables. Configurations in Darkness est une improvisation sur un chant populaire de Bosnie-Herzégovine lequel fait partie d’une série de chants similaires intégrés dans sa composition pour ensemble sous le même titre. On y goûtera le jeu si singulier de Goldstein avec ses glissandi merveilleux, ses tressautements, ses harmoniques, un délice ! In Search of Tone Roads 2 est la réécriture imaginaire ou supposée d’une œuvre disparue de Charles Ives. Architecture dynamique mouvante où l’équilibre est constamment remis en question avec des solos et sous groupes d’improvisateurs sans structure préderminée. Broken Canons porte bien son titre. Les canons joués par chaque instrumentiste reprennent le thème mélodique initial en le transformant, et en s’agglutinant ceux-ci forment petit à petit des masses harmoniques aléatoires. Two Silencesrequiert que les musiciens jouent une texture sonore soutenue avec deux césures silencieuses au moment où ils en ressentent la nécessité, la texture initiale évoluant sensiblement jusqu’à la fin. On le voit, Malcolm Goldstein est un compositeur « ouvert » et on l’entend, le travail du Ratchet Orchestra est d’une très grande richesse sonore, formelle et esthétique. Les musiciens ont une grande marge de manœuvre et dans l’histoire de la musique improvisée en grand orchestre dirigé, cette réalisation est particulièrement remarquable et pourrait servir de modèle. Soweto Stomp est un hommage aux insurgés de Soweto et leur massacre en 1976. Suite de solos improvisés par chaque musicien dans des cadres rythmiques variés issus de la musique Africaine de l’Ouest ou composés par MG. L’intention du compositeur de créer une forme de danse est particulièrement réussie. Le Ratchet Orchestra est un orchestre de très haut niveau d’artistes engagés dans la société montréalaise et portant la qualité musicale de leur travail vers l’excellence avec créativité confondante. Je n’ai pas de mots pour décrire la profondeur de cette création collective sous la houlette de Malcolm Goldstein, lui-même un de mes (nos) violonistes improvisateurs préférés et il me faut encore réécouter cet album fascinant pour en prendre la mesure. Superbe.

Musica in Camera : Quatuor d’Occasion : Malcolm Goldstein Josh Zubot Jean René Emilie Girard Charest& records &22.

Présenté dans un modeste emballage en papier bleu gris avec un lettrage original par le label etrecords(ou & records), Musica in Camerapar le Quatuor d’Occasion est une œuvre plus que remarquable, « enregistrée dans la chambre à coucher de Jean René », le violoniste alto (ou altiste) du Quatuor. Avec deux violonistes superlatifs comme Malcolm Goldstein et Josh Zubot et l’excellente violoncelliste Emilie Girard Charest, ce Quatuor d’Occasion investigue les possibilités sonores, harmoniques, interactives, intuitives dans des architectures mouvantes et avec des conceptions / perceptions raffinées du jeu des cordes frottées lorsque celles-ci sont confrontées aux particularités de chaque instrument et à celles de leurs instrumentistes respectifs. Chatoyant, austère, expressionniste, lyrique, complexe, débridé, spectral, introverti, détaché, les registres sont étendus, l’entente est omniprésente et cette science du glissando si particulière sidère. Les timbres sont travaillés jusqu’à la perfection, le jeu est entièrement spontané, rebondissant, spiralé, étiré jusqu’à l’outrance, le silence est approché au plus près après des secousses frénétiques. Certains passages de morceaux semblent avoir été écrits mais leur enchaînement avec des dérapages contrôlés fait penser que leurs airs sont générés spontanément. Sounding the Violin (LP de1979) de Malcolm Goldstein est un témoignage inoubliable du « méta-violon » et ce Quatuor d’Occasion est à ce niveau. Un beau miracle musical composé de Miniature de 1à 6entre 1 et 2 minutes et de Morceau de 1à 11  entre 2 et 5 ou 6 minutes. Un sens de la forme inouï qui convaincra les purs et durs de la musique écrite contemporaine. Je ne vais pas me lasser d’écouter cet album en boucle, ces cordes çà me changera du saxophone… Qualité voisine du fameux Gocce Stellari de Wachsmann Hug Mattos et Edwards produit par Emanem : donc le top !

Irene Kepl Sololos Fou Records FR CD 20


Jean-Marc Foussat a encore frappé ! Cet artiste sonore et preneur de sons avisé pourrait se contenter de publier ses trésors « historiques » , les enregistrements de Derek Bailey, Evan Parker, Joëlle Léandre, George Lewis, Peter Kowald, Daunik Lazro au Dunois ou ailleurs et des albums d’artistes reconnus qui ont déjà une belle discographie. Mais comme il croit avant tout à cet esprit d’aventures et de recherches qui l’anime depuis ses débuts, il ne peut résister à l’envie de nous faire partager une belle découverte, une musique inconnue. Ici la violoniste autrichienne Irene Kepl nous gratifie d’un superbe opus solitaire d’une belle facture. Les doigts frappent la touche, l’archet ondule sur les cordes tendues, frictionnant les timbres, traçant des griffes dans l’air vibrant. Une vision organique de l’instrument, une approche tour à tour ludique, sensible, minimale, lumineuse, élégiaque, une connaissance intime des harmoniques et de leurs fréquences. Savoir dire l’essentiel avec le moindre intervalle dans une boucle infinie (Lucid) jusqu’à ce que la tension se métamorphose subitement en torsion. Un filet invisible s’échappe tel un sifflement de fourmi, le crin frôlant la corde, cette action amplifiée imperceptiblement fait naître de subtiles harmoniques à peine audibles (Move Across). Multiphonies à l’aide de la voix et du soft bow (?) (Candid). Cadences insistantes et intenses étirées vers des  climax en decelerendo et glissando orgiastique ou un ostinato /contrepoint bègue et frénétique sans solution de fin (AmiNIMAL). Pizzicato extrême et minimaliste (Drop in) Etc… il y a là tout un florilège du jeu violonistique, une  maîtrise des timbres et une poésie du son qui méritent d’être écoutés et réécoutés pour sa pertinence, sa singularité et le pur plaisir du son. On a entendu Irene Kepl au sein d’un quintet de cordes avec Paul Rogers, Nina de Heney et Albert Markos en Autriche qui fit sensation. Donc à suivre !!

Urs Leimgruber & Roger Turner/ Marcello Magliocchi & Guy-Frank Pellerin/ Nicolà Guazzaloca & Edoardo Marraffa/Daunik Lazro & Joe McPhee/Clarissa Durizzoto & Giorgio Pacorig/Birgit Ulher & Felipe Araya / Milko Lazar & Zlatko Kaučič

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La solution la plus simple et la plus personnelle pour improviser librement et collectivement, la plus économique aussi vu la difficulté à trouver un concert payé, souvent avec budget serré ! Le duo. Deux personnalités trouvent un terrain d’entente, un consensus où chacun se sent le plus à l’aise avec ses propres intentions et la musique de l’autre. La culture du dialogue et du partage. Aussi, le bonheur d’avoir rencontré les têtes pensantes de deux labels qui compte en Slovénie et alentour (Autriche et Italie) : le slovène Iztok Zupan de Sazas/ Klopotec et l’hongrois Laszlo Juhasz d’Inexhaustible Editions…. Deux allumés inconditionnels de la musique libre et improvisée qui apportent respectivement leurs concours comme ingénieur du son (Zupan) et organisateur très pointu (Juhasz).
Enregistrés en Normandie, dans les Pouilles, à la frontière austro-hongroise, en Slovénie, par des artistes moins sollicités que Brötz, Evan, Gustafsson, Vandermark etc… ces duos incarnent la recherche à la marge des territoires reconnus, de la routine festivalière et des regroupements téléphonés des organisateurs coventionnels.

