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Channel: Orynx-improv'andsounds
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Year 2015's 15 albums of free improvised music

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This is my list of my favourite albums - listenings - of free improvisation from 2015.

Simon Rose & Stefan Schulze Ten Thousand of Things Red Toucan RT 


Clinamen Trio  Décliné Jacques Di Donato / Philippe Berger / Louis-Michel Marion. Creative Sources


876 trio + Otto Sette Sei. Matthias Boss/ Marcello Magliocchi / Jean-Michel Van Schouwburg + Roberto Del Piano + Paolo Falascone on 2 tracks. Improvising Beings 


Hunt At the Brook Tom Jackson / Benedict Taylor / Daniel Thompson  FMR


Tuning Out Jon Rose / Hannah Marshall / Veryan Weston Emanem 5207


In the Staring Town  Lisa Ullén - Torsten Müller Creative Sources


Radio Tweet Birgit Ulher & Ute Wassermann Creative Sources

? !  Paul Lytton Solo Pleasure Of The Text 


Carlos Zingaro  solo  Live at Mosteiro de Santa Clara a Velha Cipsela 

Guylaine Cosseron Xavier Charles Frédéric Blondy Rhrr…

Michel Doneda solo Everybody Digs Michel Doneda Relative Pitch


CounterpointIvo Perelman Mat Maneri Joe Morris Leo Records

Sculptures of Wires and DriftsHans Kaersten-Raecke and Lawrence Casserley

Conway Hall   IST  Rhodri Davies Simon H FellMark Wastell Confront

Not yet issued on Bead Records : Garuda of Phil Wachsmann and Lawrence Casserley 

Best albums of free jazz and other great improvised music recordings of the year 2015

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Of course, my very fist list contained my 15  favourite free - improvised music recordings of 2015. 
Here, I have listed my best listenings of some new albums of so called free jazz and the other great free improvising discs for the year 2015.

NOUTurn Bobby Bradford and John Carter Quintet live in Pasadena 1975 Dark Tree Records

Callas Ivo Perelman & Matt Shipp Leo Records double 

Hommage to Coltrane Paul Dunmall and Tony Bianco Slam double

Hear Now A Film by Mark French Trevor Watts Veryan Weston John Edwards Mark Sanders DVD FMR

the thirty and one pianos  Jacques Demierre piano (on free fight), composition, conductor  flexion records :  flex 008 

John Cuny & Hugues Vincent tagtraum Improvising beings ib42

Axel Dörner  & Itaru Oki  Root Of Bohemian  Improvising beings ib36 

Wind Makes Weather The Mirror Unit Tim O'Dwyer & Georg Wissell Creative Sources CS311

Berlin Kinesis WTTF Quartet Phil Wachsmann Roger Turner Pat Thomas Alexander Frangenheim Creative Sources CS 313CD.

Dada Han Bennink & Sabu Toyozumi Chap-Chap POCS 9351 

Paul Lytton and Phil Wachsmann Imagined Time Bead records

Paul Lytton & Nicola Hein Nahezu Nicht Creative Sources 

Jean-Luc Petit Matière des souffles Improvising Beings ib27

Books : 
Jazz Beyond Plink, Plonk and Scratch: The Golden Age of Free Music in London 1966-72 eBook: Trevor Barre
"anyway why Maggie Nicols was not included in the "first generation" of London improvisors ?"


Various Comprovisations Julius Fujak text on music and semiotics PDF Book in CD with audio tracks Hevhetia 

Jean-Luc Petit - Do Tell trio - Gjerstad/ Lonberg-Holm/Stephens/Moholo - Lisbon Connection / Elliott Levin

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Jean Luc Petit Matière des souffles improvising beings ib27

Julien Palomo, le responsable d’improvising beings est un des plus grands risque-tout de l’édition numérique en musiques improvisées. Soit il produit un coffret post psychédélique – acousmatique de 8cd avec un revenant improbable comme Sonny Simmons et s’entiche du pianiste maudit, pionnier du free jazz français, François Tusquès, du trompettiste bohème Itaru Oki ou d’un Giuseppi Loganmiraculé et se fait passer presque pour un ringard auprès de la free-musicosphère. Ou, alors, il présente des improvisateurs libres plus radicaux complètement inconnus en solo comme le tromboniste Henry Herteman ou ce clarinettiste contrebasse, Jean-Luc Petit, dont on se demande d’où ils sortent. Sans oublier le « critique » amoureux d’Improjazz et batteur sensible, Luc Bouquet,  en trio avec Jean Demey et Ove Volquartz , lui aussi à la clarinette contre basse…Vraiment atypique ... Les branchés se foutent du trompettiste Itaru Oki, par exemple, lui aussi abonné aux salles obscures. Mais comment expliquer qu’un musicien aussi couru qu’Axel Dörner enregistre un duo  avec lui ?? Leur Root of the Bohemian est une véritable merveille ! Le dernier coup dingue de Palomo est le coffret de 4 cd’s de Jean Marc Foussatalternative oblique  et le double album hommage à feu Abdelhaïd Bennani avec Alan Silva, Burton Greene et Chris Henderson aux percussions électroniques. Bref un rassemblement de tous les artistes dont aucun festival classieux et bien sur soi (même d’improvisation) ne veut.  Quand on aime, on ne compte pas !
Matière des souffles est l’archétype du titre téléphoné, car toute une avant- garde radicale parle de matières et de textures et aussi de souffles… Mais l’écoute de ce disque solo sans prétention pour sax baryton et clarinette contrebasse révèle un amour du son, une qualité de timbre graveleuse, sombre, un parcours les yeux rivés aux étoiles, une déambulation poétique, un allongement du temps dans la rêverie d’un jour qui n’en finit pas. Le souffle d’Abrasives Incursions fait légèrement grincer le grave, vibrer l’air comme un tremblement amoureux qui se retient de peur de tout perdre. La technique de Jean-Luc Petit n’est pas étalée, mais le contrôle du son est bien présent jusqu’au fond de la note ou au bord du murmure, en douceur. On dirait un Joe McPhee qui joue pour lui-même, perdu au fond d’un jardin… au baryton. La clarinette contrebasse - Improvising beings a aussi produit un autre  clarinettiste contrebasse, Ove Volquartz !– se déplace sur un nuage ou dans un léger brouillard.
Ce n’est pas révolutionnaire, radical ou « nouveau », non ! Mais ! Il y a une émotion profonde, vécue, qui ne crie pas mais se déplace dans une apesanteur somnambule (Le Noir et le Goudron). Puis, il se retourne, sent qu’il est suivi et accélère le pas avec des harmoniques piquées. Le grave est toujours présent, mais change de teinte, d’éclairage. L’ombre se dissipe… Simple et merveilleux, ce Jean-Luc Petit. Chaque note, chaque son est pesé, senti, ouvragé sans précipitation avec de belles nuances de timbre. Une belle histoire comme on n’en entend peu. Julien Palomo a eu la main heureuse et nous aussi. Superbe cadeau de Noël.

Hot EndDo Tell plays the music of Julius Hemphill Amirani
Mark Weaver au tuba, Dan Clucas au cornet et Dave Wayneà la batterie interprètent six compositions du saxophoniste disparu. Julius Hemphill nous a laissé des compositions inoubliables comme Dogon A.D., The Hard Blues ou G Song. Sorry pour mon ignorance, mais ce sont les seules que j’ai écoutées il y a quasiment quarante ans.  Particulièrement Dogon AD avec Baikida EJ Carrollà la trompette, Abdul Wadud au violoncelle et Phil Wilsonà la batterie sur l’album éponyme (Arista Freedom). Ici la version du trio DoTell donne plus d’espace à la batterie alors que la partie de Phil Wilson était minimaliste pour donner de l’espace au violoncelle. Le tuba pulse le rythme dans une voie relativement proche de celle du violoncelliste de l’enregistrement original de 1972 (Dogon AD Mbari réédité par Arista). Le cornettiste prend sur lui la partie soliste avec les honneurs après avoir marqué les accents du thème aux instants précis ce qui fait tout le sel de ce morceau inoubliable. La musique d’Hemphill est gorgée de blues et nous faisait entendre des échos chitlin du Rn’B du Sud. Cet aspect afro-américain spécifique est bien rendu par le cornettiste soulful à souhait. Cette filiation blues est moins prégnante ici, car Do Tell s’est attaché avant tout à rendre intéressant l’aspect formel des compositions, de leurs éléments rythmiques et mélodiques et leur interaction. Le cornettiste, tout-à-fait dans la lignée deep soul, a bien du mérite à souffler et à faire vibrer son instrument, un des plus difficiles à manier. J’aime vraiment ce qu’il fait , comme dans the Hard Blues.  En écoutant cet excellent souffleur et en le comparant avec Bobby Bradford, vous comprenez pourquoi BB est considéré par les musiciens comme un génie de l’instrument et qu’il avait sa place dans le quartet d’Ornette vers 1962. Cela n’enlève rien au talent de Dan Clucas. De même, Mark Weaver a une belle mise en place en apportant le zeste de funk nécessaire à la musique du trio. La cohérence et la mise en place de l’ensemble et le son du cornet créent une belle carte de visite pour une musique vivante qui réjouira le public curieux du Nouveau Mexique et alentour.

Frode Gjerstad Fred Lomberg-Holm Nick Stephens Louis Moholo Distant Groove FMR cd385-115

Alternant la clarinette et le sax alto avec un coup de clarinette basse, le souvent inspiré Frode Gjerstad est entouré d’une solide équipe d’improvisateurs de haut-vol. Louis Moholo est une légende vivante de la batterie. On l’entendit déjà, il y a presque cinquante ans, à Antibes avec les Blue Notes, à Buenos Aires avec Steve Lacy et à Amougies avec Chris Mc Gregor. Depuis lors, il ne s’est jamais arrêté de jouer exclusivement avec ses compagnons les plus proches sans chercher à faire carrière tous azimuts. Keith Tippett, Elton Dean, Mc Gregor, Harry Miller, Irene Schweizer, Jason Yarde, Sean Bergin, Tchicaï à l’occasion. Nick Stephens fut le lieutenant de John Stevens durant une vingtaine d’années dans de nombreux groupes et s’est révélé un super-contrebassiste entre autres avec Frode Gjerstad. Son label Loose Torque a documenté leur association durable avec un bel album avec Louis Moholo. Gjerstad a débuté sa carrière dans les années 80 avec John Stevens et Johnny Dyanidans le trio Detail, quoi de plus naturel et logique que de le retrouver aujourd’hui avec Stephens et Moholo, soit LE bassiste et LE batteur  de référence de chacun de ces musiciens disparus et inoubliables. Le violoncelliste chicagoan Fred Lonberg-Holm  est un véritable routier de l’improvisation ayant travaillé intensivement avec le batteur Michael Zerang, Hamid Drake, Ken Vandermark et dans le Peter Brôtzmann Octet. On le trouve aussi dans l’improvisation libre pointue avec Charlotte Hug ou John Russell. Et donc son association avec Zerang et Hamid Drake ne peut que le mener à jouer avec  le sud-africain Louis Moholo, car ces deux percussionnistes sont connectés à une autre conception des rythmes, plus africains qu’afro-américains. Et comme Gjerstad a aussi pas mal joué avec Hamid Drake … Donc, tout çà pour dire que la réunion de ces musiciens est véritablement organique et basée sur des connivences profondément amicales. Des vies entières. Le titre Distant Groove semble nous informer que cette session est consacrée à des improvisations à l’écart de ce free-jazz bouillonnant et musclé auquel on serait en droit de s’attendre de leur part. Ils tissent leurs toiles en créant un espace pour que chaque musicien puisse « respirer », bien souvent en « pulsations » en fréquences lentes ou medium. Ce relâchement dans l’effort permet au saxophoniste d’explorer les altérations des timbres et les variations infinies du cri et des harmoniques. Dans ce contexte, Gjerstad ne joue pas « au-dessus » des trois autres comme le font généralement moult saxophonistes free expressionnistes qui pilotent littéralement leur trio avec une énergie projetée au maximum. Le norvégien, lui, intériorise plus ses interventions au sein du quartet dans un rapport d’égalité sonore, aidé en cela par l’approche d’écoute mutuelle du violoncelliste. Nous avons donc affaire à un Louis Moholo coloriste inspiré des sons, loin de l’onde de choc polyrythmique  qui soulève littéralement un orchestre. L’albumSult (FMR) du duo Moholo – Gjerstad était une belle surprise d’interactions subtiles. On retrouve ici cette volonté de découverte interpersonnelle où chacun épaule les autres ou s’échappe instinctivement des contraintes en proposant d’autres voies. Un bel album.

Lisbon Connection & Elliott Levin w Luis Lopes Hernani Faustino Gabriel Ferrandini JACC records

Lisbon Connection : avec ses labels de musique improvisée et jazz libre intrépides comme Creative Sourceset Clean Feed, ses lieux ouverts et le Festival de la Fondation Gulbenkian, Lisbonne est devenue un vrai lieu de rencontres pour ces musiques. D’autres petits labels suivent dans la foulée comme  Cipsela (un solo exceptionnel du violoniste Carlos Zingaro). JACC records (magnifique Day One Quartet avec encore Zingaro) est un label brésilien connecté avec la scène portugaise.  Le guitariste Luis Lopes, le bassiste Hernani Faustino et le batteur Gabriel Ferrandini aiment recevoir un invité de passage dans leur ville, tout comme leur camarade Rodrigo Amado. Cette connection de Lisbonne avec le saxophoniste et flûtiste Elliott Levin est bien réjouissante. Levin est lié à la mouvance Sun Ra et qon ne l’a quasi jamais vu en Europe et s’il a « une carrière », elle semble bien discrète. Son style au sax ténor a quelque chose d’original et touchant dans sa manière de tirer sur les notes et de pincer l’anche (Ayler). On se souvient de ses albums CIMP A Fine Intensity et Soul Etude avec le tromboniste Tyrone Hill du Sun Ra Arkestra. Free-jazz donc, mais dans un mode improvisation totale comme Brötzmann et les autres. Après un prélude vocal du saxophoniste qui s’exclame, on entend se dresser le sax ténor charnu, intense et speaking in tongues. J’aime beaucoup car c’est authentique. La prise de son ne l’avantage pas, ce qui est un peu dommage. Dans les morceaux suivants, on l’entend rebondir à la flûte et c’est une autre facette de sa musique. Hernani Faustino et Gabriele Ferrandiniforment un tandem où se marquent une réelle empathie, un drive énergique et l’esprit d’aventure. Avec Lopes, ce sont des activistes infatigables qui évoluent dans un mode tranchant en repoussant les limites du free-jazz tout en se frottant à des improvisateurs incontournables avec beaucoup de plaisir. Cela doit être un plaisir de jouer avec eux. Le guitariste Luis Lopes est assez noise – rock avec des effets. Dans Lis Bow / Blow … Ahh ! , après le beau moment de flûte, vroumm… la guitare décolle « à fond » et le groupe accélère en trio : ça « dépote » ! Ensuite le saxophoniste intervient quand  la guitare s’arrête. Dès lors, le tandem basse - batterie descend de régime pour épouser le jeu plus modéré, mais plein d’âme du saxophoniste. Ce sont de solides musiciens … mais j’ai une petite réserve quand même. Il y a un déséquilibre dans cette association entre Levin d’une part et les Lisboètes de l’autre, question approche musicale. C’est ce que j’ai ressenti en écoutant l’album et surtout le dernier morceau… Cela dit, si vous cherchez des saxophonistes ténor free, Elliott Levin est un client à suivre tout comme les opus mieux cadrés des Lisboètes.