The Spirit Guide : Urs Leimgruber & Roger TurnerCreative Works.
Waterfall Marcello Magliocchi & Guy Frank Pellerin White Noise Generator.
Live from Schnittpunkte Music : Les RavageursNicolà Guazzaloca & Edoardo Marraffa Klopotec/ Sazas IZK CD 042
The Cerkno Concert Daunik Lazro & Joe Mc Phee Klopotec/ Sazas IZK CD 044
Courtyard Stories : Locomotive Duo Clarissa Durizzotto & Giorgio PacorigKlopotec/ Sazas IZK CD 045
Scoriacon réplica : Birgit Ulher & Felipe Araya Inexhaustible Editions ie-005
Ena/One Milko Lazar & Zlatko Kaučič Sazas /Klopotec IZK026

On tient là une belle série de duos tout frais enregistrés en 2015 ou 2016 et impliquant un instrument à vent ou deux (Lazro - McPhee). Des enregistrements bien souvent assez courts car ils expriment un moment dans un lieu (ou plusieurs) lieux face à un public, découvreur, enthousiaste ou attentif. Et de ces conditions de jeu naissent une ambiance, une couleur sonore, une concentration, une manifestation vitale. 

Urs Leimgruber et Roger Turner (sax soprano et ténor & percussions) ont trouvé un terrain d’entente et de complicités dans le détail, les signes, les timbres. Urs tirebouchonne la colonne d’air vocalisant les harmoniques avec une précision rare. On songe au travail de Lol Coxhill durant les dernières années sans qu’il n’y ait bien sûr le moindre emprunt à son aîné. Roger cherche, invente, tintinnabule et puis s’oublie évoquant la stature et la manière d’un Milford Graves transcendé… Urs triture le ténor comme personne … Les deux duettistes travaillent en duo depuis plusieurs années et on ne peut trouver comparses aussi bien assortis. Après autant d’années recherches dans le son et l’improvisation totale, Roger Turner & Urs Leimgruber gravent dans l’espace et le temps l’équivalent d’une fresque tracée pour l’éternité au fond d’un abîme il y a des millénaires par des humains illuminés et vierges de l’aliénation qui oppresse nos semblables. The Spirit Guide a été enregistré au Havre lors d’un beau concert de la très méritante organisation Pied Nu. Magique !
Chute d’eau : la percussion de Marcello Magliocchi, grand-maître des cymbales, gongs et fûts installés dans le cloître de Santa Chiara à Noci, et bien que l’acoustique réverbérante et caverneuse de celle-ci colore la prestation, le percussionniste crée néanmoins un merveilleux tryptique en communion avec les saxophones soprano et ténor du franco-canadien Guy – Frank Pellerin, un authentique puriste du son. Quatre mouvements se détachent dans cette longue improvisation. Après une mise en bouche énergique, la première partie du concert le sax soprano se fait élégiaque et pondéré traçant des lignes et des courbes dans les nimbes sonores des gongs effleurés, grattés, crissés. Un solo de percussions donne la pleine mesure du talent polyrythmique de Magliocchi. S’ensuit un chassé croisé avec le sax ténor où le souffleur se lâche dans la meilleure veine du free-free-jazz speaking in tongues et de la free-music. Un super instant à deux saxophones simultanés fait sonner l’espace… Quand revient le sax soprano, la démultiplication et les croisements de rythme chamboulent l’horizon et la pointe du soprano s’élève vers le ciel. L’album se clôture sur une note apaisante de quelques minutes enregistrées au bord de la mer où Pellerin trouve et soutient les aigus les plus beaux sur les vibrations des instruments métalliques de Magliocchi : gongs, cymbales inédites, cloches…. Marcello Magliocchi peut aisément figurer parmi les percussionnistes essentiels de la free music comme Turner, Sanders, Noble, Lê Quan, Perraud, Blume … et Guy-Frank Pellerin est un saxophoniste de haute volée. Connaissant particulièrement bien leurs démarches respectives, je peux dire qu’il s’agit ici du sommet de l’iceberg, tant la pratique de l’improvisation de ces deux musiciens est multiple, étendue, expérimentée et profondément musicienne.

Le pianiste Nicolà Guazzaloca et le saxophoniste ténor Edoardo Marraffa, qui nous viennent de Bologne, ont une longue histoire commune et propre à créer une mythologie de groupe telle qu’avait connu la free music des premiers âges : on pense à ces associations de fortes personnalités réunissant un pianiste et un saxophoniste qui ont marqué l’imaginaire de l’improvisation libre et le free-jazz européen depuis les seventies… On songe à Brötzmann et Van Hove, Evan Parker et Schlippenbach, Rudiger Carl et Irene Schweizer, etc… Donc, les Ravageurs Live from Schnittpunkte Music. Nicolà Guazzaloca est un virtuose et compte dans le peloton de tête des pianistes qui ont pris la relève (Agusti Fernandez, Veryan Weston, Sten Sandell...). Le jeu d’Edoardo Marraffa est absolument unique et original et devrait être cité en exemple : on le reconnaît dès la première intonation. Subtilement lyrique et expressionniste, issu de la veine aylérienne, ce souffleur a acquis un univers sonore personnel assez particulier, une empreinte sonore qui le distingue indubitablement d’autres saxophonistes. Cet instrument à la particularité de permettre à certains artistes d’imprimer leurs marque au point d’être quasiment incopiables et par là Ravageurs. Tout comme le son de la voix de chaque être humain est immédiatement reconnaissable entre toutes. De ce point de vue, un bon nombre de saxophonistes qu’on entend et qu’on recycle actuellement sur toutes les scènes sont nettement moins originaux. Le souffle assez brut de Marraffa, son goût mélodique volontairement désuet et le style distingué / jeu très fin énergique et puissant de Guazzaloca crée un contraste fascinant propre à créer une légende. J’ajoute encore que Marraffa éructe dans son sopranino un peu comme Brötzmann le faisait dans sa clarinette ou Breuker au soprano, créant ainsi un bel effet sonore qui ajoute du piquant à leurs prestations. D’ailleurs, lors de l’intervention de Marraffa au sopranino, son malicieux camarade ne peut résister à faire crisser les cordes du piano comme je ne les ai jamais entendues (prise de son exceptionnelle d’Iztok Zupan) créant un moment de folie digne du trio Brötz/VH/ Bennink ! La partie où Marraffa souffle simultanément dans le ténor et le sopranino est une beau moment d’anthologie qui fait bien plus qu’évoquer les moments de grâce à jamais envolés des beaux soirs de la free music des années 70 ! Fantastique ! C’est bien le mérite d’Udo Preis de Limmitationes de convier de tels artistes moins bankables et d’Iztok Zupan, l’ingénieur du son, d’inclure leur magnifique enregistrement aux côtés de celui du duo Joe McPhee et Daunik Lazro dans le catalogue de son label Sazas / Klopotec. En plus, les pochettes très originales de la série en carton recyclé sont ornés des dessins colorés et mystérieux de Nicolà Guazzaloca, lui-même. Hautement recommandable. http://www.klopotec.si/klopotecglasba/cd_leslavageurs/  

Et donc lorsqu’on écoute ensuite the Cerkno Concert, on trouve une continuité au niveau de la qualité musicale relayée par l’esthétique des pochettes, évoquant un peu l’impression qu’ont eue les jeunes que nous avons été, en découvrant les 33 tours du label Hat Hut de McPhee et Lazro et le design inoubliable de cette série. Ces deux souffleurs se connaissent depuis des lustres et se rencontrent de temps à autre (Elan Impulse en duo In Situ, 1991 ou le trio avec Evan Parker sur le label Vandoeuvre). Joe McPhee est au sax alto et à la trompette de poche et Daunik Lazroaux saxophones baryton et ténor. Il y a plus d’une vingtaine d’années, on aurait entendu respectivement McPhee au ténor et Lazro à l’alto. Mais comme leurs styles personnels ont évolué au point d’êtres devenus méconnaissables par rapport au passé sans pour autant perdre leur aura, cette substance sonore et musicale et ce goût inné pour l’aventure sonore et la recherche des timbres et leur agencement inouï qui caractérisent leurs prestations en duo, on assiste à une renaissance complète de deux Phénix. L’exigence radicale de Daunik a sans doute ravivé la flamme de Mc Phee, un des artistes « free » les plus demandés, et comme on sait le rythme des tournées entraîne souvent une forme de routine. Ces deux briscards du free de toujours nous ont réservé une belle surprise au-delà des tendances. Tous les recoins de leur imagination ont trouvé une marque dans l’écoulement seconde après seconde de ce très beau concert. Les morceaux sont prosaïquement intitulés par le nom de chaque instrument utilisé : Pocket Trumpet and Bari sax, Alto Sax and Barisax et ainsi de suite avec quand même Voices for Alto and Tenor, une composition parmi les plus connues de Joe. Mais l’inspiration, la poésie et la connivence sont totales. Ce qu’aucun titre de morceaux ne peut saisir : la magie de l’air, l’unicité de leurs instants de grâce qui s’écoulent, dans un temps qui ne se compte plus, à travers des formes et des lueurs toujours renouvelées. Durée parsemée de coins secrets, bleus à l'âme, glissements de notes déchirées, et cette pocket trumpet d'un autre âge, merveilleuse. Le blues est palpable … C’est sans doute un des plus beaux duos qu’on puisse entendre depuis que l’Art Ensembleait marqué les soirées parisiennes de la Vielle Grille et du Lucernaire en 69/70. L’album magique qui nous manque depuis les faces inoubliables de Mc Phee (Glasses, Tenor, Graphics) et Lazro (Entrance Gates at Tshee Park, Aeros) …. Sous-titré Music for Legendary Heroes, car sans doute JMcP destine la musique à ses âmes tutélaires (le final est intitulé Remembering Ornette and Albert Ayler) leur performance s’inscrit parfaitement dans cette lignée : cet hommage revendiqué coule de source… http://www.klopotec.si/klopotecglasba/cd_lazro-mcphee/ 

Clarisse Durizzotto et Giorgio Pacorig, soit leLocomotive Duo ne sont pas en reste question originalité avec leurs quatorze historiettes, Courtyard Stories. Pacorig redécouvre la magie du Fender Rhodes, instrument lié au jazz-rock de Miles Davis à Can en passant par les HeadHunters. Complètement en dehors du contexte groovy et funky psychédélique (un autre mot ?), ce clavier électrique qu’on vouait aux gémonies (Hal Galper a jeté le sien dans l’Hudson River), est transformé par le claviériste comme s’il l’avait préparé (comme on prépare un piano acoustique), trafiqué ou détraqué. Avec l’aide d’un Korg MS20 et des devices, il obtient un son à la fois déchirant, lunaire, cristallin, excentrique qui évolue entre l’orgue ou le vibraphone. Sa compagne développe des lambeaux mélopées microtonales, des suaves clair-obscur vingtiémistes ou des growls hésitants avec sa clarinette…. Le duo crée un univers décalé, alignant cadavres exquis et mignardises sonores et percussives. De ce jeu au départ chaotique, s’enchaîne un flux irrésistible, le Fender Rhodes se transformant en machine à sons affolée et la clarinettiste, par ses incartades au bon goût et la fluidité et l’acidité mélangées, faisant oublier son prénom associé à un strict ordre religieux sans parler de son patronyme involontairement gastronomique. Je sais que les noms des musiciens, cela n’a rien à voir avec la musique, mais cela contribue à la mythologie. Que des compositeurs d’avant-garde du XXème s’appellaient Globokar, Stockhausen, Penderecki ou même Cage, c’était plus exotique et excitant que Durand ou Janssens. Donc ces deux musiciens avec leurs noms à coucher dehors font vraiment tout pour dépayser nos sens et se complètent remarquablement tout en étendant leurs registres sonores et expressifs. Pacorig donne une  qualité éminemment acoustique à ses engins comme s’ils étaient devenus des instruments à vents. C’est peut être un peu plus léger musicalement que les autres duos, mais l’esprit de sérieux et la densité du propos peuvent nuire à la digestion… Vraiment enthousiasmant au fur et à mesure que les plages se succèdent, car leur performance se bonifie de morceau en morceau dans un continuel renouvellement sonore et des idées musicales. Et la qualité de l’enregistrement de Zupan / Klopotec n’y est pas pour rien. Rafraîchissant. http://www.klopotec.si/klopotecglasba/cd_locomotiveduo/ 


Enregistré à Hamburg, le duo Réplica de Birgit Uhler et Felipe Araya incarne la recherche sonique hors des sentiers battus : Scoriacon. Six titres en espagnol latino américain : riolita, andesita, fonolita, nefelinita, etc… Si la trompette toute spéciale de Birgit Uhler avec ses timbres inusités et ses techniques alternatives, ses sourdines improbables (des plaques de cuivre, par exemple), son jeu introspectif internalisant des pulsations débridées fait partie du décor de l’avant-garde improvisée (c’est une artiste unique), Felipe Araya semble sortir de nulle part avec son cajon, un instrument de percussion en bois en forme de caisse, évidée et munie d’orifices. Étrange, il le caresse, le gratte, le frotte, promène des objets insolites sur sa surface, bruissant comme un soundfield-paysage sonore. Un son moite et granuleux où comme un étrange oiseau des îles, sa partenaire vient glouglouter dans d’imaginaires et exubérantes fleurs tropicales. Tout à fait dans la ligne des projets de Birgit Ulher avec Gino Robair, Heinz Metzger, etc… J’avoue avoir un faible pour l’art de l’intransigeante Birgit, car son jeu austère intègre le sens de la pulsation et l’intuition d’un vrai sens musical  et est contextualisé dans le déroulement de la performance au point qu’il quitte sa coquille hermétique pour révéler les intentions et l’émotion de la musicienne. Si on retrouve régulièrement des traces de cet artiste, qu’on qualifierait trop malheureusement de minimaliste ou de réductionniste, sur de nombreuses scènes et auprès d’artistes universelles comme la chanteuse Ute Wassermann, c’est qu'elle a su cristalliser des intuitions relatives à la nature de son instrument et à l’utopie lower-case pour créer un univers sonore incontournable. Birgit Ulher dure et durera sur la scène, car elle est convaincante pour un non-initié. Tout comme Derek Bailey pour la guitare, et à l’instar de son collègue le trompettiste Frantz Hautzinger, Birgit Uhler a su découvrir et exploiter avec le plus grand succès les possibilités sonores insoupçonnées et les réalités acoustiques cachées de son instrument en explorant minutieusement les combinatoires de positions des pistons, d’intensités de souffle, d’effets de timbre et ses sourdines atypiques. Avec Felipe Araya et ses bruissements, elle va encore plus loin dans sa recherche et l’aboutissement de sa démarche. Ce duo vient de tourner en Amérique Latine en novembre. À suivre !!


Pour clôturer, voici un album en duo avec un musicien qui a beaucoup contribué pour le jazz d’avant-garde et l’improvisation en Slovénie, justement : le percussionniste Zlatko Kaucic. Face au pianiste tout terrain Milko Zadar, il nous fait montre de son style free flow original avec percussions et batterie. Un drive subtil, une dynamique dans les frappes et les frottements, objets secoués ou vibrant sur peaux et cymbales, actions simultanées et accidents sonores tout en finesse : Ena / One (Sazas /Klopotek IZKCD026). Son acolyte pianiste le suit de bout en bout et le précède même avec une certaine malice bonhomme.