Martine Thinières & Joëlle Léandre jouent La prose du Transsibérien de Cendrars à la Maison de la Poésie

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Du Théâtre Molière, avec Blaise Cendrars, vers Kharbine ... En passant par Irkoutsk, à la poursuite de Michel Strogoff, en compagnie de Joëlle Léandre & de Martine Thinières

Maison de La Poésie (Ancien Théâtre Molière) le 20 Avril 2015 , Paris. Relaté par Claude Parle.

Kharbine ! ... "De Moscou à Ninji-Novgorod", il n'y a qu'un pas, de largeur de rail ... Jusqu'à Irkouskt
Cendrars en sa dérive me replonge au sein des bals de la Closerie des Lilas, ou bien de feu, c'est le cas de le dire du célèbre bal Bullier ...
Le bal Bullier, son inénarrable et tutélaire régent : le père Lahire, régulant d'une poigne de fer les extravagances estudiantines ...
Et nous revoilà au coeur du quartier Latin des années 1860 où l'on savait encore s' amuser ...

Mais, “Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?” ...
C'est à l'évocation des "saltimbanques" et de Jules Vernes, que me reviennent Michel Strogoff et sa soeur-compagne Nadia ... Le visage brumeux de l'infâme : Ivan Ogareff, le traître ... Les plaines immenses suffocantes de neige glacée sous le vent.
De Nijni Novgorod à Perm, ils prennent le bateau, "Le Caucase" , remontant la Kama ... ensuite le cheval ... Télègue, ou Tarentass ? roues, essieux, caisse & brancards, souffles et galops des chevaux ...
C'est à cause de la contrebasse et des réminiscences de Joëlle, ses tribulations avec les avions, les taxis, les bateaux ...
J'avais tellement couru pour arriver à temps à cette maison de la Poésie ...
Vu des balcons, avec le calme velouté et la distance, le voyage s'empare immanquablement du spectateur, le velours rouge, surtout ...
Encore enfant, un vieil homme m'avait fait présent de l'imposant volume de la collection Hetzel : Les "voyages Extraordinaires" ..

L'archet de cette contrebasse râpe plus fort que les boggies, les doigts mordent les cordes plus fort que les roues sur les éclisses ...
Les éclisses, dit on cela aussi pour une contrebasse, ainsi que du violon ? ... Et les ours ? ...
Parfois, dans un de ces raclements à intensité variable dont Joëlle en sorcière bien élevée ponctuait, sans toutefois l'interrompre, le récit de Martine Thinières, je voyais Michel éventrant la bête, sauvant ainsi les chevaux ...

"En ce temps-là j’étais en mon adolescence
J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de ma naissance
J’étais à Moscou, où je voulais me nourrir de flammes
Et je n’avais pas assez des tours et des gares que constellaient mes yeux
En Sibérie tonnait le canon, c’était la guerre
La faim le froid la peste le choléra
Et les eaux limoneuses de l’Amour charriaient des millions de charognes.
Dans toutes les gares je voyais partir tous les derniers trains
Personne ne pouvait plus partir car on ne délivrait plus de billets
Et les soldats qui s’en allaient auraient bien voulu rester…
Un vieux moine me chantait la légende de Novgorode."

À Perm, quittant les eaux grises de la Kama, ils avaient pris les chevaux ...
Les naseaux qui fument et les dents mâchant le mors, l'archet qui fait sourdre les cordes, les steppes de l'Asie centrale, comme un fouet claquent les cordes tendues, « On dit qu’un courrier est parti de Moscou pour Irkoutsk ! ... » 

"J’étais triste comme un enfant.
Les rythmes du train
La “moëlle chemin-de-fer” des psychiatres américains
Le bruit des portes des voix des essieux grinçant sur les rails congelés
Le ferlin d’or de mon avenir
Mon browning le piano et les jurons des joueurs de cartes dans le compartiment d’à côté
L’épatante présence de Jeanne
L’homme aux lunettes bleues qui se promenait nerveusement dans le couloir et qui me regardait en passant
Froissis de femmes
Et le sifflement de la vapeur
Et le bruit éternel des roues en folie dans les ornières du ciel
Les vitres sont givrées
Pas de nature!
Et derrière les plaines sibériennes, le ciel bas et les grandes ombres des Taciturnes qui montent et qui descendent ... "

Jehanne et Nadia ...  Blaise & Michel ... Joëlle & Martine ... Tous sur le transsibérien, collapse du temps ... de toutes façons, sous son nom, Nicolas Korpanoff, aurait très bien pu faire le voyage avec Blaise, Joëlle & Martine ...
Joëlle chante à l'opéra de Moscou ... Arrivera t-elle à temps pour prévenir le Grand Duc ? Et Strogoff qui n'arrive pas ! ...
L'orchestre est devenu étrange, dans la rêverie, les velours de l'opéra s'estompent mais cet orchestre de contrebasses sonne comme un symphonique ... les aigus, les aigus surtout ... "Jeter la girafe à la mer" ... c'était l'injonction de Jacques Thollot ... La mer Caspienne ...
Comme une promesse dénaturée ...
Joëlle ! .. Ce cheval est fou, il va finir par nous faire verser ! ! ...
Tu m'avais dit que tu ferais moins de notes ! ... Aujourd'hui c'est pire ! ... Mais tellement, tellement de chose à dire ... et puis ce texte, comment faire ? Comment s'y prendre ?
Maintenant, après la cavalcade en furie, il n'y a plus que les résonances, épicées de petites notes harmoniques titillées là, aux noeuds des cordes, index glissant sur le ventre de l'amplitude pour surprendre la hauteur ... "flageolets" sifflants ...
Comment est ce possible d'extirper tant de paysages, tant de mondes déhiscents d'une corde tendue entre cordier et cheville qui treuille  comme au supplice métal ou boyau ?
Deux sur scène, l'une disant l'autre tirant, pinçant, ramant, chantant ...
Cette voix mêlée au crins de l'archet ... je dérive ... Je crois percevoir nettement le kobize et la doutare ... je vois vibrer des cerfs volants, des ballerines Persanes ... Je vois voler l'or, la soie et les bijoux ...

“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”

Mais oui, tu m’énerves, tu le sais bien, nous sommes bien loin
La folie surchauffée beugle dans la locomotive
La peste le choléra se lèvent comme des braises ardentes sur notre route
Nous disparaissons dans la guerre en plein dans un tunnel
La faim, la putain, se cramponne aux nuages en débandade
Et fiente des batailles en tas puants de morts
Fais comme elle, fais ton métier…

Une subite attaque de l'archet me fait sursauter ... Sensation absurde d'être enfermé dans cette contrebasse en furie, mains agrippées aux cordes en guise de barreaux ! ...
On n'y voit plus très clair, le son l'emporte sur la lumière, j'étais en sueur, me débattant pour ne pas glisser sur les blocs de glace encombrant l'Angara, le fleuve qui traverse Irkoustk. 
Et où l'infortuné Strogoff et sa compagne risquèrent d'être engloutis par les flots recouverts de naphte ...
Strogoff, Nadia, Alcide Jolivet et Harry Blount ... 

“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”

Oui, nous le sommes, nous le sommes
Tous les boucs émissaires ont crevé dans ce désert
Entends les sonnailles de ce troupeau galeux
Tomsk Tchéliabinsk Kainsk Obi Taïchet Verkné Oudinsk Kourgane Samara Pensa-Touloune
La mort en Mandchourie
Est notre débarcadère est notre dernier repaire
Ce voyage est terrible
Hier matin
Ivan Oulitch avait les cheveux blancs
Et Kolia Nicolaï Ivanovitch se ronge les doigts depuis quinze jours…
Fais comme elles la Mort la Famine fais ton métier
Ça coûte cent sous, en transsibérien, ça coûte cent roubles
Enfièvre les banquettes et rougeoie sous la table
Le diable est au piano
Ses doigts noueux excitent toutes les femmes ...

Comment de cette contrebasse ensorcelée peut il surgir autant de folies ? autant de sons, autant de rumeurs ?
Il y avait tout un orchestre avec lequel je dansais avant de me retrouver enfermé dans le vaste coffre ... Comment m'en suis-je sorti ? Je l'ignore ! ...
Tout ce que je sais c'est que propulsé par les saccades de l'archet qui s'en prenait rageusement aux cordes qui muraient ma prison, tandis que la main de fer qui les maintenait glissait imprimant leur forme sur la touche, je me retrouvais soudain cramponné au bastingage du balcon, la sueur coulant sur mes lunettes ...
Mais, je ne rêvais pas ... L'orchestre était bien là ... Joëlle jouait un air de valse, il y avait comme un étrange parfum émanant de l'instrument, les doigts s'ébrouaient sur le manche comme une horde de loups flairant l'orgie, fous ... Comme si brutalement libérées du chevillier, les cordes devenues câbles allaient se ficher dans un vaste patche de partitions d'où toutes les musiques, toutes les danses et toutes les démesures surgissaient au hasard des fiches, comme des flèches dans une suite de contacts infernaux ...
Pourtant, Martine toute à son texte ancrée dans sa pose, impassible skipper semblait mener l'épopée, sure d'elle même ...

À partir d’Irkoutsk le voyage devint beaucoup trop lent
Beaucoup trop long
Nous étions dans le premier train qui contournait le lac Baïkal
On avait orné la locomotive de drapeaux et de lampions
Et nous avions quitté la gare aux accents tristes de l’hymne au Tzar.
Si j’étais peintre je déverserais beaucoup de rouge, beaucoup de jaune sur la fin de ce voyage
Car je crois bien que nous étions tous un peu fous
Et qu’un délire immense ensanglantait les faces énervées de mes compagnons de voyage.
....

Saltato, spiccato, con legno, bariolages, martelés, trilles et batteries ... tout y passe ... je voyais un concerto, mais c'est une suite orchestrale, non ! Un opéra ...
Les troupes se précipitent au contact, la scène se voile ... les tartares, le fleuve en feu, Irkousk tenant le siège ...
Le poignard de Michel Strogoff déviant la lame du perfide usurpateur poinçonne enfin la destinée d'Ivan Ogareff ...
Les chevaux se cabrent sur le plateau, l'arrivée du train ... La vapeur voilant les échos derniers de la contrebasse.
La salle debout applaudit le succès de l'empereur et l'union de Michel et Nadia ... 
Je descends lentement l'escalier de pierre vers la salle des gardes ...
Quelques verres, Joelle apparait, épuisée, en sueur; à son regard, je comprends que je n'ai pas rêvé, elle sait, elle aussi ...
Et Cendrars, l'homme foudroyé ... Par où s'en est il allé ? ...


Il y a des cris de sirène qui me déchirent l’âme
Là-bas en Mandchourie un ventre tressaille encore comme dans un accouchement
Je voudrais
Je voudrais n’avoir jamais fait mes voyages
Ce soir un grand amour me tourmente
Et malgré moi je pense à la petite Jehanne de France.
C’est par un soir de tristesse que j’ai écrit ce poème en son honneur


Emportés par des amis de rencontre, bars avoisinants, alcools forts, découragement de l'abandon de ce théâtre Molière décrépi, démantelé par d'infâmes commerçants ...
Bourseault-Malherbe mort depuis ... vingt ans ?...  Il est mort le vingt cinq, non ? Qu'est ce que je raconte ? ! ...
L'inventeur de la rose Bourseault ... parti en 1842 ...
Je m'arrache soudain de ce piège du temps, je remonte en courant jusqu'à l'angle de la rue Aubry-le Boucher, là où Victor Hugo fit tomber Gavroche ...
Vite, la rue Berger, vite le RER, la sortie ...


Jeanne
La petite prostituée
Je suis triste je suis triste
J’irai au Lapin Agile me ressouvenir de ma jeunesse perdue
Et boire des petits verres
Puis je rentrerai seul


Claude Parle (Avec l'aimable autorisation de Blaise Cendrars, pour ce qui est en caractères italique)

Lecture musicale  LUNDI 20 AVRIL - 20H 
"La Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France" Blaise Cendrars Par Joëlle Léandre, contrebassiste & Martine Thinières, comédienne 


Duo Benjamin Duboc / Bernard Santacruz au Milord : de l'abordage des galions

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De l'abordage des Galions ...Benjamin Duboc & Bernard Santacruz, contrebasses, en concert au Milord à Paris vus et entendus par Claude Parle, accordéoniste improvisateur.


Etrange lieu que cette cave au sous-sol du Milord ... À peine assez grande pour y loger un fauteuil et deux chaises, pourvu qu'on n'étende pas trop les pieds ...
Et pourtant, à la lueur pourpre d'un projecteur LED gisant dans un coin de mur, dans la moiteur d'une soirée de fin d'été dans la brume de mes pensées aux malts et aux houblons dédiées ...
Je voyais se préciser la silhouette haute des haubans de deux galions, sillant l'un vers l'autre dans l'évidence d'un abordage à haut risque ...
Avec le temps, l'accommodation se fait peu à peu et les silhouettes des monstres aux commandes se dévoilent ...
Les manoeuvres d'approche sont précises et l'abord va se faire incisif ! ...

Pas d'attente dès que la distance est réglée, les happes, grappins et filins installent les passerelles, l'archet de l'un enlie les crépitement des doigts de l'autre dont les percussions meuvent les glissandi du premier ... 
Les vitesses s'accordent, les hauteurs se combinent 
Quelquefois, un tir à bout portant, quelquefois des échanges de mousquets, et partout, le cliquetis des armes ...
Sans changer d'allure, au vent portant, les basses se rapprochent et se collent parfois ...
Lorsqu'un archet glisse, l'autre mord, s'il s'en va boiser, l'autre frappe ...
Deux doigts sur une corde : survol palmaire des harmoniques en face ... L'un martèle, l'autre vibre, les soies effleurent comme une armée de rames plume la vague au plus dur de l'effort ...
Du cordier aux chevilles, aucune part de l'instrument ne sera épargnée même les mains qui se mettent à gémir dans un placage d'amoureux désespoir mais ...
D'un chapelet de graves l'autre essuie d'une rafale de flageolets ...
D'une attaque sautée l'autre enchaîne des glissandi déchirants ...
Soudain une poigne dépassant du manche agrippée au chevillier s'acharne sur une clef ... La note descend, descend disparait dans sa détente ... la vibration n'est plus que battement ... Passé l'univers des sons nulle limite ! ...
Deux assauts, deux matches ... L'issue de l'affrontement reste indécise ... 
Remonté au bar, j'essaie de me remettre ... reste l'espoir d'un ultime combat, celui où vainqueur et vaincu s'immortalisent dans la fureur de jouer ...

Les passagers ne s'y trompent pas, on voit à la gravité ou au sourire de leurs visages, se modeler les transes et les relais que ces bateaux ivres greffent, font vivre et transforment.
La musique, quand elle vit, nous réamorce à la vie, nous propulse à l'aune d'un ressac salutaire et ressuscite en nous l'être fondamental d'avant le langage, d'avant toutes les corruptions ! ...