Nathan Bontrager Elisabeth Coudoux Nora Krahl Hugues Vincent/ Audrey Lauro Yuko Oshima Pak Yan Lau/ Thanos Chrysakis Christian Kobi Christian Skjødt Zsolt Sörés/ Evan Parker Daunik Lazro Joe Mc Phee/ Frank Gratkowski Sebi Tramontana

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The Octopus Subzo{o}ne Nathan Bontrager Elisabeth Coudoux Nora Krahl Hugues Vincent Leo records CD LR 770

Un rare quartet de violoncelles pour une musique exigeante, sans concession, inspirée de la musique contemporaine pointue et entièrement improvisée par de jeunes artistes qui ont un réel projet et de belles idées en commun. 14 pièces généralement courtes où chacun est tout ouïe et où l’intention de départ se transforme parfois en cours de route. Je ne connais que deux enregistrements de quartet contrebasses en improvisation : Rotations de Sequoia (Andrea Borghini, Meinrad Kneer, Klaus Kürvers et Miles Perkin) et After You’ve Gone (Barre Phillips, William Parker, Joëlle Léandre et Tetsu Saïtoh). Cet enregistrement de The Octopus semble être une véritable première en quatuor de violoncelles improvisé, mais au-delà de l’effet de surprise, l’auditeur se convaincra de la légitimité de l’entreprise au fil des morceaux écoutés. Outre l’excellence de chaque violoncelliste, c’est encore plus la mise en commun des potentiels et des idées, la symbiose et la complémentarité de chaque voix instrumentale qui séduisent. Plusieurs fondamentaux de la recherche musicale et instrumentale sont développés spontanément : minimalisme, spectralisme, cadences répétitives, intervalles déconcertants, travail sur le son, les harmoniques, le silence ou au bord de celui-ci, halos fantomatiques, effets de miroir, agrégats sonores spécifiques aux cordes, toutes les vibrations des doigts sur la touche, etc…. Travail éminemment collectif : unis comme les quatre doigts de la main, deux garçons, deux filles… il est impossible de déterminer lequel des quatre produit tel ou tel son. Le niveau intense du travail collectif bonifie sans appel l’apport individuel de chacun et les transcende : The Octopus atteint un niveau élevé de réussite et de conviction qui va plus loin que la virtuosité et les qualités personnelles déjà considérables. Il est évident, à l’écoute de Subzo(o)ne, que les instruments à cordes frottées et leurs instrumentistes révèlent au mieux leur nature spécifique, leur richesse timbrale et leur destinée musicale qu’en se réunissant entre cordes et cela, mieux que s’il s’agissait de quatre autres instruments à vent identiques, par exemple. Cet album mérite d’être réécouté pour en saisir tous les ressorts, les angles, les déroulements des idées, des sons et des intentions. Il y a bien sûr une volonté de consensus, d’harmonie, d’intégrer au mieux chaque personnalité dans le groupe. Le sens de la forme et la logique musicale rencontrent la spontanéité et l’invention immédiates. Et donc naissent des surprises. Certains violoncellistes improvisateurs ont gravé des albums solos (je suis très curieux  d’écouter l’album solo de l’extraordinaire Okkyung Lee !), mais Subzo(o)ne doit bien être, en faisant fonctionner ma mémoire, l’article incontournable du violoncelle improvisé depuis que Tristan Honsinger  est apparu et a enregistré Garlic and The Fever, She et On Clapping (Live Performances SAJ-10) au Flözà Berlin le 7 novembre 1976. Vraiment recommandé.

Lauroshilau : Audrey Lauro, Yuko Oshima, Pak Yan Lau Creative Sources CS 283 CD


Enregistré en mars 2013, lauroshilau réunit les talents conjoints de trois jeunes femmes impliquées à 100% dans l’improvisation radicale. Saxophoniste alto (plus que) très remarquable, Audrey Lauro a acquis un son et une démarche très personnelle que l’empathie et le sens pointu du travail du son de la pianiste Pak Yan Lau et de la percussionniste Yuko Oshima intègrent dans un flux, l’espace et le silence en se focalisant à l’extrême sur leur vision de leur musique collective. Leur recherche sonore individuelle est entièrement axée vers l’équilibre et une complémentarité originale. C’est avec une belle minutie que Pak Yan pince les cordes du registre aigu et bloque la résonnance du registre grave. Le toucher cristallin du piano préparé rencontre les notes pures, saturées ou détimbrées, égrenées par le souffle retenu et les sons métalliques en suspension de la percussion. La pianiste joue aussi du hohner pianet et de l’électronique (discrète) et sa collègue « batteuse » des samplers. Loin de se conformer aux schémas tirés au cordeau du minimalisme « réductionniste », ces trois musiciennes tentent avec bonheur de trouver et de découvrir ce à quoi leurs personnalités et leurs expériences les destinent lorsqu’elles créent ensemble. Six pièces où se font sentir la valeur de chaque note, l’intensité des gestes, la légèreté des sons, le silence traversé, une approche zen. Une dimension picturale plutôt qu’un théâtre gestuel. Une belle construction collective, originale et qui offre des perspectives renouvelées d’une écoute à l’autre.

Carved WaterThanos Chrysakis Christian Kobi Christian Skjødt Zsolt Sörés Aural Terrains TRRN1035

Aural Terrains est le label du compositeur, improvisateur et artiste sonore Thanos Chrysakis. Carved Water rassemble les efforts conjugués de Thanos Chrysakis, ici au laptop computer et live electronics, du Suisse Christian Kobi au sax soprano, du Danois Christian Skjødtaux live electronics and objects et du Hongrois Zsolt Sörés qui truste l’alto à cinq cordes, contact microphone, effects, dissecting tools, sonic objects et voix. Tour à tour dense, complexe, détaillé, minimaliste, contrasté ou hyperactif, ce quartet soudé explore les extrêmes des sons électroniques/ électroacoustiques provenant de techniques et de sources diversifiées élaborant un véritable voyage au travers de paysages sonores d’une grande richesse au niveau des textures, des timbres, des fréquences, des dynamiques. Kobi altère la voix du saxophone soprano pour le transformer en objet sonore s’intégrant parfaitement avec la nature des sons du groupe en utilisant des techniques alternatives cohérentes. Un nombre de plus en plus grand de musiciens se consacrent à cette démarche électronique bruitiste et Carved Water en est une superbe démonstration. Certains albums représentatifs servent souvent de documentation/ carte de visite dans le but de convaincre un éventuel organisateur de concerts. Vu la production pléthorique d’enregistrements (cfr le Creative Sources), on aurait tendance à ranger ce cd dans la pile des « écoutés une fois ». Mais la qualité, la variété des sons, leurs occurrences et transformations au fil de la performance (Opening Concert at the international sound installation exhibition ‘On the Edge of Perceptibility – Sound Art 1. Part 1  39:04  2. 11:40 Kunsthalle Budapest) font de ce disque une manière de manifeste. Un sens de la dérive et de la construction simultanées. Remarquable !!

Evan Parker Daunik Lazro Joe Mc PheeSeven Pieces Live in Willisau 1995. Clean Feed 397 

Juste retour des choses : vingt ans auparavant Evan Parker et Joe McPhee défrayaient la chronique du jazz d’avant-garde avec des concerts et des albums en solo manifeste : Saxophone Solos (Psi), Tenor(Hat Hut). Echoes of the Memory ouvre le disque : sux festivals de Willisau 1975 et 1976 : Joe McPhee avait fait des apparitions inoubliables, tout comme Evan Parker avec Alex von Schlippenbach et Paul Lovens. Daunik Lazroétait lui sorti de sa boîte par les Gates of Tshee Park, un album qu’Hat Hut avait publié sur les conseils de Mc Phee. En 1996, le label Vandoeuvre avait produit le trio EP-JMP-DL enregsitré au CCAM de Vandoeuvre-lez-Nancy, lors d’une tournée Européenne en 1995. A cette époque les carrières d’Evan Parker et de Joe Mc Phee s’emballent : concerts et enregistrements se multiplient à un rythme effréné sur les deux rives de l’Atlantique et jusque dans les pays de l’Est. Vingt ans plus tard, le contenu d’une cassette se révèle être un des concerts de cette tournée : Willisau 1995 , là où tout avait démarré pour Joe Mc Phee : The Willisau Concert 1975 : https://en.wikipedia.org/wiki/The_Willisau_Concert. Malgré le son « cassette », le trio fait entendre son profond engagement, toute sa cohésion et les particularités de chaque improvisateur. C’est pour moi, un des meilleurs exemples de collaboration à plusieurs saxophones : ténor et soprano pour Evan, alto et baryton pour Daunik, alto et soprano pour Joe, sans oublier, la clarinette alto et sa pocket trumpet qui ne le quitte jamais. Florid est un solo caractéristique de Parker au soprano avec ses inimitables multiphoniques…. et des harmoniques qui s’entrecroisent…. Concertino in Blue démarre lentement sur un air de gospel entraîné par le baryton de Daunik qui décline la mélodie et la clarinette de Joe brodant un bourdon et le ténor de Parker qui descend du grave vers le médium. Au fil des minutes, baryton et clarinette tournent et retournent deux notes en boucle le ténor vrille. Une belle émotion. Tree Dancing une conversation intime, des sons vocalisés à la fois introvertis et/puis expressionnistes à l’alto par Joe. Un motif scandé est répété en chœur avec des décalages/ battements qui permettent aux sons individuels, reliés en escaliers et spirales de se superposer et de s’emboiter avec une réelle lisibilité. Cris ayleriens de l’alto. L’émotion devient intense, l’horizon se remplit et s’éclaire. Les trois improvisateurs négocient une conclusion où chacun tient un rôle particulier décisif, boucles, spirales, glissandi, bribes de mélodies enchevêtrées, bouquet de voix offertes, pulsations du souffle. Les voix s’apaisent, s’unissent : deux sopranos et un alto tuilent les derniers filets de voix. Une belle aventure !!

Live at Spanski Borci : Frank Gratkowski Sebi Tramontana Leo records LR CD 779

Duo de souffleurs pour saxophone alto, clarinettes basse et Bb,  et trombone. Frank Gratkowski et Sebi Tramontana partagent bien des aventures et leurs musiques de manière mystérieuse comme le souligne le saxophoniste. Iztok Zupan du label Klopotec (et pas Iztok Kolopotek comme indiqué dans les notes de pochette) a encore visé juste. Un enregistrement exceptionnel qui rend la dynamique de la musique, précise, détaillée, intense, vivante…
Ce concert enregistré au théâtre Spanski Borci de Ljubljana concentre tout ce que le jazz d’avant-garde a de meilleur en laissant de côté ses tics, les certitudes, la routine et la facilité. Face à un marché de la free music atone et indifférent sur le Vieux Continent, des initiatives affleurent dans des petits pays aux quatre coins de l’Union Européenne : Lithuanie avec No Business Records, Portugal avec Clean Feed et Creative Sources, Suisse et ses festivals et concerts bien payés, et maintenant la Slovénie avec une activité soutenue et des labels comme Klopotecet Inexhaustible Editions. C’est donc Iztok Zupan, à qui l’on doit les tout récents enregistrements de McPhee et Lazro, Marraffa et Guazzaloca sur son label Klopotec, qui vient d’immortaliser l’une des plus belles conversations de la décennie, en marge du jazz libre, de la musique contemporaine et de l’improvisation totale, mais aussi proche de l’esprit d’une musique populaire : folklore imaginaire ? Gratkowski qualifie les quinze pièces improvisées d’Instant Songs. La démarche de son collègue tromboniste, Sebi Tramontana, évoque le magnificent Roswell Rudd, tournant au tour d’un point fixe marqué par une pulsation les mêmes deux ou trois notes  comme le fantôme de Kid Ory derrière / autour des lignes du souffleur. Celui-ci manie avec une belle adresse la clarinette en si bémol, un instrument ingrat. On l’entend sur son versant lyrique et mélodique agrémenté de techniques alternatives comme dans ce merveilleux Dancer où il slappe le bec de la clarinette basse dans la tonalité de la mélodie avec une précision confondante. S’il y a virtuosité, elle n’est pas mise en avant mais au service de l’expression et de la qualité des échanges. D’ailleurs, Steve Beresford ne s’y est pas trompé : on lui doit les notes de pochette dans lesquelles ses allusions et commentaires soulignent indirectement toute la saveur, l’inspiration et le lyrisme sincère des deux amis qui nous ouvrent leur cœur. Revelation, Spirited, Time and Space, Dancer, Singer, You’re Though, Series of Dramatic Events, Daydream, Deceiver, Nocturne, etc… chaque pièce exprime des sentiments, une intention, un feeling, une énergie concentrée, un rêve, un poème, un paysage… avec sa dynamique propre, sa couleur sonore, des inflexions spécifiques.

Best free improvisation recordings listened to by JMVS

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Densités 2008 Chris Burn Ensemble : Chris Burn John Butcher Simon H.Fell Christof Kurzmann Lê Quan Ninh Bruce’s Fingers BF 135

The Octopus Subzo{o}ne Nathan Bontrager Elisabeth Coudoux Nora Krahl Hugues Vincent Leo Records CD LR 770

The Spirit Guide : Urs Leimgruber & Roger Turner Creative Works CW 1062 

The Cerkno Concert Daunik Lazro & Joe Mc Phee Klopotec/ Sazas IZK CD 044

Musica in Camera : Quatuor d’Occasion : Malcolm Goldstein Josh Zubot Jean René Emilie Girard Charest & records &22

Soweto Stomp Malcolm Goldstein & the Ratchet Orchestra Mode 291

Dialogues For Ornette Trevor Watts & Veryan Weston FMRCD0404-0915

Garuda  Philipp Wachsmann & Lawrence Casserley  Bead RecordsSP12

London (East then South) Lauri Hyvärinen & Daniel Thompson  inexhaustible editions ie-003 -digital only-

Outside Duck Baker Emanem 5041

Enfances à Dunois le 8 janvier 1984 Daunik Lazro Joëlle Léandre Georges Lewis FOU Records FR CD 18

discoveries on tracker action organ Veryan Weston Emanem 5044

Live at Mia 2015  Adriano Orrù  Maria do Mar  Luiz Rocha  Endtitles

Chant  Nuova Camerata : Pedro Carneiro Carlos Zingaro Joao Camoes Ulrich Mitzlaff  Miguel Leiria Pereira improvising beings ib50

A Purposeless Play and Pugilism Benedict Taylor Solo viola Subverten

Rotations. Sequoia : Antonio Borghini Meinrad Kneer Klaus Kürvers Miles Perkin evil rabbit 21.

L’écorce et la salive Christiane Bopp & Jean-Luc Petit Fou Records FR-CD19

Raw Harald Kimmig Daniel Studer Alfred Zimmerlin & John Butcher Leo Records LRCD 766

Chris Burn John Butcher Simon H.Fell Christof Kurzmann Lê Quan Ninh/ Isaiah Ceccarelli Bernard Falaise Joshua Zubot/ Tom Jackson Ashley Long John Benedict Taylor Keith Tippett / Gianni Mimmo Prossime Trascendente / Grosse Abfahrt : Frank Gratkowski, Kjell Nordeson Lisa Mezzacapa Philip Greenlief John Bischoff Tom Djll Gino Robair Tim Perkis Matt Ingals John Shiurba.

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Ensemble : Densités 2008Chris Burn John Butcher Simon H.Fell Christof Kurzmann Lê Quan Ninh Bruce’s Fingers BF 135