Nous y sommes maintenant, le troisième assaut sera décisif ...
C'est immédiat, c'est aussi prompt que l'étincelle jaillie de la pierre, c'est sec et vivant comme la flamme s'élançant à l'étreinte des brindilles ...
L'archet de Benjamin crépite entre deux cordes accueilli par des strates d'effleurements harmoniques, le temps s'immobilise ...
De son cordier, une grave et puissante mélopée fait geindre toute l'immense carcasse ... En face, les doigts n'appartiennent plus qu'à eux-mêmes, lâchés, libérés, fous, ils treppent, survolent, griffent ...
Les deux basses s'entrechoquent et dérivent ... La houle des hauts fonds les abrase l'une à l'autre ...
Maintenant, les mots ne sont plus les mots, ni les sons les sons ! Il passe d'entre ces instruments le fracas terrible et sans nom des collisions galactiques aux nimbes des univers parallèles ...
De l'intérieur, des mondes sont fracassés, du dehors, ne reste plus que le silence insoutenable du vide des espaces infinis ...
Des jets, des bribes de mondes engloutis giclent encore. Les spectres déhiscents d'anciennes mélopées du temps où chantaient encore les hommes, à se prouver leur vaillance face aux forces démentes de l'obscur, sourdent encore, parfois de ce qui reste des contrebasses ...
Un songe ? Un délire ? Sommes nous vraiment descendus dans cette cave ? En avons nous rêvé ?
De l'impossible à ouïr suinte cet impossible à dire, à re-conter ...




Bernard Santacruz (https://myspace.com/bernardsantacruz)
Benjamin Duboc (http://benjamin.duboc.free.fr/)

Un grand merci à Charlie Hewison & Line qui programment au sous-sol du Milord ( 78, bs de Belleville)
Et à Julien Palomo dont la pugnacité permet encore ce genre d'aventure ...

Duboc/Santacruz samedi 12 sept au sous-sol du Milord, Paris

Creative Sources : l’art d’Ernesto Rodrigues, improvisateur collectif

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Creative Sources : l’art d’Ernesto Rodrigues, improvisateur collectif 

Parmi les musiciens nouveaux venus dans la scène improvisée radicale européenne au début des années 2000 et qui apportèrent une dimension neuve au développement de la musique improvisée, il est impensable d’omettre l’altiste portugais Ernesto Rodrigues. J’imagine que le critique lambda pensera « Ah oui, il a un label et il joue aussi ». Mais il se fait  que le catalogue de Creative Sources  a atteint 340 références en offrant des produits soignés avec des prises de son impeccables tout en se concentrant exclusivement les musiques les plus pointues. Point de ralliement d’une nouvelle génération « réductionniste » (Denzler, Guionnet, Mariage, Sharif Sehnaoui et sa sœur Christine Abdelnour, Mazen Kerbaj, Birgit Ulher, Heddy Boubeker, Rhodri Davies, Masafumi Ezaki, Rodrigues père et fils, Jason Kahn, Axel Dörner, Wade Matthews, Stéphane Rives, Bertrand Gauguet, David Chiesa, Boris Baltschun, Kai Fagaschinski, Carlos Santos et nombre d’artistes sonores expérimentaux), le catalogue CS s’est étoffé petit à petit avec des artistes tels que Richard Barrett, Stefan Keune, Jacques Demierre, Ute Wassermann, Alexander Frangenheim, Jacques Foschia, Isabelle Duthoit, Ariel Shibolet, François Carrier.. Sans pour autant rechercher les pointures, c’est un peu par hasard qu’on y trouve Jon Rose, Roger Turner, Gunther Christmann ou Urs Leimgruber et quelques chefs d’œuvre comme ceux que je viens de chroniquer cette semaine. Non content de travailler comme un fou pour son label, Ernesto Rodrigues a rencontré une multitude d’improvisateurs de nombreux pays d’Europe, suscitant de superbes rencontres. Très austère au départ, sa pratique de l’instrument me l’avait fait qualifier (en souriant) d’ébéniste, tant son chantournage maniaque faisait crisser et grincer l’archet comme si c’était un couteau à bois dans mobilier-squelette, univers où la pulsation même la plus décalée et la moindre trace de mélodie était inexorablement évacuée. On aurait cru que les bois de son violon alto et du violoncelle de son fils Guilherme gémissaient et criaient sous une torture sadique. Cet univers à la fois cartésien et intériorisé a culminé dans London, un enregistrement de concert assez court avec son  fils Guilherme au violoncelle, Alessandro Bosetti au sax soprano, Angarhad Davies au violon, et Masafumi Ezakià la trompette, ou Drain, un intrigant trio de cordes avec Guilherme Rodrigues, à nouveau, et le violoniste Mathieu Werchowski.
On le retrouve récemment dans un univers plus « lyrique » comme ces deux albums enregistrés en 2010 avec la violiniste Biliana Voutchkovaet Micha Rabuskeà la flûte, clarinette basse et sax soprano, 77 kids (CS 337 CD) et Sukasaplatiavec Andrea Sanz Vela et lui-même, tous deux à l’alto, la contrebasse de Klaus Kürvers et de nouveau Micha Rabuske aux vents. Comme Ernesto est un musicien collectif par excellence, vous ne l’entendrez pas effectuer un « solo ». Son jeu est intégré dans une dimension orchestrale faisant corps avec celui de ses compagnons. Il n’hésite pas de jouer avec un autre altiste, comme Andrea Sanz Vela ou en compagnie de la violoniste Biliana Voutchkova, camouflant presque son jeu avec les sons de son partenaire. 77 Kids déploie un univers sensible, feutré, volatile, tout en nuances. C’est la parfaite musique de chambre d’improvisation où on joue pour le plaisir dans une écoute mutuelle, équilibrée, dans l’instant sans aucune arrière-pensée. Celui qui aurait pu croire qu’Ernesto Rodrigues était un gratteur de cordes sec et sans entrailles en sera pour ses frais. Il y a dans son toucher et les nuances moirées de la pression de l’archet une sensibilité authentique. Quoi qu’on fasse, le violon alto est un instrument exigeant et demandant une aptitude particulière, un travail intense pour obtenir un son plein, vibrant et dont la maîtrise et le contrôle absolu permettent de produire tous ces sonorités les plus fines et les plus extrêmes. Durant les premières années de l’impro libre, il y avait un seul altiste, le batave Maurice Horsthuys, un musicien relativement classique. Ces vingt dernières années, sont apparus Ernesto et la magnifique Charlotte Hug. Tout récemment, Benedict Taylor est vraiment intéressant. Trouvez m’en d’autres ! L’alto est vraiment difficile et notre ami portugais a bien du mérite. Donc, voici Ernesto Rodrigues au pays de la complexité. Bien sûr,  y a encore une forme de réserve et des précautions par rapport à un éventuel excès gestuel et il s’en dégage un lyrisme intériorisé. Le souffleur Micha Babuske joue par petites touches en demi-teintes sans envahir l’espace sonore, restant ainsi au niveau du violon et de l’alto. C’est sincèrement un excellent trio. Avec le majestueux contrebassiste berlinois, Klaus Kürvers, le quartet de Sukasaplatiprend une dimension orchestrale, amplifiée par la conjonction des deux altos qui se rengorgent réciproquement. Impossible de deviner qui joue quoi : il vaut mieux se concentrer sur l’ensemble et suivre les méandres des improvisations, la vibration des cordes, le grondement léger de la flûte basse. Sur le cinquième morceau se détache un morceau épuré, ample, mystérieux et lunaire : encore une pièce importante au dossier Ernesto Rodrigues. Magnifique ! 

LichtErnesto Rodrigues, alto,  Gerhard Uebele, violon, piano, Andrea Sanz Vela, alto, Nathalie Ponneau, violoncelle, Thorsten Bloedhorn, guitare électrique, Ofer Bymel, percussion CS333CD. A la fois tentative risquée, chef d’œuvre et manifeste, Licht est un bel exemple de la démarche radicale, collective, exigeante et disciplinée des meilleures productions d’Ernesto Rodrigues. Divisée en sept parties intitulées I- VII, Lichtest un beau chemin vers la lumière (Licht en allemand). Un travail à la fois intense au niveau des techniques alternatives et parcimonieux, sorte de pointillisme hyper-mesuré parfois au bord du silence. Les quatre premières parties de cinq ou trois minutes consistent en une série d’approches pour découvrir le domaine sonore et la dynamique offertes par les musiciens réunis pour un unique concert. La cinquième est une remarquable pièce de résistance de plus de seize minutes où le groupe crée une succession de courtes miniatures diversifiées séparées clairement et à chaque fois par un instant de silence qui lui fait partie intégrante de la musique. Ces différents mouvements très sont contrastés les uns par rapport aux autres mais avec une réelle cohérence. Se déploient ainsi tout le potentiel sonore du groupe de manière aléatoire. Vraiment fascinant.

NOR Ernesto Rodrigues viola, Axel Dörner trumpet, Nuno Torres sax alto, Alexander Frangenheim, double bass. CS289CD

Œuvre de la maturité, les trois mouvements de NOR, enregistrés en 2014, sont une sublimation colorée et obstinée de la démarche réductionniste. A la fois dense et léger, faussement sommaire mais paraissant de plus en plus sophistiqué au fil des écoutes successives. Deux cordes, deux vents. Le saxophoniste Nuno Torres est le nouveau venu qui compte dans la galaxie Rodrigues au Portugal. Son jeu en marge complète à merveille les effets de souffle et les morsures du vent du trompettiste Axel Dörner. L’archet d’Alexander Frangenheim s’est fait léger, accidentel, presque évanescent. Des séquences caractéristiques se succèdent entre deux respirations faites de drones et de plaintes, de pincements ou de coups secs. Ernesto Rodrigues agite lentement les phalanges sur le cordier. Passée l’anecdote, s’engage une cadence où les sons tenus se complètent commentés par la percussion des pistons. Chacun s’invente un rôle, une consistance au bord d’un brouillard céleste et dépose à demi-mot des vibrations inconnues, des grésillements et froissements d’un autre monde. Le climat s’enrichit avec une belle cohérence. On connaît la démarche, on croit avoir entendu cela, ces souffles muets qui s’échappent des tuyaux sans faire chanter la note, ce crissement mat de l’archet,  mais, après des dizaines d’albums, notre altiste lisboète et ses compagnons nous enchantent encore tant les sonorités se renouvellent constamment. Ecoute au millimètre, dosage infini des moindres interventions, inspiration du moment précis, avion dans le lointain, gaz qui s’échappent par les fentes … les improvisateurs font gémir et pleurer le bois, flageoler le glissando, trembler l’archet, bourdonner l’harmonique ou broebeler la colonne d’air comme le ferait un grenouille à la surface de la mare …Une suite fragile de détails infimes s’enchaînent sans fin, créant une architecture, retraçant un plan, un itinéraire sans hésitation à travers un continent inconnu où le paysage devient saturé, les nuages grondent, un vent souffle …Un très beau moment.

CloudVoicesErnesto Rodrigues viola Eduoardo Chagas trombone Abdul Moi-même  guitare Joao Madeira contrebasseCS 316 CD

Au bord du silence, Cloud Voices, soit les voix des nuages, voient les sons des musiciens se déplacer très lentement dans l’espace comme un nuage en métamorphose permanente, se décomposant et se recomposant continuellement dans un ciel gris. Toutes les nuances des murmures, du souffle, de la vibration minimale, de légers frottements, un zeste d’harmonique pointe çà et là. On devine l’air traverser le tube du trombone d’Eduardo Chagas jusqu’au pavillon le plus lentement possible. Le bout des doigts d’Abdul Moi-même effleure les cordes de sa guitare amplifiée. La contrebasse de Joao Madeiraémet de longues notes tenues, soudes presqu’impalpables. Le rythme, complètement absent au départ, s’exprime par des variations de la dynamique individuelle de chaque instrument, à tour de rôle. L’ensemble s’anime dans un crescendo d’intensités très lent au fil des trois mouvements de l’unique « composition » instantanée. Même s’il repasse de temps en temps sous le niveau, l’activité du groupe s’intensifie et les sons deviennent légèrement plus denses de manière imperceptible. Dans le troisième mouvement, le trombone bourdonne et des harmoniques se déchirent de courts instants et puis les sons se posent sur un drone et tout devient mystère. Il faut encore attendre bien des minutes pour que des sons métalliques de la guitare résonnent. La musique peut devenir plus sourde, plus grave, vibrer comme un moteur à l’arrêt et puis retomber à la limite de l’audible moins un détail. …. Le challenge consiste à renouveler entièrement les sons, leurs traces, les détails infinis, une multitude de vibrations infimes qui se distinguent des précédentes tout en maintenant cette sensation de glissement sans fin, cette stase indistincte de la troisième partie, nettement plus longue et qui semble ne pas vouloir d’arrêter. L’expression de l’attente, du temps suspendu, d’une léthargie auditive… en éveil. Le corps ne s’exprime par pas sa gestuelle dansée comme dans l’improvisation libre « traditionnelle » mais dans son étirement, son immobilité feinte, sa respiration. Il y a autant de concentration que dans NOR, la même écoute intense, une action constamment retenue…  Ecoutée au casque, la musique a une réelle force. Enregistré en 1015, Cloud Voices est un beau chapitre Creative Sources made in Lisboa. Ne vous fiez pas au fait que Dörner et Frangenheim, des personnalités réputées jouent dans NOR pour imaginer que Cloud Voices soit moins réussi parce que les compagnons d’Ernesto sont des inconnus.  Certains des enregistrements d’Ernesto Rodrigues avec ses compagnons d’un jour furent des expériences, fruit de moments éphémères et tentative – découverte. D’autres, comme NOR et Cloud Voices  sont des développements vraiment remarquables et achevés d’une esthétique mûrement réfléchie et l’expression de sa démarche arrivée à maturité.
PS : au fil de mes écoutes de disque en disque (et il y en a une dizaine) , je suis frappé par la qualité de chaque musique et comment chaque ensemble apporte une vision différente, une autre densité à une démarche qui de prime abord semble uniforme et répétitive. Un vrai coup de chapeau !!


Il y a donc encore  Mizuteki teki réunissant le trio Rodrigues/ Torres/ Rodrigues, le pianiste Rodrigo Pinheiro et le percussionniste Naoto Yamagishi ou Surfaces avec le tromboniste Eduardo Chagas et Carlos Santos computer et analog synth et toujours ce trio concentré des deux Rodrigues père et fils et de leur apôtre Nuno Torres au saxophone qui donnent là encore une vraie démonstration de leur art. Et Blue Rain avec Mazen Kerbaj et Sharif Sehnaoui. Il fut un temps où certaines rencontres sous la houlette d’Ernesto restaient au niveau d’une tentative honorable, mais sans plus. Aujourd’hui, il se fait un point d’honneur à produire des enregistrements tous remarquables, réussis, pleins de sens apportant une nouvelle contribution à une esthétique vécue comme un cul de sac chez d’autres. 

Un Variable Geometry Orchestra (26 improvisateurs) « Lulu Auf Dem Berg »à et Jadis la pluie était bleue à neuf musiciens sont encore d’autres propositions qui nécessitent une bonne page de blog à elles seules. Rendez-vous prochainement dans ce blog pour la suite.