Bien qu’il joue nettement moins depuis qu’il s’est établi en France, le contrebassiste – improvisateur – compositeur – chef d’orchestre Simon H Fell est loin de rester inactif sur son label Bruce’s Fingers. Après des années de valse hésitation à propos d’un mix de cet excellent concert, voici, enfin ! , la performance d’Ensembleau festival Densités 2008 publié en Digital. Faute de pouvoir produire en CD ou en LP ses multiples projets et aventures (et celles de ses protégés), SH Fell a recours au digital. À l’aide d’un casque au départ de l’appli I Tunes et avec un son très présent et détaillé, je parcours avec enthousiasme les 40 minutes de cette improvisation collective remarquablement diversifiée, soudée et exploratoire au niveau du travail des sons. Sax ténor – piano – contrebasse – percussions + électronique : on a là les ingrédients parfaits pour ne pas aller bien plus loin que le free – jazz de bon papa à l’américaine (le free free-jazz) ou la free-music tempérée issue de la pratique des conservatoires. En fait, j’ai si peu entendu d’autres enregistrements qui partent si loin dans la découverte des sons avec un groupe d’instruments aussi connotés « jazz quartet ». À l’époque de cet enregistrement, S. H Fell et le pianiste Chris Burn avaient enregistré en trio avec le pianiste Philip Thomas un remarquable opus, The Middle Distance(another timbre at24). Ici, Simon H Fellet Chris Burn se sont joints au saxophoniste John Butcher avec qui C.B. travaille depuis les premières années 80 et au percussionniste Lê Quan Ninh, un improvisateur pointu aussi incontournable et très original. Le musicien électronique Christof Kurzmann complète l’équipage. Ce serait sans doute un des meilleurs témoignages de l’évolution du Chris Burn Ensemble, un groupe focalisé sur l’improvisation radicale et le travail sur base de partitions graphiques initié par Chris Burn, si le groupe ne s’intitulait pas Ensemble, tout court. Je laisse libre le fait de savoir s’il s’agit dans les faits du CBE ou si le terme Ensembleest une allusion à celui-ci ou si… sans questionner les auteurs. Finalement, SH Fell me confirme qu’il s’agissait bien du Chris Burn Ensemble, mais que le pianiste a préféré l’appellation Ensemble, sans doute pour souligner qu’il n’aurait pas formulé de marche à suivre. En effet, le seul long titre de l’album, Densités 2008 me semble être une improvisation libre (40:51), même si des mouvements se distinguent au fil de l’écoute : cela pourrait être aussi une composition « très ouverte ». Impossible à déterminer !  Pourquoi fais – je référence au Chris Burn Ensemble ?Chris Burn fut le compagnon alter ego de John Butcher dès leurs débuts vers 1981/82 et son groupe, le CBE,  a compté parmi ses membres, outre Butcher et Burn, des artistes comme John Russell, Marcio Mattos, Jim Denley, Phil Durrant, Matt Hutchinson, Stevie Wishart, Mark Wastell, Rhodri Davies, Nikos Veliotis et Axel Dörner. Plusieurs albums ont été publiés depuis 1990 sur les labels Acta (Cultural Baggage et Navigations), Emanem (The Place et Horizontal White)et Musica Genera (CBE at Musica Genera 2002). Ce fut donc, pour moi, un des groupes à suivre, ne fut-ce que parce que son parcours reflète l’évolution de la scène improvisée libre depuis la cristallisation des radicaux autour du trio Butcher, Russell & Durrant,  Radu Malfatti, etc… dès les années 80 jusqu’au développement d’une autre improvisation (minimalisme, réductionnisme, lower case, EAI) dans les années 2000 (Davies Durrant Wastell Dörner). Certains de leurs enregistrements révélaient une véritable synthèse des préoccupations musicales de cette communauté  en la reliant aux investigations des Gunther Christmann, Alex Frangenheim, etc…Densités 2008 est une pièce d’un seul tenant et sans nul doute un témoignage de première main de la démarche de Chris Burn, un pianiste radical aussi à l’aise à explorer les profondeurs de la table de résonnance, des cordes et de l’armature du grand piano qu’à interpréter Charles Ives ou John Cage ou à mener le travail orchestral avec ses fidèles du C.B. Ensemble. Dans Densités 2008, chacun des participants imprime une trace très personnelle tout en intégrant l’activité collective avec une foi débordante. La circulation des timbres, des gestes, des battements des sons, de l’action se transmet immédiatement entre chaque musicien avec une immédiateté et une énergie peu communes. La présence de Lê Quan Ninh donnne une dimension organique, chamanique et ensauvagée à la dimension plus pointilliste de Butcher et Burn. Je signale un enregistrement similaire avec ce percussionniste : Une Chance Pour L’Ombre avec Lê Quan, Doneda, Kasue Sawaï, Kazuo Imai et Tetsu Saitoh (label Bab Ili Lef). Dans ce contexte collectif, John Butcher est complètement en phase avec ses collègues jouant l’essentiel dans l’instant et en symbiose, oubliant le rôle de soliste conféré au saxophoniste et assumant l’effacement de son style personnel dans le flux des actions sonores (J.B. butchérise à bon escient vers la 25ème minute). Aussi, les loops de Kurzmannétonnent par leur singularité et par la place étrange qu’ils acquièrent dans le champ sonore, intriguant l’écoute attentive. Consciemment, le contrebassiste, Simon H Fell, trace son parcours sans sauter à pied joint sur les sollicitations faciles, contribuant ainsi à la diversité sonore. Il faut entendre les vibrations de la grosse caisse et le grondement de la contrebasse suivi des murmures de chaque instrument vers la 11ème minute où chacun propose et l’Ensemble dispose pour reconnaître de bonne foi qu’on s’approche de l’état de grâce. Cet état de grâce ressurgit à plusieurs reprises, l’inspiration ne se tarissant pas. Certains des sons et techniques alternatives sollicitées pourraient composer dans un « herbier » désincarné de type études, mais il y a une vie intense, une grande sensibilité instantanée, des choix très subtils. Cherchez dans Youtube des associations instrumentales et personnelles de ce type avec des personnalités d’envergure de l’improvisation et filmées dans des festivals incontournables, il vous faudra chercher très longtemps pour arriver à trouver quelque chose d’aussi abouti… Si les albums du C.B.E. contenaient plusieurs compositions différentes développant différentes idées, Densités 2008 concentre et exemplifie la démarche de ces artistes en une seule pièce, unique, monolithique et aboutie, point culminant d’une aventure limitée à un seul « set » de festival. Comme s’ils avaient trouvé la meilleure voie d’une seule voix. C’est tout ce qu’il reste à faire : investiguer, gratter, frotter, comprimer la colonne d’air, pincer les cordes du piano, faire gronder celles de la contrebasse en imprimant une cadence, un mouvement, des ondulations, des accents quasi-identiques que ce soit avec la grande cymbale pressée sur la peau de la grosse caisse horizontale et frottée avec un archet, ou un autre archet faisant gronder les fréquences de la contrebasse et les lèvres pinçant le bec avec fureur  la colonne d’air ou faisant à peine vibrer l’anche, alors que la table d’harmonie chavire dans un maelström de timbres, de bruissements et de vibrations piqueté par les giclées électro. Non – idiomatique ?? Oui, sans doute. J’ai réécouté cette remarquable tranche de vie plus d’une dizaine de fois au casque sans passer le contenu via l’ampli dans les haut-parleurs, car je suis obligé alors de faire reposer le poids de mon MacBook Air sur la platine vinyle, ce qui n’est pas recommandé. Je me force ainsi à suivre tous les détails de cette musique au casque et à essayer de vous narrer une partie du menu de leur superbe cheminement en tapant sur le clavier. Une de mes meilleures expériences d’écoute de ces dernières années.

Subtle Lip Can : Reflective Drime Isaiah Ceccarelli Bernard Falaise Joshua Zubot Drip Audio

Subtle Lip Can est un trio dynamique d’improvisation réunissant percussions (Isaiah Ceccarelli), guitare électrique (Bernard Falaise) et mandoline et/ou violon (Joshua Zubot) pour une recherche sur la gestuelle du jeu sur la guitare préparée et transformée et comme j’entends peu le violon de JZ, avec la mandoline qui double la six cordes. Lorsque la rotation des pincements métalliques de la guitare tournoie sans discontinuer, le percussionniste actionne un archet sur cymbales et accessoires métalliques (Siffer Shump). Gull Plump Fiver nous fait découvrir les sons trasheusement électriques avec effets emmenés par le guitariste survolté, c’est punk en fait. Cette génération d’improvisateurs se replongent joyeusement dans leur adolescence mais le morceau évolue avec une véritable subtilité s’aérant au final. Salk Hovered marque l’auditeur par l’épure et la retenue dans le débit sonore et la qualité des timbres à peine électrifiés et des hamoniques hantées provenant autant de la percussion et des cordes : fantômatique, lunaire…. Le trio varie les ambiances, les procédés, l’esprit, le fonctionnement du trio de morceau en morceau plutôt que de travailler une démarche clairement définie du début jusqu’à la fin. Malgré tout, Subtle Lip Can conserve quelque chose qui permet de reconnaître le trio d’une pièce à l’autre rien que parce que l’enregistrement très précis nous fait goûter les colorations des sonorités au plus près. Rommer Chanksévoque un AMM post rock de manière assez réussie. Une musique exploratoire, subtilement électrique au point que les sons acoustiques se fondent dans la masse imperceptiblement, frottements en tous genres agglutinés avec soin et lisibilité (Rommer Chanks, Toss Filler Here). Je me demande toujours où se trouve le violon de Joshua Zubot, sans doute inclus de manière surprenante dans la masse sonore. Toss Filler Here est un bel instant ludique. Slam Hum et ses grincements renouvellent le discours. Un album d’impro sans concession et un son de groupe distinctif.


Tom Jackson Ashley Long John Benedict Taylor Keith TippettFour Quartets Confront Records.
Keith Tippett est pour beaucoup de connaisseurs synonyme de jazz libre avec Elton Dean et Louis Moholo ou Paul Dunmall, Paul Rogers et Tony Levin, voir de jazz-rock avec l’album Lizard de King Crimson, Working Week,  l’album Cruel But Fair ou ses légendaires très grands orchestres Centipede, Frames et Tapestry. Vu plutôt comme un improvisateur de traverse, les observateurs du continent ont du mal à appréhender Keith Tippett en improvisateur libre. Deux jeunes cordistes d’avant-garde, le contrebassiste Ashley Long Johnet l’altiste Benedict Taylor et l’associé de ce dernier dans le collectif CRAM, le clarinettiste Tom Jackson se joignent au légendaire pianiste, lui-même, muni de galets de plage, de maracas, de woodblocks et d’une boîte à musique.
Sans batterie, la musique se meut sur les pulsations du claviériste et de l’action saccadée de ses doigts sur les cordes. Parfois lyrique, mais aussi atonale et sonique,la musique est emportée avec le souffle hululant et les spirales de Tom Jackson, et les torsions microtonales de Benedict Taylor. Des cadences faussement répétitives soulèvent les marteaux sur les cordes bloquées créant un effet de vagues moussues mourant sur les récifs, une fois apaisées les lames laissent la place au grondement des notes les plus graves du piano et du frottement/ battement des cordes de la basse dans le registre grave du piano se confondant avec ce dernier.  La musique est essentiellement organique, découvrant des espaces peu visités, suggérant de nouveaux agrégats et puis, d’un coup retourne aux scansions chères à KT. Tom Jackson embouche sa clarinette basse pour colorer l’ostinato irrégulier du pianiste et du contrebassiste. Keith Tippett esquisse un pas de danse et tous s’essayent à fausser le tempo. Quand les battements reprennent, la clarinette basse gronde, éructe, les harmoniques percent et survolent le continuum, la vibration du piano par toutes ses parties, caisses, cordes, marteaux et les grincements des cordes. Ces musiciens excellent à changer l’atmosphère et dérouter le flux volatile vers une conclusion insoupçonnée. Le deuxième quartet, très court, débute clairsemé, hésitant, du bout des doigts, chacun à sa marotte tout en croisant leurs lignes avec adresse. C’est en tout point remarquable. Chacun avec son rythme propre s’associe à l’autre et tous se complètent. Le troisième quartet semble vaporeux, élégiaque, avec des timbres très fins, une musique de chambre éthérée. L’altiste file des harmoniques infimes entre le chant élancé et lunaire de la clarinette, le tremolo et les coudées de la contrebasse sur les pincements des cordes du piano et puis joue franc jeu microtonal…  Le quartet se développe, accélère, imbrique des accents, des intervalles dans une course poursuite où personne ne mène, mais dans laquelle tous oscillent, balancent, rebondissent. Un rythme de danse folk surgit inopinément. Au final une musique riche, spontanée, libre, réfléchie, intense et finalement, audacieuse. Présentée dans une boîte métallique et produite par Mark Wastell sur son très unique label Confront Records.

Gianni Mimmo Prossime Trascendente Amirani records Amrn # 047

Au fil des ans, le saxophoniste soprano Gianni Mimmo a tracé sa voie et son label Amirani records contient de vraiment beaux et / ou intéressants témoignages de ses rencontres depuis le milieu des années 2000. Angelo Contini, John Russell, Harri Sjöström, Gianni Lenoci, Daniel Levin, Alison Blunt, Xabier Iriondo, Lawrence Casserley et Martin Mayes pour citer quelques-unes de ses collaborations. Sa démarche improvisée a quelques ramifications avec celle d’un compositeur, si on considère que le fil de ses improvisations suit la logique des intervalles très particuliers d’une pensée harmonique sophistiquée, de structures plutôt que de laisser cours à une spontanéité épidermique. Il y a aussi beaucoup de sensibilité dans son jeu et un goût sûr pour la mélodie monkienne héritée de Steve Lacy, car sa musique free résolument contemporaine, mais sans excès radical, est solidement imprégnée par l’expérience du jazz d’avant-garde. Il cite Roscoe Mitchell, Steve Lacy et aussi des compositeurs comme Schiarrino, Scelsi ….
Prossime Trascendente se compose de deux projets de compositions graphiques écrites spécifiquement pour deux groupes distincts  avec une instrumentation choisie dans l’esprit de la musique de chambre. Due Sesteti : Gianni Mimmo sax soprano, Michele Marelli cor de basset, Mario Mariotti trompette en do, Angelo Contini trombone, Benedict Taylor viola Fabio Sacconi. Cinque Multipli : Gianni Mimmo sax soprano, Mario Arcari, cor anglais, Martin Mayes, cor, Alison Blunt violon, Marco Clivati percussion. Dès le départ, il faut souligner la qualité de son travail. Daphne offre quelques mouvements associant les couleurs instrumentales comme si cette pièce avait été écrite par un compositeur vingtiémiste, l’intérêt réel de cette pièce se dévoilant petit à petit par les associations de timbres ingénieuses, de glissandi curieux et les passages où les instrumentistes font valoir leur spécificité d’improvisateurs. Si Daphneest plutôt basé sur l’évolution du son d’ensemble, The Nestled Thought met en scène un jeu de questions et réponses avec un sens de l’équilibre original basé sur des interventions solistes. La conception et la réalisation sont particulièrement réussies par rapport à ce que requiert la partition. Les musiciens sont appelés à tracer l’essentiel de leur propre pensée musicale dans des instants mesurés, calibrés et destinés à former un ensemble d’actions dans le temps. Toutefois, si cette démarche a des qualités de clarté et si ces excellents musiciens travaillent au mieux (il faut écouter la précision dans le jeu dans ces « semi improvisations » à la minute huit et neuf, par rapport à leur propre langage et ce dont ils sont capables de jouer en improvisant librement, on  est en retrait par rapport au potentiel. Je connais particulièrement bien les travaux de Mimmo, Contini, Blunt et Taylor en long et en large pour les avoir croisés plus d’une fois.  Le déroulement de ces compositions, très réussi sur le plan formel, et leur dynamique n’offrent pas le contenu réel et profond de leurs personnalités d’improvisateurs, mais en incarne plutôt une vision schématique, hiératique, stylisée. Si on se réfère à l’écoute de la musique de Duke Ellington, on avait à l’intérieur d’une pièce montée, calibrée et minutée, l’expression la plus profonde de chaque artiste. Ce n’est pas vraiment le cas ici, même s’il y des passages requérants. Cinque Multipli est formé de cinq compositions comme son titre l’indique avec la deuxième Five Facets se subdivisant en cinq miniatures qui résument, semble-t-il, des attitudes individuelles vis-à-vis du moment musical : observing, describing, acting with awareness, non judging of inner experiences, non reacting of inner experiences. Dans Eserczio della distanza, le groupe atteint un momentum avec les phrases engagées des souffleurs et les interventions du percussionniste Marco Clivati. Je relève aussi une surprenante courte intervention d’Alison Blunt. C’est donc un excellent travail orchestral et on doit saluer le travail précis et achevé de tous les musiciens. Mais cette expérience n’exerce pas sur moi-même la même fascination que la démarche et les sons de la musique improvisée libre radicale où des improvisateurs expérimentés associent leurs sons instantanément en révélant les mystères de leurs instruments respectifs et conduisent  l’improvisation collective avec un sens inné de la construction musicale ou dans l’expression inouïe de la vie et de la condition humaine. Bien sûr, dans cette mouvance musicale, il y a une bonne dose de groupes pas vraiment intéressants, je l’avoue : cette musique est une tentative. Mais face au haut de gamme, c'est autre chose. Ici, la formule fonctionne et les musiciens assurent. On peut comparer seulement en connaissance de cause. Il faut bien sûr souligner l’intérêt de ce type d’entreprise ne fut-ce que pour le jeu à la fois contrasté et empathique des associations instrumentales, des assonances et consonances, des couleurs. Si les compositions notées graphiquement de Gianni Mimmo sont très satisfaisantes au point de vue formel et temporel – les bonnes idées pullulent -, leur réalisation ne permet pas, à mon avis, de mettre en valeur la spécificité intime de chaque musicien / improvisateur, leur grammaire et leur syntaxe personnelles, connaissant bien moi-même certains d’entre eux. Les occurrences sonores permises par les procédés d’écriture de Gianni Mimmo tombent parfois sur des solutions relativement conventionnelles par rapport à l’expérience acquise en musique contemporaine depuis une soixantaine d’années, alors que d’autres titillent l’écoute car elle délivre plus de spontanéité et d’allant. Sans doute ce projet aurait vraiment mérité d’être expérimenté plus avant, en public, afin de tirer le suc de l’expérience pour un enregistrement postérieur. Toutefois, le jeu vaut vraiment la chandelle car je suis certain que le talent de Gianni Mimmo, son expérience d’improvisateur et ceux de ses collaborateurs, feront évoluer ce concept. Bref, le résultat de cette démarche prête à discussion, mais cela devrait sûrement être reçu cinq sur cinq par les amateurs entre jazz contemporain et musique classique du XXème (Schönberg, Bartok etc..), car c’est, comme décrit plus haut, super bien réalisé et convaincant du  point de vue formes et exécution, s'il faut le répéter.