Ernesto Rodrigues/ Guilherme Rodrigues/ Simon H Fell/ Alexander Frangenheim/ Ariel Shibolet/ Matthias Muche / Matthias Müller/ Ivo Perelman / Mat Maneri

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Mizuteki tekiErnesto Rodrigues/ Guilherme Rodrigues/ Nuno Torres/ Rodrigo Pinheiro/Naoto Yamagishi Creative Sources CS298CD

Encore une belle réussite d’Ernesto Rodrigues et de ses compagnons où l’expression sonore bruissante radicale rencontre un réel sens de la forme. Les traits habituels des cadences et pulsations sont mises de côté dans une construction où chaque instrumentiste, violoncelle (GR), violon alto (ER) sax alto (NT), piano (RP) et percussions (NY) avance l’un après l’autre un son, une vibration, une attaque, un glissando, une note tenue l’un après l’autre, construisant une architecture de l’emboîtement spatial, de l’imbrication temporelle… un déroulement lent où pointent çà et là interjections et coups brefs. Frottements et grattements en tous genres, sifflements et vibrations acquièrent une réelle expressivité une fois que la communication s'est établie au sein du groupe. Les sons des musiciens, qu’ils soient éphémères ou s’obstinent comme un drone, se perçoivent dans le champ auditif comme s’ils gravitaient autour d’un centre imperceptible, s’imposant à l’oreille ou passant graduellement au second plan. Jouer de la sorte exige une écoute intense plutôt qu’une intensité du jeu. Chaque pièce acquiert par le jeu instantané un caractère particulier qui le distingue des quatre autres morceaux de Mizutekiteki tout en conservant une réelle cohérence. Dans un univers musical où l’expression individuelle prend une importance aussi égale, et souvent plus, que l’aspect collectif, ces cinq musiciens mettent l’écoute et l’intégration sonore collective au centre de leur démarche dans cet enregistrement du 29 mai 2014 au studio Tcha 3à Lisbonne. Une note spéciale à Naoto Yamagishi qui a mis au point un jeu percussif fait de vibrations de crotales, de cymbales, d'objets ( compact disques ! ) en les faisant frotter et résonner contre la peau de sa caisse claire tout en manipulant un archet sur la tranche de ceux-ci avec un coup de grosse caisse en floating beat! Organique !! Par rapport aux enregistrements des Rodrigues  père et fils réalisés il y a plus de dix ans, leur musique a acquis une authenticité organique, une vie et un feeling irréfutable. Cette approche musicale, genre difficile qui avait pu être ressenti comme un exercice de style ou péchait par sa longueur, est devenue au fil des ans, une réelle réussite grâce au fruit de l’expérience et à leur sagacité. Faites comme eux : jouez et il en restera quelque chose.

SFS THE RAGGING OF TIME  SIMON H FELL COMPOSITION  N° 79  Simon H Fell Sextet : Richard Comte Simon H Fell Paul Hession Shabaka Hutchings Percy Pursglove Alex Ward Bruce’s Finger BF 127


Lorsqu’on est un tant soit peu informé du travail de compositeur, chef d’orchestre et concepteur d’univers comme celui de Simon H Fell, la question se pose : “Comment se fait-il que SFH ne soit pas plus sollicité par des labels ou des festivals pour que sa musique et ses projets soient écoutés et documentés ? ».  Depuis plus de quinze ans, Red Toucan et Clean Feed  ont publié chacun un enregistrement de ses compositions de jazz d’avant-garde intégrant les avancées de l’improvisation libre et de la musique contemporaine (SFQ Four CompositionsetSFE Positions & Descriptions Composition n° 75). Depuis l’époque du SFQ, il y eut  ce brillant grand orchestre composite pour qui interprétait / improvisait son extraordinaire Composition No. 62: Compilation IV - Quasi-Concerto For Clarinet(s), Improvisers, Jazz Ensemble, Chamber Orchestra & Electronicspublié par son label Bruce’s Finger. Peu de critiques et de personnalités « branchées » accordent la moindre importance à son travail. En outre c’est un improvisateur libre impliqué dans des aventures qui semblent contradictoires : entre le noise agressif avec le guitariste Stefan Jaworzyn ou le « new silence » du trio IST avec Rhodri Davies etMark Wastell  jusqu’aux trios free- free- jazz avec le souffleur allumé Alan Wilkinson et le batteur Paul Hession ou Badland avec le saxophoniste Simon Rose et Steve Noble, un des batteurs fétiches post-benninkiens. On peut l’entendre aussi avec le violoniste Carlos Zingaro et le violoncelliste Marcio Mattos dans un quartet exquis ponctué par la frappe de Mark Sanderset un autre quartet, celui du trompettiste Roland Ramanan toujoursavec Sanders et Mattos. Et bien sûr son super duo improvisé avec Derek Bailey sur Confront ! The Ragging of Time est le fruit d’une commande du festival de jazz de Marsden : il s’agissait de faire revivre autrementla musique « jazz – hot » « New Orleans » en la transgressant et la réactualisant. Dans le troisième morceau, c’est même l’influence de Mingus qui surgit , ce qui est bien normal vu que Mingus était un fan de Jelly Roll Morton. Le batteur Paul Hession, un fidèle de SHF, emporte le sextet avec légèreté entraînant la section des vents, très originale : clarinette, clarinette basse un peu dans le rôle du trombone et trompette. La batterie est clairement enregistrée avec un beau sens de l’espace et de la topographie de l’instrument, mettant en valeur les astuces du batteur. Le clarinettiste virtuose Alex Ward, souvent impliqué dans les projets du maître, développe aussi un travail d’écriture voisin dans ses propres groupes (Glass Wall and). Shabaka Hutchings a assimilé le message d’Eric Dolphy à la clarinette basse et son jeu sert habilement de contrepoids aux arabesques de la clarinette de Ward et aux envolées de Percy Pursglove. Celui-ci a un son qu’on entendrait bien dans un projet à la Gerry Mulligan, aux antipodes du son funky armstrongien de la trompette New Orleans. Mais comme la musique de Mulligan avait elle-même ses racines dans le swing et le traditionnel, cela fonctionne. Après des énoncés de thème très travaillé, le groupe dérape et joue avec les sons : la guitare par ci, la clarinette par là avec le batteur qui décale le rythme et  éparpille les frappes sur son kit. Des solos brefs, des arrêts sur image ou des accélérations subites, changements de registre etc… Bref on ne s’ennuie pas. C’est guilleret, léger, swingant, et surtout très bien enregistré … Pour ceux qui aiment les Ken Vandermark Five, certains projets de John Zorn comme News from Lulu, ou d’Aki Takase et compagnie jouant Fats Waller ou  réactualisant le blues. Ils seront ravis. Mais ce qui distingue SFS de ces autres projets c’est que l’équipe n’hésite pas à surfer sur les vagues du délire plus longtemps qu’à son tour et se séparer en duos ou trios. Dans le deuxième morceau, la guitare se fait destroy un chouïa de trop à mon goût. Mais on sait que Simon aime les extrêmes. Par rapport aux travaux « sérieux » de SHF (ceux-ci n’ont rien à envier à un Braxton ou un Barry Guy) The Ragging of Time a un côté fun assumé. Sans doute pour plusieurs d’entre vous, le moment de découvrir le phénomène Simon H Fell, dont  on goûtera l’excellence à la contrebasse – il fut le contrebassiste préféré de Derek Bailey -  et ses camarades.

A Set of Music Played On June 17thAriel Shibolet Alexander Frangenheim Creative Sources CS318CD
MM Squared Session Matthias Müller Matthias Muche CS306CD


Le label Creative Sources est en train de se faire une place incontournable de premier label dédié à l’improvisation libre radicale en nous livrant coup sur coup des enregistrements de première classe qui tiennent la comparaison avec les livraisons du label Emanem de la décennie passée. Deux de mes pages précédentes leur ont été entièrement consacrées en raison de l'urgence de la découverte.
Si le duo saxophone soprano / contrebasse est une association instrumentale souvent usitée, Ariel Shibolet et Alexander Frangenheim en exprime le nec plus ultra en choisissant une voie intense, radicale et focalisée sur une approche singulière. Shibolet sature la colonne d’air comme s’il grognait, sifflait ou aspirait, et Frangenheim frotte et percute  son gros violon en mode permanent « sourdine » créant un dialogue dans les extrêmes de l’instrument. C’est en tout point remarquable. Toute la palette des grincements et frottements pour la contrebasse et des bruissements et chuintements du souffle dans un saxophone est sollicitée jusqu’à plus soif avec une belle expressivité. Les musiciens creusent profondément dans les ressources sonores pour établir une manière de conversation indicible, moins codée aboutissant à des surprises. Ce n’est pas le tout de découvrir des sons inouïs, il faut arriver à leur donner un sens dans l’instant en relation avec ceux de son partenaire et vice et versa. La tâche n’est pas simple et ces deux improvisateurs de grande classe y parviennnent faisant de leur Set of Music, un disque qui peut servir de référence à la question « C’est quoi la musique improvisée libre aujourd’hui ?? ». J’avais été subjugué, il y a plus de trois décennies par High Low and Order, le duo génial de Steve Lacy et Maarten Altena (label Claxon 1979), et collaboré à la création d’Optic de John Butcher et John Edwards (label Emanem 2001). Voilà un troisième chapitre de la configuration instrumentale sax soprano et contrebasse qui n’a rien à envier musicalement à leurs prédécesseurs. 
De même, il n’y a pas à ma connaissance, un duo de trombonistes improvisateursd’envergure qui mettent ainsi en commun leur savoir-faire, leurs recherches, leurs qualités d’écoute dans un aussi bel album que MM Squared Session. Voilà qui est digne des Rutherford, Christmann, Malfatti, Hubweber, Brand et consorts. Les deux Matthias, Muche et Müller, optimisent les ressources sonores du trombone avec une complémentarité aboutie dans une veine plus introspective que le discours rutilant des frères Bauer, si peux me permettre de faire une comparaison. Leur duo vaut vraiment le détour et s’impose comme un témoignage majeur à la suite du génial The Gentle Harm of the Bourgeoisie de Paul Rutherford, des Trombone  Solos de Gunther Christmann (label CS, vinyle introuvable des 70’s) ou du Tromboneosde Paul Hubweber. Le fait qu’une connivence s’instaure sur le même instrument amplifie la saveur des trouvailles. Les deux musiciens s’enrichissent mutuellement créant une architecture sonore dans l’espace, un fascinant mécano tactile et vibratoire du souffle et de l’embouchure. C’est assez rare pour être souligné. Donc Matthias Muche et Matthias Müller : duo à écouter si on pense que les innovations de l’improvisation libre « européenne » passent par le trombone, un des instruments clés de la libération des sons.

Ivo Perelman Tanya Kalmanovitch Mat Maneri Villa Lobos Suite Leo Records LR 742

Voici une suite fascinante aux précédents enregistrements du saxophoniste brésilien Ivo Perelman avec le « violoniste » alto Mat Maneri. Après un duo, Two Men Walking, et un trio avec le guitariste Joe Morris, Counterpoint, notre saxophoniste ténor, un des plus originaux parmi ceux qui peuplent la côte Est des USA, commet un album fou où sa voix chaleureuse, chantante, étire les sons et les intervalles entre les notes, comme si le système tempéré n’avait jamais existé, et se mêle aux volutes de deux altistes (violon alto), son complice Mat Maneri et la remarquable Tanya Kalmanovitch. Ces deux  poètes des cordes frottées explorent les intervalles microtonaux et les probabilités du glissando sous toutes leurs coutures et se gardent de faire un « solo ». Le jazz est avant tout une musique collective et ces deux artistes nous en donnent un exemple vivant en créant une trame orchestrale homogène en interpénétrant chacun de leurs traits, mais hétérodoxe par rapport aux canons de la musique tempérée. C’est vraiment un album de jazz libre de première classe où la spontanéité rencontre idéalement une forme subtile de préméditation. Un autre superbe disque d’Ivo Perelman avait été dédié à la Callas (sous le tire Callas en duo avec le pianiste Matt Shipp) et maintenant c’est au compositeur brésilien Villa Lobos que l’hommage s’adresse, sans doute pour souligner que notre homme réalise des chefs d’œuvre, ou simplement, des albums dont l’écoute répétée ne fait que bonifier l’intense plaisir qu’on en retire. Je ne vais pas épiloguer plus avant. C’est tout bonnement un vrai délice musical innovant et 100 % original !! Que peut – on dire de plus ? Ivo Perelman est un des plus grands poètes contemporains du saxophone ténor et cette Suite en est une belle preuve de plus.

Jean-Marc Foussat & Jean-Luc Petit - Ivo Perelman /Matt Shipp/Whit Dickey - Andreas Backer - Variable Geometry Orchestra - Vorfeld Scott Gratkowski - Ulrich Philipp & Benoît Cancoin.

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Jean – Marc Foussat  & Jean-Luc Petit  D’où vient la lumière ?? Fou Records





Jean-Marc Foussat fut durant plus d’une décennie ou deux le preneur de son dévoué  de l’improvisation libre aussi bien française qu’internationale. Fouillez dans le catalogue Incus époque vinyle , l’Intakt des débuts ou certains labels atypiques et vous trouverez son nom accolé à ceux de Derek Bailey, Company, Joëlle Léandre , Evan Parker et cie … Il avait tenté d’être musicien auparavant et ce n’est que depuis un peu plus d’une décennie qu’il s’affirme comme un drôle de zèbre atypique. La création éperdue de son label FOU, (après celle de Potlatch qu’il a laissé à Jacques Oger …) lui a permis de documenter ses nouvelles aventures (et des instants chavirés mémorables) . Pas facile d’évoluer dans cette scène d’improvisation pointue en maniant des engins ( VCS 3 etc..) qui se comportent presqu’à l’encontre des paramètres de l’improvisation libre question localisation et résonance dans l’espace, réaction directe, maniabilité etc.. . Il faut donc inventer , imaginer, suggérer, évoluer…  et à cet égard, D’où vient la lumière ! est recommandable. Le titre de l’album est tiré d’un texte surréaliste écrit par Daniel Crumb, Volupté des Visitations ou Le Tango moins les doigts où il est question d’obsessions, du ventre de la Vierge, de la Conception , de la Visitation, de l’ange Gabriel et on cite l’empereur Constantin,  Bach et Messiaen . Bref , un cadeau de Noël !
Et donc ça fait des sons d’hélicoptères, des vibrations d’aspirateurs, un clapotis aquatique, des sirnes, une rotation de moule à poterie , des grésillements, etc…le tout projeté à la ronde . Jean – Luc Petit a embouché sa clarinette contrebasse qui survole, plane, tressaute comme un fantôme d’un autre temps, celui du rêve, de l’inconscient. Sa position n’est pas aisée, mais son souffle secrète des vibrations qui collent à la situation.  On l’entend aussi au saxophone et c’est un peu plus mordant.  Jean –Luc évoque le meilleur de Roscoe Mitchell. Les instruments à vent qui vibrent émettent d’un point très précis dans l’espace et l’électronique diffuse presqu’aveuglément  à plus de 180° dans celui-ci. Une fois démarrée , la machine continue sur sa lancée, elle  joue en continu alors que le souffleur peut moduler la dynamique, insérer des silences, changer de cap sur un coup de tête. Cet assemblage est un nœud de contradictions, comme si vous demandiez à une motocyclette de danser avec une ballerine ! Mais fi ! Le flux charrie des histoires oubliées, des regrets qui s’évanouissent, de nouveaux espoirs…   il y des moments réjouissants où ça gargouille ferme … l’atmosphère obsédante fait crever les nuages et briller des éclairs. Comme la pratique de la musique improvisée n’est pas sensée  répondre à des critères X, Y ou Z ou encore lambda, mais tenter parfois vainement d’en réinventer, on peut ici suivre les traces des musiciens, acteurs de l’instant, sans avoir l’impression qu’ils ont répété un rôle préparé…  . Vraiment honnête !!

Ivo Perelman  Matt Shipp Whit Dickey Butterfly Whispers Leo records CD LR 740

Poursuivant un parcours d’excellence, le saxophoniste ténor brésilien Ivo Perelman grave ici un remarquable ouvrage avec l’aide attentionnée de deux camarades sensibles, le pianiste Matt Shipp et le batteur Whit Dickey, lesquels avaient travaillé intensément en compagnie du grand David S. Ware, autre saxophoniste ténor d’envergure, lui malheureusement disparu. Leur collaboration est quasiment devenue une affaire de famille , car les enregistrements de Perelman et Shipp en duo, en trio ou quartette avec Whit Dickey, s’amoncellent , sans parler du très beau Tenorhood du souffleur avec le batteur. Pff.. après cet album que je n’ai pas chroniqué mais qui vaut bien les autres , tels le magnifique Callas (duo IP/ MS), on pourrait avoir la sensation de passer l’écoute attentive de ce Butterfly Whispers rien que parce que ces deux albums en duo (Tenor et Callas) et les Two Men Walking et Counterpoint avec Mat Maneri surpassaient en musicalité et en singularité les opus gravés en trio ou en quartet avec ces derniers,  le bassiste Michael Bisio, le batteur Gerard Cleaver… il est parfois nécessaire à se contraindre à quelques disques dans le flux d’une production aussi fournie et régulière que celle de notre ami saxophoniste brésilien qui nous a habitué à quelques chef d’œuvre. Mais il y a quelque chose qui se creuse , qui s’approfondit insensiblement chez Ivo Perelman et ses deux acolytes … Les volutes de son saxophone ténor et la cambrure des accents et des « agréments » (si on se réfère à la littérature de la musique de clavecin à l’époque bénie où le tempérament égal  n’existait pas et où les accordages changeaient selon les régions et les humeurs des prélats) tendent à s’écarter des tons exacts avec une spécificité et une identité toute Perelmanienne. On peut dire cela d’Ornette, de Lol Coxhill et de quelques autres. Ivo Perelman est du lot à force d’avoir remis sa matière à l’ouvrage, oublié l’appel des feux de la rampe pour se concentrer sur son art. Les harmoniques au-delà du registe aigu, il les fait chanter comme si c’était une voix humaine. Ses deux camarades construisent avec lui des architectures instantanées qui ressemblent à des cabanes au fond de la forêt, des huttes au tréfonds des affluents de l’Orénoque ou à l’orée de la forêt première où seuls les Pygmées s’aventurent six mois par an. Des histoires simples, qui évitent la frénésie ou l’acrobatie, recèlent à l’ombre d’un virage, une luxuriance des timbres les plus chauds. Une dizaine de tableaux font évoluer les affects de leur connivence, les pulsations, les intervalles de manière à ce que, jamais lassé, l’auditeur les suive à la trace. Le pianiste qui allie puissance et dynamique, joue l’ossature, les lignes de fond, les couleurs essentielles sans trop toucher la mélodie qu’il laisse au chanteur / poète du ténor et le batteur commente leurs doigtés avec une science et un instinct sincères. Des rythmes naissent et disparaissent dans l’éther des pulsations flottantes, des mélodies font transparaître un chant intérieur.  Fi de l’esbroufe ! Si ces trois-là nous impressionnent (puissance, énergie, vitesse ??...hm ) , c’est avant tout par l’émotion profonde partagée à laquelle leur communion s’adresse, ressentie par l’auditeur comme celle du vivre ensemble, de l’écoute, de l’élégance du trait, des paroles du regard, de l’indicible.

Andreas Backer Voice Improvisations Creative Sources CS297CD

Voici un oiseau rare ! Il ose, car ils sont peu nombreux, il ose improviser de la voix. Phil Minton, Jaap Blonk, Demetrio Stratos, aussi Benat Achiary, le batteur David Moss, et moi-même, Jean-Michel Van Schouwburg. Andreas Backer, a beaucoup travaillé le son de la voix, sa saturation, l’aspiration de l’air en contrôlant le tressaut de l’épiglotte, les sons infimes qui peuplent le gosier si on a le courage d’aller les chercher. Voici un langage, un glossaire vivant, des phonèmes inouïs qui complètent le lexique de Phil Minton ou celui de Demetrio Stratos. Rien que Gutt et ses voyelles prononcées dans la gorge vaut son poids d’air frais dans une anthologie. Il y a aussi un multipiste polyphonique à voix douce qui a une veine expérimentale. Le point de vue d’Andreas Backer est de créer une variation d’une approche bien définie dans le même morceau comme s’il peignait un tableau. Neuf occurrences vocales, certaines vraiment remarquables comme cette histoire racontée dont l’expression se métamorphose de growls en glossolalie en jodels avec une belle articulation (the Story about Hector & Elaine). L’aigu de la gorge de Voicetronics agrémenté d’électronique diverses, contient des passages où la voix naturelle semble avoir été moulinée par un sound processing.  Moi , je vote pour ! Ça nous change des saxophones , des guitares ou de l’électronique…  Excellent et impressionnant. Et à suivre !!

Variable Geometry Orchestra Lulu Auf Dem Berg Creative SourcesCS325CD  

Composé d’un personnel imposant avec une grande variété instrumentale et sous-titré stream conscienciousness, le Variable Geometry Orchestra est un point de rencontre d’improvisateurs portugais sous la conduite du violoniste alto Ernesto Rodrigues. Cet enregistrement de mai 2015 offre des occurrences sonores entre l’aléatoire et l’intentionnel qui mettent en valeur la combinatoire des sons obtenus par les participants et leurs silences. Il y a une grande part d’invention personnelle chez les vingt-six participants, tous toatlement impliqués dans cette superbe mise en commun des sons et de l’écoute. Voici la liste des musiciens : Ernesto Rodrigues viola, conduction, Gerhard Uebelle violin, Guilherme Rodrigues cello, Miguel Mira cello, João Madeira double bass, Hernâni Faustino double bass , Adriana Sá zither, Paulo Curado flute, Mariana Chagas flute, Bruno Parrinha alto clarinet, Paulo Galão clarinet, bass clarinet, Nuno Torres alto saxophone, Albert Cirera tenor & soprano saxophone, Sei Miguel pocket trumpet, Yaw Tembe trumpet, Fala Mariam alto trombone, Eduardo Chagas trombone, Maria Radich voice, dance, Armando Pereira accordion, António Chaparreiro electric guitar, Abdul Moimême electric guitar, Carlos Santos synthesizer, André Hencleeday electronic percussion, João Silva harmonium, electronics, Nuno Morão drums, Carlos Godinho percussion. Soit la nébuleuse Ernesto Rodrigues. Des drones mouvants, irisés et dont la texture et les composants se transforment insensiblement et souvent rapidement. Un changement de perspective intervient avec des interjections toutes dans le même moule quelque soient l’instrument, donnant à penser qu’Ernesto parvient à bien se faire comprendre. Les instruments électroniques / électriques colorent l’ensemble en se distinguant à peine. Un silence intervient suivi de crépitements d’orage qui se prépare, une note tenue comme une sirène bloquée entourée de bruitages aqueux puis de murmures d’outre-tombe relance une stase évasive qui tournoie lentement. La conduite d’ER est subtile. Un superbe mouvement orchestral se dessine dans l’espace, chaque instrument de souffle s’emboîtant l’un dans l’autre alors que les percussions grondent sourdement. Des bribes de sax free s’échappent suivies par des interventions de cuivres, la musique s’anime : un solo de trompette free accompagné de clusters se détache et une zone introspective quasi électro-acoustique où la trompette joue quelques notes appuyées dans l’effet de résonance du lieu (Panthéon National !?), se tait puis revient au premier plan.  On pense à Bill Dixon, mais c’est sans doute involontaire de la part du musicien. Un fond sonore permanent composé de sons électroniques et d’un agrégat impénétrable d’instruments acoustiques permettent à différents instruments d’émerger dans une sorte d’avant-plan sans crier gare et d’apporter des détails presqu’infimes à l’ensemble. Quand la majorité se rejoignent finalement dans un vrai silence, il reste un son aigu continu de corde frottée, lequel attire imperceptiblement vers lui d’autres instruments créant un continuum en mutation constante qui plonge lentement dans le silence. Soit presque cinquante minutes consistantes qui s’imposent à l’écoute. Vraiment remarquable. 

Vorfeld Scott Gratkowski Sieben Entrückte Lieder Creative Sources CS339CD

La percussion aérée de Michael Vorfeld et le synthé modulaire de Richard Scott forment une compagnie idéale pour les clarinettes contrebasse, basse et si-bémol de Frank Gratkowski. Vorfeld sollicitent les métaux (cymbales, petits gongs, lamelles  posés sur une table) avec l’archet ou les fines baguettes  alors que Scott semble parfois jouer de percussions accordées avec son appareil. Une intégration des sons de chacun dans ceux des autres fait que la musique est homogène d’une pièce à l’autre parmi les sept Lieder. L’électronique de Richard Scott a une dimension rythmique tout comme dans son groupe Grutronic ou son camarade Paul Obermayer du trio Bark. Il traite les sons synthétiques avec une belle dynamique. Le souffleur effleure les timbres ou égrène des intervalles de vignette en vignette, l’une plus interactive que l’autre (Kurs Haltend vs Hauch Mit). Un disque intéressant d’un groupe à écouter en concert et formé de trois artistes qui m’avaient apporté des moments remarquables, voire mémorables avec d’autres projets. Je me rappelle de l’excellent duo de percussions de Vorfeld avec Wolfgang Schliemann, Alle Neunen Rheinlander Partie sur Creative Sources, du superbe Quicksand de Gratkowski avec Lovens et Georg Gräwe sur Meniscus ou l’album mystreux de Grutronic sur Psi. Un album CS OK .

Uliben duo Shared Memory Creative Sources CS327CD

Uliben ! Derrière ce vocable improbable qu’on méprendrait pour un prénom moyen-oriental atypique, se cache le superbe duo de contrebasses d’ Ulrich Philipp et de Benoît Cancoin. Shared Memory nous fait entendre la magnifique contrebasse de Cancoin aux prises avec le live signal processing de Philipp, lui-même un contrebassiste exceptionnel issu du free-jazz violent de la panzer-muzik teutonne passé armes et bagages dans l’improvisation chambriste la plus raffinée et l’art sonore pointu. Le coup d’archet de cet autodidacte vaut bien l’or de tous ses confrères prestigieux. Avec Torsten Müller, Hannes Schneider, Georg Wolf, Alexander Frangenheim, Matthias Bauer, Sebastian Gramss, Klaus Kürvers,  Ulrich Philipp fait partie du cercle peu connu en France et ailleurs des contrebassistes radicaux haut de gamme d'Allemagne qui, sur les traces de Peter Kowald au départ, furent éblouis par les possibilités sonores de la contrebasse telles qu’exposées par Barre Phillips dans son Journal Violone de 1968 et Barry Guy avec ses Statements publiés il y a bien longtemps par Incus. Plus proche de la musique contemporaine que du free-jazz.

Et c’est avec surprise que j’aborde le live signal processing multiple et un tant soit peu désorientant d’Ulrich Philipp complètement focalisé sur la contrebasse de son camarade Benoît Cancoin qui signe ici une performance enthousiasmante, où les doigtés se répètent invariablement avec des décalages infimes et superbement maîtrisés. L’originalité de la démarche de Philip se matérialise par exemple dans le dédoublement réellement imperceptible ou imperceptiblement réel des pizzicatos des douze premières minutes de  joint repository (40:32) et des altérations électroniques basées sur un sens du temps assez fantastique. Le jeu de Cancoin devient fracturé comme si des fragments avaient été découpés et recollés à la « sampleuse ». C’est fait de telle manière qu’un doute persiste. Le sampling diffère du processing du fait que dans le processing le micro de la source instrumentale est ouvert en permanence, à charge du processeur de métamorphoser l’instrument  sans discontinuer. La pièce évolue avec un lent travail à l’archet et une complémentarité troublante par le biais du processing alternée par des  grésillements ou des battements sourds qu’on entend bien être générés par ceux du contrebassiste. Le temps d’arriver à l’écrire et voilà que l’archet s’affole puis se tait laissant les palpitations électroniques s’entrechoquer et se débattre dans les croisements imprévisibles des rythmes digitaux et des sons extrapolés de ceux de la contrebasse. Un troisième mouvement intervient quand des col legno sur les cordes assourdies de la contrebasse s’insèrent dans l’effervescence de Philipp. C’est à ce moment que le duo opère à fond sans qu’il soit toujours possible de lever l’ambiguité entre les deux parties. C’est à la fois souvent très intéressant, avec des phases passionnantes et un vrai savoir-faire et un parti-pris de répétition quand la partie initiale de joint à l’archetémerge à nouveau en fin de parcours avant un action dramatique et un final grave parsemé de glitch. Le morceau suivant, concerted recollection (4:41) est une parfaite démonstration de la singularité d’uliben.  Je ne sais pas depuis combien de temps Phillip travaille cette démarche difficile et complexe, mais le résultat est concluant et mérite le déplacement, bien qu’il ne m’en voudra pas si je signifie que son travail à la contrebasse, trop peu diffusé via les enregistrements, nous aurait fait autant plaisir, si pas plus.



SIMON H FELL SEXTET THE RAGGING OF TIME : with Richard Comte, Simon H Fell, Paul Hession, Shabaka Hutchings, Percy Pursglove, Alex Ward on Bruce's Fingers again

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SFS THE RAGGING OF TIME SIMON H FELL COMPOSITION  N° 79  Simon H Fell Sextet : Richard Comte Simon H Fell Paul Hession Shabaka Hutchings Percy Pursglove Alex Ward Bruce’s Fingers BF 127