Grosse Abfahrt : LuftschifffeiertagserinnerungfotoalbumFrank Gratkowski, Kjell Nordeson Lisa Mezzacapa Philip Greenlief John Bischoff Tom Djll Gino Robair Tim Perkis Matt Ingals John Shiurba. Setola di Maiale SM 3220


Enregistré en 2009 au Mills College par ce collectif Californien déjà publié chez Emanem à deux reprises et dont le trompettiste et électronicien Tom Djll est l’instigateur. Il était temps que le label italien Setola di Maiale– au catalogue exponentiel dédié à la scène expérimentale et improvisée italienne – puisse s’ouvrir sur des musiciens passionnants provenant d’autres horizons. D’ailleurs un habitué du catalogue Setola, le fantastique sax alto Sicilien Gianni Gebbia a longuement travaillé avec ces Californiens et publié des albums sur Rastascan, le label du percussionniste Gino Robair. Généralement, Grosse Abfahrt, réunit des incontournables de la scène de la Baie : Tom Djll, Gino Robair, le clarinettiste Matt Ingalls, l’électronicien Tim Perkis, le guitariste John Shiurba et un personnel fluctuant invité par Tom Djll. On y a entendu Lê Quan Ninh par exemple. Ici, le percussionniste suédois Kjell Nordeson, un compagnon de Mats Gustafsson de la première heure établi au USA, les remarquables soufflants Frank Gratkowskiet Philipp Greenlief, lui même une pointure de S.F. , l’électronicien John Bischoff et la contrebassiste Lisa Mezzacapa. Soit dix improvisateurs radicaux qui développent un jeu collectif particulièrement homogène. Ce qu’on peut reprocher à pas mal de branchés qui relatent leurs expériences d’écoute est cette sorte de fétichisation des groupes ou des personnalités qui ont acquis une aura de notoriété ou sont devenus légendaires et le fait de se référer à des groupes « mythiques», Spontaneous, AMM, Company, MEV, etc… en faisant comme si d’autres associations de musiciens ou des collectifs nettement moins reconnus sont peuplés de musiciens « locaux » ou semi-amateurs, ou même seraient considérés comme des imbéciles ou des demeurés, c'est qu'ils contribuent à ce que cette scène se sclérose. Grosse Abfahrt est un projet absolument remarquable pour quelques raisons bien précises qu’on ne rencontre pas ailleurs. Une belle surprise et une coopération continue dans le temps ! Le noyau central Djll, Perkis, Ingals, crédité ici, en plus, aux tubes et au violon, Shiurba et Robair travaillent une électronique ou des effets d’une remarquable finesse qui apportent des colorations sonores vraiment particulières, reconnaissables entre mille. Je me réfère au superbe album de la tromboniste Sarah Gail Brand avec plusieurs d’entre eux (Super Model Super Model/ Emanem), ou le duo de Gino Robair avec ses energized surfaces et la trompettiste Birgit Ulher : Blips and Ifs / Rastascan http://www.rastascan.com/catalog/brd062.html  . Autour de ce noyau californien central à l’écoute remarquablement subtile, les invités trouvent leur place tout en restant eux-mêmes. Je veux dire par là que l’esprit du groupe est plus centré sur une forme de flexibilité, de souplesse interpersonnelle plutôt qu’une démarche restrictive, focalisée sur une type bien précis d’improvisation (radicale). On sait qu’improviser à huit ou dix de manière satisfaisante est une gageure, et même si ces musiciens ne se mettent pas des objectifs trop exigeants et trop pointus, ils parviennent à conserver l’identité de Grosse Abfahrt au fil des parutions en renouvelant une bonne partie du personnel. Sans doute les régionaux Greenlief et Bischoff ont-ils travaillé avec eux à d’autres reprises, mais il est évident pour un observateur informé que Mezzacapa, Nordeson et Gratkowski sont connus pour pratiquer sous d’autres horizons esthétiques ce qui est finalement rare pour un groupe aussi pointu. Et donc, cette attitude ouverte élargit à la fois le potentiel et les risques encourus. On frise parfois un peu l’éclectisme, on transite entre le sens aigu de l’épure et le goût de l’imbrication et de l’interpénétration des actions jusqu’à des débordements centrifuges, bien que contrôlés, ou à une manière instantanée de cadavres exquis. Les musiciens laissent couler le son du groupe en modifiant les textures en douceur par ajouts ou retraits d'action instrumentales, créant un renouvellement d'agrégats sonores en suspension, de sons soutenus, de convergences de timbres légèrement distincts que leur instinct commande spontanément. Je n’hésite pas à déclarer que Grosse Abfahrt est vraiment un projet collectif à suivre tout comme le Chris Burn Ensemble, le Domino Orchestra, AMM augmenté (Sounding Music / Matchless http://www.matchlessrecordings.com/music/sounding-music), Hubbub, que sais-je : leur sensibilité des sons électroniques et leur utilisation mesurée et parcimonieuse est assez unique. Entre chacun des spécialistes de l'électronique règne une belle empathie comme si chacun d’eux étaient complémentaires et agissaient en symbiose. Des ramifications interpersonnelles prolifèrent, des associations de timbres, d’accents, une recherche de sons sur une idée bien précise, le dosage des phrases, le feeling des réactions, … heuristic music ? Bref, on entend un fonctionnement de groupe très typé sans qu’il soit compromis par la liberté exacerbée de tous et chacun à la fois.  Le titre à coucher dehors, Luftschifffeiertagserinnerungfotoalbum, exprime sans doute la complexité inextricable des points de vue et des philosophies (individuelles et collectives) qui sous-tendent la libre improvisation, même à la limite du fouillis. Ce titre fait référence aux dirigeables allemands d'il y a un siècle (rien à voir avec Jimmy Page, rassurez-vous), et, peut-être, l'idée de devoir se diriger soi-même dans la masse des courants aériens et les nuages est une image qui convient à ce type de musique. C'est finalement aisé d'assurer un concert en duo ou trio, un groupe plus large est une affaire qui peut plus facilement se révéler indigeste. Remarquable réussite donc ! 
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