Lorsqu’on est un tant soit peu informé du travail de compositeur, chef d’orchestre et concepteur d’univers comme celui de Simon H Fell, la question se pose : “Comment se fait-il que SFH ne soit pas plus sollicité par des labels ou des festivals pour que sa musique et ses projets soient écoutés et documentés ? ».  Depuis plus de quinze ans, Red Toucan et Clean Feed  ont publié chacun un enregistrement de ses compositions de jazz d’avant-garde intégrant les avancées de l’improvisation libre et de la musique contemporaine (SFQ Four CompositionsetSFE Positions & Descriptions Composition n° 75). C'est très peu en regard de la haute qualité de son travail et de la production exponentielle d'enregistrements sensés illustrer ce genre de démarche à qui ce compositeur fait sérieusement de l'ombre, une fois que l'on est conquis par sa conception musicale, la façon dont il la réalise  et son exigence artistique. Depuis l’époque du SFQ, il y eut  ce brillant grand orchestre composite pour qui interprétait / improvisait son extraordinaire Composition No. 62: Compilation IV - Quasi-Concerto For Clarinet(s), Improvisers, Jazz Ensemble, Chamber Orchestra & Electronicspubliépar son label Bruce’s Fingers. Peu de critiques et de personnalités « branchées » accordent la moindre importance à sa démarche. En outre, c’est un improvisateur libre impliqué dans des aventures qui semblent paradoxales : entre le noise agressif avec le guitariste Stefan Jaworzyn ou le « new silence » du trio IST avec Rhodri Davies etMark Wastell  jusqu’aux trios free- free- jazz avec le souffleur allumé Alan Wilkinson et le batteur Paul Hession ou Badland avec le saxophoniste Simon Rose et Steve Noble, un des batteurs fétiches post-benninkiens. On peut l’entendre aussi avec le violoniste Carlos Zingaro et le violoncelliste Marcio Mattos dans un quartet exquis ponctué par la frappe de Mark Sanders et un autre quartet, celui du trompettiste Roland Ramanan toujoursavec Sanders et Mattos. Et bien sûr son super duo improvisé avec Derek Bailey sur Confront ! The Ragging of Time est le fruit d’une commande du festival de jazz de Marsden : il s’agissait de faire revivre autrementla musique « jazz – hot » « New Orleans » en la transgressant et la réactualisant. Dans le troisième morceau, c’est même l’influence de Charlie Mingus qui surgit, ce qui est bien normal vu que Mingus était un fan de Jelly Roll Morton, et le thème fait allusion à Eric Dolphy. Le batteur Paul Hession, un fidèle de SHF, emporte le sextet avec légèreté entraînant la section des vents, très originale : clarinette, clarinette basse un peu dans le rôle du trombone et trompette. La batterie est clairement enregistrée avec un beau sens de l’espace et de la topographie de l’instrument, mettant en valeur les astuces du batteur. Le clarinettiste virtuose Alex Ward, souvent impliqué dans les projets du maître, développe aussi un travail d’écriture voisin dans ses propres groupes (Glass Wall and). Shabaka Hutchings a assimilé le message d’Eric Dolphyà la clarinette basse et son jeu sert habilement de contrepoids aux arabesques de la clarinette de Ward et aux envolées de Percy Pursglove. Celui-ci a un son qu’on entendrait bien dans un projet à la Gerry Mulligan, aux antipodes du son funky armstrongien de la trompette New Orleans. Mais comme la musique de Mulligan avait elle-même ses racines dans le swing et le traditionnel, cela fonctionne. Après chaque énoncé très travaillé du thème de Lebam Lebam (Un Cauchemar), la première composition de 23’, le groupe dérape et joue avec les sons, chacun des musiciens étant l’improvisateur central de la séquence improvisée. La guitare par ci, la clarinette par là avec le batteur qui décale le rythme et  éparpille les frappes sur son kit. Surviennent un mini-concerto bruitiste pour trompette ou un trio clarinette basse batterie puissant et enlevé. Aussi, des solos brefs, des arrêts sur image ou des accélérations subites, changements de registre etc… Bref on ne s’ennuie pas. C’est guilleret, léger, swingant, et surtout très bien enregistré … Pour ceux qui aiment les Ken Vandermark Five, certains projets de John Zorn comme News from Lulu, ou d’Aki Takase et compagnie jouant Fats Waller ou  réactualisant le blues. Ils seront ravis. Mais plusieurs choses  distinguent SFSde ces autres groupes auxquels je fais allusion. L’équipe n’hésite pas à surfer sur les vagues du délire plus longtemps qu’à son tour et chaque duo, trio, quartet illustre des approches différentes dans le domaine de l’improvisation libre. Suite à des écoutes répétées, on réalise que chaque séquence improvisée est indiquée dans la partition et leur réussite est le fruit d’un intense travail de répétition afin de la rendre la plus spontanée possible comme s’ils s’échappaient délibérément des contraintes rythmiques et mélodiques le plus naturellement. Simon H Fell pousse le bouchon assez loin au niveau conception de l’écriture et de la structure dans le détail. Un délice pour l’auditeur attentif ! Chaque fois que le thème de Lebam revient sur le tapis, les musiciens en jouent une variation de l’arrangement avec des différences qui portent parfois sur quelques notes révélant un éclairage différent de la mélodie, de la structure ou de la métrique. Des nuances d’exécution hésitante de la partition lorsqu’ils replongent dans le morceau « jazz » swinguant suggèrent qu’ils l’auraient abandonnée, en se jetant dans le délire improvisé, et qu’ils reprendraient son exécution à un instant précis deux pages et quelques portées plus loin, le temps de l’incartade libératrice. Stylistiquement, le compositeur a adopté l’esprit de re-création du style New Orleans (ou Chicago) plutôt que d’une exécution fidèle à la lettre. Mon opinion est qu’il évite la tentation du persiflage, mais il se trouvera bien quelqu’un pour estimer le contraire. Tout dépend bien sûr de votre familiarité avec ce style de musique, un des composantes de l’évolution du jazz dont nous nous éloignons au fil des décennies. Une des sections improvisées voit les souffleurs entourer l’improvisateur de bribes du thème qui flottent dans l’espace. Dans le deuxième morceau, Unstable Cylindrical Structureévoquant Mingus et Dolphy, la guitariste Richard Comte, le seul français du sextet est le soliste central. Son approche destroy un chouïa de trop à mon goût. Mais on sait que Simon aime les extrêmes et la tension est palpable entre le thème qui s’enroule sur la rythmique impaire et la rage froide et explosive de la guitare. Par rapport aux travaux « sérieux » de SHF (ceux-ci n’ont rien à envier à un Braxton ou un Barry Guy), The Ragging of Time a un côté fun assumé. Sans doute pour plusieurs d’entre vous, c’est le moment venu de découvrir le phénomène Simon H Fell, dont  on goûtera l’excellence à la contrebasse (il fut le contrebassiste préféré de Derek Bailey),  et le talent de ses camarades, boostés dans ce projet par l’envergure peu commune de ce compositeur – catalyseur – chef d’orchestre singulier. On trouve, entre autres, dans sa démarche une dimension temporelle unique, liée à la cohabitation interactive de styles d’écritures et d’improvisations qui s’imbriquent et interagissent entre elles de manière très originale. Simon H Fell illustre brillamment la xenochronicity chère à Frank Zappa.

Parviennent-ils à exprimer ainsi LesUsures du Temps ? C’est la question subsidiaire. L’écoute des trois compositions (il y a encore The Human Omelette, 21’)  s’avale d’une traite sans qu’on en ressente la durée, plus de 67 minutes au total et l’enregistrement reprend l’entièreté de la performance. Magnifique et magistral : les superlatifs pleuvent !!
J-M Van Schouwburg 
PS : je pense que le travail intense et très précis de SH Fell méritait vraiment que cette chronique parue tout récemment soit réécrite. Je doute qu'elle soit à la hauteur du compositeur improvisateur chef d'orchestre que quiconque (journaliste, organisateur, personnalité médiatique) se targue d'être branché en jazz contemporain d'avant-garde et autres "creative music" se doit de prendre connaissance. 

Paul Bley 1932 - 2016, un artiste intransigeant, généreux et visionnaire

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Paul Bley 1932 - 2016 


Que dire à propos de Paul Bley alors qu’il vient de nous quitter ?
Sa biographie Stopping Time souligne les points forts de son parcours, ses collaborations avec Charles Mingus, Ornette Coleman, Jimmy Giuffre, Gary Peacock, Paul Motian, Barry Altschul, Chet Baker, Evan Parker …  et cerne sa personnalité. Lorsqu’on scrute ses photographies au fil du temps, on est frappé par l’évolution de son apparence : chevelure, moustache, barbe, lunettes, la pipe en écume, les pulls à col roulé. On a parfois peine à le reconnaître d’une photo à l’autre. De même, qui aurait pu penser à l’écoute de son Solemn Meditation avec le vibraphoniste Dave Pike que ce pianiste bop-jazz moderne qui avait joué vers 1953 avec Charlie Parker et succédé à Oscar Peterson comme pianiste maison d’un grand club de Toronto, soit devenu un des deux pianistes phares de la New Thing radicale, ou l’initiateur de la musique électronique jouée en public ? Dans sa radicalisation comme improvisateur d’avant-garde, Paul Bley fit des choix à l’intuition (ou des paris ?) qui se révèleront une décennie ou deux plus tard comme une suite de scoops peu ordinaires, métamorphoseront sa personnalité musicale et, accessoirement, contribueront à sa légende. 
Dès 1953, il s’impose comme un activiste du jazz moderne de premier plan. Le fameux concert réunissant Parker, Gillespie, Bud Powell, Charlie Mingus et Max Roach au Massey Hallen 1953 immortalisé par le disque, c’est lui qui en est la cheville ouvrière et il a 21 ans. Dans la foulée, un premier disque en trio avec Mingus et Blakey … Emigrant à New York, on l’entend participer au Jazz Workshop de Charlie Mingus et à des projets de George Russell. Par exemple, c’est face à Bill Evans comme pianiste alter-ego qu’il enregistrera plus tard dans le Jazz from the Space Age de Russell. Dès que sa notoriété est un brin assurée, Paul Bley prend manifestement des choix musicaux radicaux qui le mènent à des impasses professionnelles et dont il rebondit en allant encore plus loin dans l’inconnu.  Basé dans la région de Los Angeles vers 1958, il croise Ornette Coleman, Don Cherry et Charlie Haden et leur trouve un engagement au Hillcrest Club au sein de son propre Paul Bley Quintet. Il en résultera les premiers témoignages live d’Ornette, Cherry , Haden , Higgins et Paul Bley : The Fabulous Paul Bley Quintet, America (Fr) a/k/a Live at The Hillcrest Club, Inner City(USA) et Coleman Classics, IAI. Au répertoire, pour moitié des standards du jazz moderne comme Klactoveesedstene de Charlie Parker ou How Deep is The Ocean d’Irving Berlin et pour l’autre, des compositions originales d’Ornette : The Blessing, Free, Rambling, Crossroads et When Will the Blues Leave. Ces  trois derniers morceaux feront partie des thèmes de prédilection du Paul Bley trio des années 62-68. Mais l’aventure du Hillcrest Club tourne mal : le public déserte la salle et consomme dans la rue ! Ornette et les siens rejoignent NYC et Paul Bley, sentant le vent tourner, arrive in extremis à la Lennox School of Jazz la veille du jour où Ornette et Don sidèrent John Lewis, Gunther Schuller, Jimmy Giuffre et quelques critiques présents ! Paul et Carla Bley passent la nuit sous le piano de l’auditorium avant de jouer les premières compositions de Carla. Suite à ce workshop, Ornette obtient un engagement au Five Spot et se fait signer par Atlantic peu après. Dans la foulée, Paul Bley se réintroduit dans la scène New Yorkaise avec un statut d’Inventeur du Jazz. Cela ne dit encore rien à l’establishment du jazz, mais les musiciens qui comptent sentent le vent venir et commencent à prendre Bley au sérieux. Non seulement, Paul a travaillé avec Ornette et il est bien le pianiste à l’époque qui s’inspire au plus près du saxophoniste texan de manière fraîche et originale. Mais, il n’a qu’un seul but, devenir un créateur au contact des musiciens qui révolutionnent la musique quitte à devoir faire des sacrifices. Il enregistre à nouveau avec Mingus trois morceaux dont un Lock’Em Up d’anthologie (album Mingus !) sur l’éphémère label Candid du critique Nat Hentoff. Celui-ci produira une série d’albums incontournables des premières heures du jazz « libéré » (Charles Mingus Presents C.M. Quartet et Out Front de Booker Little, tous deux avec Eric Dolphy, The World of Cecil Taylor avec Archie Shepp, How Times Passes de Don Ellis, The Straight Horn of Steve Lacy) l’année où Ornette défraie la chronique avec The Shape Of Jazz To Come et Change of The Century. Alors que les innovateurs du nouveau jazz qui se libèrent de plus en plus des carcans, pratiquent une musique intense, expressionniste, foisonnante et bourrée d’énergie (Coltrane, Elvin Jones, Dolphy, Ornette, Taylor, Shepp), ne voilà t-il pas que dès 1961 Paul Bley s’associe à Jimmy Giuffre en compagnie du jeune contrebassiste Steve Swallow, son élève à l’époque, pour créer un univers retenu, introverti, chambriste « sans batterie », proche de la musique moderniste classique.  Giuffre y joue uniquement de la clarinette et la musique du trio va complètement à contre-courant du mouvement du jazz libre par sa dynamique, ses silences, une forme de recueillement intériorisé. Giuffre étant déjà une vedette relativement populaire, deux albums, Thesis et Fusion, sont enregistrés en 1961 et publiés  par le label Verve et un troisième par CBS, l’audacieux Free Fallavec ses solos, duos et  quelques trios énigmatiques pour l'époque.Ces trois perles ont été rééditées en CD et les  deux premiers par ECM. Malgré une tournée européenne qui se révèle être un succès en Allemagne grâce à un public sensibilisé à la musique contemporaine, la démarche du Jimmy Giuffre 3 « cubiste » est un fiasco commercial. Quasi aucun engagement sérieux aux USA ! JG abandonnera bien vite l’idée de se produire avec sa musique et opte pour l’enseignement. Mais peut-on toujours parler de Jimmy Giuffre Three ? Il s’agit bien sûr du nom de groupe récurrent du compositeur - souffleur texan (lui aussi !) avec lequel il a gravé de magnifiques albums folk jazz pour Atlantic et Verve, avec Jim Hall, Bob Brookmeyer, etc.. ? Lorsqu’on y regarde un peu près et surtout qu’on écoute les enregistrements live parus chez Hat Art, Emphasis Stuttgart1961 et Flight Bremen 1961 il est évident que Paul Bley est quasiment le co-leader. S’il suit encore sagement la partition durant la session de Thesis et que le mixage le situe en arrière-plan, ces enregistrements publics révèlent la puissante assurance de son jeu et sa place réelle dans le trio où il n’hésite pas à jouer dans les cordes. Giuffre a engagé Steve Swallow, le jeune contrebassiste encore vert que Paul a pris sous son aile et qu’il initie lui-même à sa nouvelle musique. On ne voit d’ailleurs pas très bien quel autre bassiste New Yorkais aurait innové de la sorte en 1961 avec une telle empathie et c’est sous la guidance du pianiste que le contrebassiste s’est lancé sur cette nouvelle voie, créant une autre manière d’improviser, étendant les sons et les techniques instrumentales et imaginant de nouvelles formes musicales. En outre, quelques-unes des compositions du JG3 sont signées Carla Bley : Jesus Maria, In the Mornings Out There, Ictus, Temporarily, Postureset Paul signe Carla. Le couple Bley, à l’époque, a une démarche musicale fusionelle et c’est souvent pour répondre aux besoins musicaux du pianiste que sa muse écrit de nouvelles compositions aussi audacieuses les unes que les autres et qui formeront le répertoire du futur trio de PB. Dans le trio « Giuffre », Paul Bley est une voix aussi prépondérante que celle du clarinettiste, leur musique devient une construction égalitaire où la créativité instrumentale et l’invention de chaque instrumentiste contribue à poids égal. La partie de piano est du Paul Bley pur jus et cela transpire de la moindre note jouée; la partition, contenant peu de signes contraignants, servait de plus en plus comme guide pour l’improvisation au fil des concerts. Dans Flight Bremen, écoutez la version de Goodbye, un tube de Gordon Jenkins, et vous aurez compris qu'il personnifie l'inventivité radicale. Sa partie est complètement libre et toutes ses audaces sont liées à la métrique du morceau dans l'arrangement de Giuffre. Si c'est lui qui avait été le leader du trio, la surprise aurait été de taille. Il s’agit pour Paul Bley d’une contribution de premier ordre qui font de lui un pair d’Ornette, Elvin, Don Cherry, Cecil Taylor, Eric Dolphy, Booker Little, Mingus, Dannie Richmond etc… Impossible de considérer son œuvre sans revenir sur la musique enchanteresse de ce trio séminal, surtout si on considère les live publiés par Hat Art. Plusieurs pianistes auraient et ont éminemment été compatibles avec la musique de Miles, par exemple (Bill Evans, Red Garland , Winton Kelly, Herbie Hancock, et pourquoi pas Flanagan, Hank Jones, Don Friedman ou Steve Kuhn ?). Par contre, sans Paul Bley, le trio Giuffre et ses compositions nouvelles n’auraient jamais tenu la route. 
Mais très vite Swallow et lui enregistre un album rare chez Savoy, Footloose, qui sera heureusement piraté par BYG en France , ce qui nous a permis de goûter à sa musique au moment où, au début des années 70 il se consacre à 100% à la musique électronique live et où peu d’albums sont disponibles.  A la batterie, Pete La Roca, un des batteurs les plus demandés de l’époque (Rollins, Andrew Hill, Joe Henderson, Coltrane). Des compositions de guingois, un hymne ornettien en introduction (When Will the Blues Leave), une ossature rythmique qui quitte le drive be-bop vers une nouvelle chose tressautante, zigzaguante. Les compositions ouvertes de Carla Bley, presque dodécaphoniques et les improvisations qu’elles suggèrent à Paul Bley frisent presque l’atonalité. Elles portent des titres évoquant une approche intellectuelle contemporaine: Floater, Turns, Around Again, Syndrome, Cousins, King Korn, Vashkar. Remise en question exemplaire de nombreux paramètres du jeu jazzistique  avec de l’audace et un savoir - faire qui ne crie pas son nom, (virtuosité peu démonstrative) en maintenant le drive et le swing, le tout empreint d’un lyrisme nonchalant ou péremptoire, d’une grande spontanéité autant émotionnelle que formelle. Ecoutez de près ce  disque et les autres trios qui suivront et cherchez un pianiste qui allie toutes ces qualités et qui vous comble en trois ou quatre minutes. Footloose a été réédité par Gambit en intégrant toutes les prises de 1963 parues sous les titres Floater et Syndrome. Dans l’entrejeu, Bley se fait engager par Sonny Rollins et enregistre l’album Sonny meets Hawk . Pour les « squares » : Rollins rencontre Coleman Hawkins, le père du sax ténor en jazz et donc, il s’agit d’un solide ticket pour sa notoriété future sans pour autant renoncer à sa singularité. Le seul autre pianiste qui a fait se croiser Hawkins avec l’autre géant d’avant-garde, John Coltrane est Thelonious Monk. Bley marche d’ailleurs sur les traces de Monk tant d’un point de vue pianistique que par les idées développées dans les compositions qu’il joue, et cela, sans jamais une seule fois évoquer la moindre sonorité du mystérieux Harlémite. Car notre pianiste a un style très original qui le démarque irrévocablement de la plupart des pianistes de l’époque.  Il est sans doute l’élève de Monk par excellence, cultivant magistralement la dissonance sans en copier le moindre son, ni le moindre intervalle tout en maintenant le swing. Toute démonstration de virtuosité mise à part, il est le pianiste (avec un Cecil Taylor, hors concours) qui se singularise le plus au niveau du son, du toucher et, surtout, des idées folles, visuelles en quelque sorte, car on peut les assimiler aux effets d'optique d'Escher. Seulement, ces figures viennent (ou semblent venir) dans le feu de l'action dans un processus spontané.


Sa musique au piano se caractérise par un toucher unique, une dynamique alliant puissance et légèreté et une expressivité étonnante dans la mélodie qui n’appartient qu’à lui, alors qu’il cultive la dissonance et des constructions audacieuses et souvent risquées. Son jeu lumineux, dont les silences et son sens de l’épure est l’élément le plus frappant, surtout lorsqu’il joue en solo, porte une voix singulière et unique. Il rend mélodieuses et fascinantes les audaces à la bienséance jazzique en restant proche du blues. Il fait chanter le décalage chromatique et les harmonies très avancées dans un mélange détonnant d’allégresse et de mélancolie. Son attaque qui évoque les pianistes latinos est aussi atypique qu’économe et communicative. Complexité et minimalisme, l’angularité abrupte d’Around Again ou la douce rêverie de Ballad. Le son Bley attire immédiatement l’oreille et la moindre de ses notes est reconnaissable.  Si on veut schématiser, on peut dire que si Cecil Taylor est bien le pianiste créateur incontournable du nouveau jazz libre,  face à la stature monolithique du danseur dans l’espace du clavier, on ne trouve que Paul Bley comme son meilleur « challenger » dans une approche synthétique ouverte à de multiples possibilités. Mais Paul Bley va toujours plus loin. Une nouvelle génération de musiciens révolutionnaires se concentrent à NYC : Sun Ra et ses musiciens comme John Gilmore et Marshall Allen, Archie Shepp, Sunny Murray, Steve Lacy, Bill Dixon, Marion Brown, John Tchicaï, Henry Grimes…. Ostensiblement, et fait rare parmi les musiciens ayant une réputation dans le milieu « jazz normal », il coupe les ponts avec la pratique du jazz qui découle du bop même sous ses formes plus avancées, telles celle des musiciens expérimentateurs de l’écurie Blue Note, Joe Henderson, Andrew Hill, Herbie Hancock, Freddie Hubbard, Bobby Hutcherson, Wayne Shorter…. Il venait d’ailleurs d’enregistrer un album dans cette direction sous le leadership du trompettiste Don Ellis et en compagnie de son futur associé à la contrebasse, Gary Peacock (Essence Pacific Jazz). Et il s’affiche avec les révolutionnaires au sein de leurs collectifs successifs prenant fait et cause pour les Marion Brown, Milford Graves, Sunny Murray. Très vite, sa musique se radicalise de plus belle. Il s’adjoint le saxophoniste John Gilmore, un saxophoniste original dont le grand John Coltrane s’est inspiré (en rémunérant grassement des leçons privées !) et grave plusieurs compositions en quartet avec Swallow et Paul Motianà la batterie, fameux pour avoir enregistré avec Bill Evans des albums mythiques au Village Vanguard.. Mais ici, Motian est sauvage et chahuteur. Ces plages seront éditées par la suite sous le titre de Turning Point en 1976 sur son propre label IAI et elles seront incluses dans l’album Turns par Savoy en 1986. Le travail est de moins en moins bien payé car leur musique devient de moins en moins commerciale. À l’époque Cecil Taylor joue dans des bars avec Sunny Murray entre deux rares festivals et, après être revenu de Scandinavie, il présente à tous un phénomène extraordinaire qui pousse le bouchon encore plus loin : Albert Ayler, un sax ténor avec un son à réveiller un mort et un lyrisme aussi fou que sa sonorité pulvérise l’idée même du saxophone ! Coup sur coup, Motian s’évade, Swallow rejoint Stan Getz et un nouveau vibraphoniste prodige, Gary Burton. Bley raccroche le bassiste Gary Peacock qui vient d’enregistrer avec Bill Evans et que Miles Davis a recruté (!). Le Paul Bley Trio est devenu quintet avec Sunny Murray à la batterie. Peacock est tellement sous le choc d’Ayler qu’il refuse l’invitation de Miles (alléchante, bien entendu) pour rester à proximité du saxophoniste fou. Quand on aime on ne compte pas !!  Et il se marie avec une poétesse et chanteuse anglaise, Annette Peacock, qui se mettra à composer pour le groupe par la suite. Bley racontera qu’il commanda de nouvelles compositions en temps libre  à Carla car Sunny Murray improvise tout le temps sans tenir compte des indications de la brève partition… Finalement, Ayler, Peacock et Murray forment le fameux trio historique de l’an zéro du free-jazz et enregistrent en juin 64 Spiritual Unity  publié par un nouveau label entièrement dédié à l’avant-garde du jazz, ESP. On peut dire que Paul a contribué à la naissance de ce trio ultime. On entend par la suite un Paul Bley quintet complètement free : Milford Gravesà la batterie, Dewey Johnsonà la trompette, Marshall Allen au sax alto et, tenez-vous bien,  Eddie Gomez lui-même à la contrebasse (le même que celui du Bill Evans trio des années 68/73) !! Pochette illustrée par un collage photographique du pianiste et graphiste Michael Snow : the walking woman, emblématique du style maison ESP. Il fera aussi la pochette du vinyle NYC Eye and Ear Control (avec Ayler Cherry, Tchicaï, Rudd, Murray et Peacock). Barrage , l’album du PB quintet  pour ESP tranche violemment par rapport au précédent, Footloose lequel, légèrement adouci, aurait figuré dans le catalogue Blue Note nouvelle manière. Ici la musique est intensément free-jazz, le tempo fixe est jeté dans l’eau de l’Hudson, la batterie de Graves percute dans tous les angles, accélère et ralentit comme les glissandi du sax-alto dont Marshall Allen joue avec le poing sur les clés (signe de ralliement à la cause ??). Dewey Johnson fait exploser les harmonies. Il s’agit des thèmes de Carla : Batterie, Ictus, And Now the Queen, Around Again, Walking Woman etle collagede Barrage.  La version d’Ictus (thème du JG3 book) fait penser aux éructations d’Ornette dans Free et le bassiste, volubile (on n’est pas Gomez pour rien) improvise comme un guitariste flamenco détraqué et fait claquer bruyamment les cordes contre la touche. La qualité très moyenne de l’enregistrement couvre un peu le pianiste. Que voulez-vous ? La musique est collective !  La critique de l’époque  peut s’arracher les cheveux, un musicien brillant qui crache sur le travail (jobs du « jazz comme il faut ») et vire de bord avec des blacks nationalistes

Tout ça est bien beau, idéaliste ! Mais figurez-vous, Paul Bley est un homme qui a les pieds sur terre, c’est même un solide homme d’affaires, une personnalité fiable dans le business, on le verra  plus tard. Se sentant coincé dans cette explosion d’énergie qui enterre le son du piano et comprenant qu’il doit changer d’air, Bley atterrit en Europe où son ex partira en tournée avec son amant, le trompettiste Mike Mantler, le sax  soprano Steve Lacy et le bassiste Kent Carter. Aldo Romano est à la batterie et ils croisent Peter Brötzmann (ouille !). Ne croyez pas que l’émotion introvertie qui se  dégage de ses enregistrements en trio des années 65 ait sa source dans son malheur en amour avec Carla. Que nenni, Bley est tellement motivé par son art que rien ne peut l’arrêter, ni l’impressionner. Annette Peacock, l’égérie du trio Ayler qui a accompagné les pérégrinations du quartet Ayler/ Don Cherry/Peacock Murrayà Rotterdam et Copenhagen l’année précédente se voit larguée par son bassiste de mari qui part étudier l’alimentation macrobiotique. Que cela ne tienne, Paul est sensible au charme de la mystérieuse chanteuse à qui il confie la tâche d’écrire pour son nouveau trio. Son but est de faire une synthèse de ses expériences des cinq dernières années en laissant la place au piano. Il lui manque des partenaires : Gary, bassiste superbement inspiré et novateur, n’est pas disponible. En tournée, il croise le batteur du groupe du trompettiste Carmell Jones, Barry Altschul, un solide client qui a intégré les astuces polyrythmiques des Roy Haynes, Elvin Jones et Tony Williams. Comme Carmell Jones est en tournée avec Horace Silver - au programme d’Antibes avec le batteur Lex Humpries et Joe Henderson- et que Bley, précédé de sa réputation a quelques concerts sérieux, l’affaire est faite. À Copenhagen en novembre, ils enregistrent en trio les nouvelles pièces elliptiques d’Annette avec le bassiste Kent Carter, disponible : Cartoon, Touchinget Both.Start, une pièce que lui a léguée Carla, tressaute comme Ictus, mais on entend que Bley va chercher son inspiration encore plus avant. Altschul colore la musique et fait chanter ses tambours. La rythmique est free et le bassiste a carte blanche. Pour cela, le pianiste aère son jeu car cela permet d'entendre clairement les improvisations du contrebassiste. Mazatalan, une composition rythmée, rappelle que le style de Bley est influencé par les pianistes caraïbes. Closer, la deuxième composition de Carla dans ce disque, est en tempo libre et s’étale avec une lenteur inaccoutumée, ballade à la métrique distendue et aux notes raréfiées. Quoi qu’il joue, que la musique en suspension flotte dans l’espace ou qu’anguleuse et accidentée, elle rebondisse sur les roulements des fûts d’Altschul, on reconnaît le pianiste à chacune de ses notes. Monk mis à part ou son ami Ran Blake, Mal Waldron et quelques phénomènes de la free music comme Cecil Taylor, Fred Van Hove ou Alex Schlippenbach, ils ne sont pas nombreux ! Un mois plus tard à New York, le trio avec Steve Swallow à la contrebasse grave un programme historique pour ESP avec une majorité de compositions de Carla : Ida Lupino, Closer (qui donne son nom à l’album), Start,  Sideways in Mexico, Batterie, face A. La face B : And Now the Queen et Violin (Carla), Figfootde Paul et Crossroads de Coleman. L’été 1966 voit Paul Bley et Altschul ratisser large  dans une série de festivals : Comblain-au-Pont, Antibes, Bologne, les Pays-Bas, l’Allemagne. À la contrebasse, un autre inspiré sensuel, Mark Levinson qui deviendra fameux pour ses amplis haut de gamme. Les concerts se succèdent et la musique évolue. En juillet 66, à Rome, le trio enregistre Both, Ida, Ramblin’ d’Ornette, Touching, Mazatalan et un Albert’s Love Theme d’Annette  Peacock en hommage à Albert Ayler, étiré comme s’ils cherchaient à jouer le plus lentement possible. On entend à peine la batterie et la basse fait vibrer une note grave toutes les quinze secondes. Le pianiste égrène ses notes comme si c’était les cailloux du Petit Poucet avec un lyrisme poignant. Both et Albert’s Love Theme durent plus de neuf minutes alors que le thème chantant d’Ida Lupino est décliné en 3’25'' avec une fausse emphase un instant ou une hésitation le moment suivant. Le solo se détache avec quelques notes de la mélodie répétées à l’envi avec des décalages subtils. Cela frise la joliesse avec un je ne sais quoi d’élégamment déglingué dans l’interprétation du thème avant de mourir dans le silence. Mazatalan est plus réussi que dans l’album Touching et le jeu d’Altschul providentiel : il maîtrise les rythmes latinos  comme peu. On retrouve la même ambiance de recueillement presqu’immobile dans un Touching  de 7’ où le silence complet survient plus d’une fois au détour … de deux notes étirées, suspendues comme si les musiciens retenaient leur souffle. Ramblin’ est une version étonnamment assurée du célèbre morceau d’Ornette Coleman, avec un drumming épatant de Barry, et complètement imprévisible si on a écouté Change of The Century où il ouvre le disque. Il n’y a qu’un seul pianiste Ornettien et il s’appelle Paul Bley. Ce troisième opus du trio sera publié en 1969/70 par BYG sous le titre de Ramblin’ lorsque PB se mettra à trouver des débouchés pour ses sessions inédites et il sera ensuite réédité par Red Record  avec des confusions de crédits sur la pochette : Carla comme compositrice d’Albert’s Love Theme etla numérotation dans les morceaux, entre autres Ramblin’ qui clôture la face B pour Mazatalan qui l’ouvre. Le producteur a-t-il écouté la musique ? 


Un autre album est enregistré en novembre 66 pour Fontanaà Baarn au studio André Vandewater, Blood, mais il demeure quasi introuvable n’ayant été réédité qu’une seule fois au Japon. Blood est devenue une pièce de collection chérotte. C'est tout aussi excellent et le contrebassiste Mark Levinson se distingue. Vandewater s’est commis dans l’enregistrement du Porto Novo de Marion Brown avec un Han Bennink hyper violent et des folies signées Bennink, Bailey et consorts pour ICP !  

Mais la surprise vient en concert : si les versions studio des morceaux lents s’allongent,  dans le disque live enregistré à Haarlem (Blood : Live In Haarlem/ Fontana), ils s’éternisent : Blooddure 19’ et Mister Joy  24’ . Deux pièces signées Annette Peacock, l’une torturée et free à souhait, l’autre une chanson joyeuse,  sorte de ritournelle en tempo latin dédiée à Mister Joylui-même : Barry Altschul, lequel s’affirme de jour en jour. L’écoute de ce MrJoy semble durer quelques minutes tant la force expressive du pianiste est irrésistible. Bley joue trois notes et elles ont un poids et une densité qui forcent l’attention et remplissent l’espace. Il touche la note avec une énergie rare et nous avons l’impression d’une patte de velours alors que le son a un volume extraordinaire. Bley a une technique inouïe pour faire sonner le piano comme personne. On pense à des forces de la nature comme Dollar Brand, Ellington ou Randy Weston, même si sa musique n’a rien à voir et semble fragile en comparaison. C’est tout le paradoxe ! Vous remplacer le Y de son patronyme  et par un U vous avez Bleu, la couleur du blues. Cet album live fut pressé par Arista Freedom en 1975 dans un double album en compagnie de Touching sous le titre Copenhagen and Haarlem. Par la suite le label allemand Da racheta les droits du catalogue du fameux Alan Bates et Live In Haarlem a été réédité dans une version cheap sous la marque Jazz Colours. Ce même Da, truste les droits des albums du fonds Alan Bates / Black Lion parmi lesquels on trouve My Name is Albert Ayler , Ghosts / Vibrations et Wiches and Devils / Spirits d'Albert Ayler  sans les publier. 
Mais revenons à notre curieux pianiste. Tous ses morceaux en trio lui paraissent bientôt trop faciles, il ressent le besoin d'encore changer. Bley et Altschul résident en Europe le temps d’une tournée interminable où ils découvrent la free music locale, complètement underground : Bennink et Mengelberg à Amsterdam, Alfred Harth et Just Musicà Francfort, Tchicaï et le Cadentia Nova Danica à Copenhagen, John Stevens et le Spontaneous Music Ensemble  à Londres. Le batteur a été aperçu à plusieurs reprises dans le public du Little Theatre Club vers 67 / 68 et y a sans doute croisé son futur alter ego à la contrebasse chez Braxton et Sam Rivers dix ans plus tard : David Holland. Les recoins de la vielle Europe se tapissent d’idéalistes qui recherchent une vision musicale complètement libertaire en remettant tout en question. On sent que ces gens veulent une musique où "nothing is allowed, everything can happen" et le courant passe aussi chez les artistes américains qui leur avaient apporté la liberté. Toujours est-il qu’une nouvelle marotte occupe l’esprit de Paul Bley : jouer un thème le plus longtemps et le plus lentement possible. En 1967, il enregistre de quoi faire un double album avec quatre compositions étirées à l’infini : So Hard It Hurts, Butterflies, Gary et Ending et une miniature : Circles. Ending enregistrée lors de la dernière session clôture le cycle du Paul Bley trio. Un point final d’une trajectoire peu commune. Gary Peacock y a rejoint le trio, mais celui-ci est déjà au bout de son chemin. La musique raréfiée, sorte de stase minimaliste en suspension est aussi dure à écouter que le déluge de notes de Cecil Taylor, alors que la démarche de Bley se situe aux antipodes. So Hard it Hurts !  Dans l’impossibilité de publier ce double album, Bley se résout à vendre à Mercury la bande d’un concert de 1968 à Seattle afin de documenter son trio pour le public US. Peacock joue le chant du cygne et le batteur Billy Elgart le ramène un peu dans un swing tout relatif. Dénommé Mr Joy en hommage à son batteur favori, Altschul, lequel est retourné en Europe pour jouer avec Marion Brown, Barre Phillips, John McLaughlin, Chris Mc Gregor, le dernier album du PB trio est une synthèse réussie de leur musique depuis les débuts et contient de nouvelles compositions : Only Lovely, Kid Dynamite, El Cordobès et un Nothing Ever Was Anyway désabusé. Les notes de pochette signées PB font allusion à ce  projet de double album de 1967 comme étant son idéal d’alors, mais les choses changent encore.

Robert Moog vient d’inventer un appareil qui permet de produire de la musique électronique en temps réel. Paul Bley plaque tout et s’enferme dans un studio pour comprendre et apprendre le fonctionnement de ce nouvel engin, lequel n’étant pas encore miniaturisé, prend une place bête. Adieu piano, trio, jazz et musique improvisée. En 1969, au prix de gros efforts et un acharnement  peu commun, Paul Bley est le premier musicien qui jouera du moog synthétiseur en public et en temps réel. Avec Annette comme chanteuse, il forme le Bley-Peacok Synthetizer Show et enregistre pour Polydor, The Bigger the Love the Greater the Hate,  avec une kyrielle de musiciens, dont Perry Robinson, Mark Whitecage au sax électrique, Gary et Barry sur une plage ou deux !  Rien que le titre vous dit tout de la situation : allant juqu'au bout de ses choix artistiques (l'amour), il s'est foutu dans un vrai cauchemar (la haine). Il conduit lui-même le camion indispensable pour transporter l’énorme matériel qu’il met parfois des heures à mettre en place. La folie ! Avec sa chevelure hippie et une barbe de prophète, il tourne même en Europe en 1971 ! À Rotterdam, c’est en compagnie du plus cinglé des percussionnistes de l’époque, Han Bennink !! Celui-ci souffle dans des trompes tibétaines gigantesques, percute sur une batterie complètement dingue composée de tambours chinois, d’une grosse caisse de nonante centimètres en bois, d’un tabla, de cloches, d’énormes woodblocks, de gongs et crotales, des racloirs, d’épaisses cymbales de fanfare du siècle dernier et fait tournoyer des rhombes en métal qui risque de voler dans le public en sectionnant la corde. Bley impassible et un Bennink rougeaud et survolté… Pfff ..Deux albums témoignent de cette aventure improbable: Dual Unity et Improvisie publiés respectivement par Freedom et America, le même label auquel il vend sa bande du Paul Bley Quintet avec Ornette au Hillcrest Club sur la lancée. Malgré les tournées, le Synthé Moog version primitive est un luxe inouï pour un musicien qui vit de ses concerts, même si en évoluant le moog devient de plus en plus transportable. Paul Bley qui a, je le répète, toutes les qualités d’un véritable homme d’affaires sans pour autant être vénal, rencontre les gens de BYG.  Le label français mythique publie son Ramblin’ enregistré à Rome en 66 et réédite Footloose. Le contrebassiste Manfred Eicher qui lance un nouveau label, lui rend visite à New York et Bley lui fait écouter les bandes de ses sessions préférées. Eicher, qui est déjà un fanatique de Gary Peacock, choisit des morceaux inédits en trio de 1963 avec le contrebassiste et Paul Motian et d’autres de 1968 avec Billy Elgart : Paul Bleywith Gary Peacock inaugure le label ECM avec un disque en trio de Mal Waldron. ECM publie aussi la moitié de son double album avec une longue improvisation par face enregistrée en 1967, sous le titre Ballads. Fatigué des concerts et de la promotion du Synthetizer Show et suite à la séparation d'avec Annette qui signe pour l'organisation de David Bowie, Main Man, il rejoint l'Europe en septembre 72 et décide d'enregistrer en solo dans un studio Norvégien. Mais quelle musique ? Et bien, c'est simple ! Dans le droit fil des derniers albums de son trio : le plus lentement possible !! Paul Bley est le roi du silence à défaut d'avoir convaincu qu'il était aussi le roi du swing en matière quasi-dodécaphonique. Open, To Love / ECM 1023 est le disque ultime de l'économie des efffets, du refus de la virtuosité, de la sensualité du son, de la vibration de la note. Closer,Ida, Started, Open, To Love, Harlem, Seven,Nothing Ever Was, Anyway.  Bouf ! ECM , voilà ! Mais c'est trop facile ! Malgré son nez creux proverbial, Bley est un artiste jusqu'au bout des ongles et un artiste cela prend des risques et il n'aime que les labels qui commencent. Donc pourquoi pas créer le sien, l'idée germe. Après un dispensable Scorpio pour Milestones fin 72 avec la rythmique de choc Holland - Altschul qui défraie la chronique avec Circle (Corea et Braxton) et Sam Rivers, il décide de larguer la fée électricité. En 1973, il grave un magnifique duo acoustique avec le contrebassiste prodige NHOP (Niels Henning Orsted Pedersen) pour un label post bop naissant, Steeple Chase, qui ressuscite Jackie Mc Lean et Johny Griffin et fait enregistrer Daxter Gordon et le vibraphoniste free Walt Dickerson. NHOP s'adapte parfaitement à la situation et quelques nouvelles compositions émergent  : Gesture Without Plot, Ojos de Gato, Later..  Qu'elles soient de lui, de Carla ou d'Annette, on s'en fout : ce qui est joué par Paul Bley, devient du Paul Bley.


En 1974, il enregistre de nouveau un solo dans le mythique studio Arne Hendriksen où les musiciens ECM sont logés à demeure. Keith Jarrett est devenu un phénomène universel et il enregistre avec un prodige norvégien, Jan Garbarek. Une nouvelle scène et un nouveau son se créent autour du label munichois qui attire les jazz fans des States au Japon et le phénomène dépasse les ventes de certains groupes pop. Mais bien sûr, pour Paul Bley, tout cela est trop facile : il préfère sa liberté et crée son label Improvising Artists Incavec sa nouvelle compagne, Carol Goss, une artiste vidéo d'avant-garde. Alone Again est publié par IAI avec Ojos de Gato, Ballade, And Now The Queen, Glad, Lovers, Dreams, Explanations au piano seul dans une véritable introspection dépouillée. La musique semble légère, douce et au ralenti permanent. Pourtant, elle est aussi déchirante et surtout, le pianiste joue fort, certaines notes explosent alors qu'elles semblent naturelles. Bley est un pianiste qui donne l'illusion d'être introverti en plongeant les notes dans le silence : cette fragilité apparente est poutant obtenue par l'entièreté du membre antérieur qui fait sonner le piano avec une grande puissance faisant vibrer la note le plus fort possible tout en la faisant chanter. L'attaque très légèrement décalée par rapport au geste normal et/ou l'intervention minutieuse à la pédale en cours de l'émission crée une impression de doute voire d'insécurité. Complètement paradoxal ! Comme il joue rarement vite, on croit que c'est simple. Tout travaille : l'épaule, l'omoplate, le coude, l'avant-bras, le poignet, la main et un ou deux doigts. Comparez avec les pianistes virtuoses qui sont sensés jouer une musique proche de la sienne, cherchez, écoutez. Quand ils ne paraissent pas ringards en comparaison, en raison des freins mentaux de l'académisme persistant, ils sonnent inconsistants et apprêtés face au naturel désinvolte du Canadien. Très rares ceux qui ont ce corps, ce son physique afro-américain. Mengelberg a bien un son fantastique, mais on ne l'a jamais entendu voler sur le rythme ou flotter en apesanteur. Paul Bley est un virtuose, mais pas celui des enchaînements de dizaines de notes à la seconde attaquées de manière plus uniforme (Chick Corea, Joachim Kuhn, Martial Solal), il est un virtuose minutieux du son ! Et parmi les quelques virtuoses du son, il est un de ceux qui swingue au maximum. Comme Monk ! Il sait faire swinguer des valeurs et des dynamiques contrastées, voire opposées et faire dire au silence qui suit ce que la note qui meurt signifie. Revenons au label IAI : sort Quiet Song, une rencontre de Bley avec Giuffre et le guitariste Bill Connors, un des musiciens ECM qui a le vent en poupe. Le disque est beau et ouvre l'esprit de jeunes auditeurs à la recherche de ce qui est souterrain et qui échappe à la prescription des magazines rock qui commencent à fabuler. Laurent Goddet, Michael Cuscuna, Joachim-Ernst Berendt et ciealertent toute la planète jazz et en quelques années IAI construit un catalogue exceptionnel : du Paul Bley avec Virtuosi, le reste du double album de 67 qui dévoile les très lents Butterflies et Gary en trio avec Peacock, Turning Point  avec Gilmore et Peacock et les Coleman Classics du Hillcrest Club. Mais cet album Ornettien est retiré de la vente par l'avocat de qui vous savez, comme si Paul était un barjot ! On sait que Bley est un grand professionnel qui connaît les règles du métier sur le bout des doigts et a le chic pour foutre la paix aux organisateurs, journalistes et propriétaires de labels tout en sachant comment faire pour obtenir ce dont il a besoin. Toute l'histoire de son label IAI le prouve : il a produit plusieurs fleurons de la discographie de collègues qu'il estime. Une série de duos majestueux : Sam Rivers et Dave Holland en deux albums, Duet de  Lester Bowie et Phil Wilson, Underlines de Steve Lacy et Michael Smith, Reeds and Vibes deMarion Brown et Gunther Hampel , le guitariste Michael Jackson avec Oliver Lake , Karmonic suite. En outre, deux albums solos de Sun Ra voient le jour et le Breakin thru  du sensible pianiste Ran Blake. Son pote Perry Robinson n'est pas oublié : un disque proche de la musique ethnique, Kundalini , où officie le sitariste du groupe électrique de Miles, Badal Roy et le percussionniste brésilien Nana Vasconcelos. Et un inédit du pianiste Mike Nock avec Bennie Maupin. C'est le plus beau label indépendant New Yorkais et il est géré par un musicien à l'instar d'Incus, FMP, ICP en Europe. Du moins, le plus soigné avec des albums qui sont des réussites incontestables sans parler des pochettes signées Carol Goss. Paul a du succès et il en fait profiter les autres, car s'il a une très forte personnalité et une créativité peu commune, il sait très bien à qui il le doit : les musiciens qu'il a rencontrés : les génies, les très bons et les honnêtes artisans qui ont éclairé sa route.


Un disque IAI électrique enregistré en 1974, nous le fait entendre avec Jaco Pastorius et Pat Metheny, alors encore inconnus, comme s'il savait prédire l'avenir. Sortent encore une Japan Suite avec Altschul et Peacock en 1976, Pyramid avec Lee Konitz, Connors et Bley et un solo de 1978, Axis in Soho  du nom du quartier où cela se passait à cette époque à NYC avant que la cherté des loyers n'en chasse les artistes. Par rapport à Alone Again, Axis est une performance de concert plus physique et énergique. A partir de cette époque, Paul Bley va inscrire sa démarche à travers plusieurs labels tels Soul Note, Steeple Chase, Just In Time et ECM en aprofondissant sa pratique musicale et en cultivant ses prédilections. Jamais il n'est revenu en arrière pour rejouer bebop à l'époque Marsalis. Ou invoquer les pères de la musique afro-américaine pour obtenir du travail.  D'ailleurs quand la mode du tout électrique a commencé à battre son plein dans les années 70, il est revenu à l'acoustique intégral. Piochez dans sa discographie des années 80 et 90, le cap de la musique libre est maintenu et même magnifié avec ce touchant duo avec Chet Baker, Diane (Steeple Chase). Pris au hasard : un trio dédié à Carla (Paul Plays Carla)  qui sonne à la fois free revêche et langoureux  avec les compositions des albums Footloose, Closer,et Open, To Love en compagnie de Jeff Williams et du très demandé Marc Johnson : la facture est free et l'inspiration est nettement au rendez-vous. Tous ses projets d'albums ont un but, des idées et développent soigneusement le matériau choisi en exprimant la joie, l'étonnement, la colère, le doute, le plaisir, la mélancolie, la nostalgie de moments perdus à jamais, ou l'espoir du jour qui se lève. Paul Bley est parmi ses contemporains le pianiste qui a une capacité innée d'exprimer ses sentiments (ou ceux des autres) et les communiquer à la sensibilité de tout un chacun en faisant littéralement parler le piano. Pas une once de pianisme académique, alors qu'il connaît les secrets des harmonies. Sa technique est au service de sa sensibilité et des ses idées et il ne veut pas distraire son auditeur par l'exposition de son savoir-faire instrumental. C'est seulement le souffle de la musique qui nous parle. Chez lui, le son de la musique populaire a envahi l'univers des compositeurs du XXème siècle qui l'ont inspiré. Il a été transfiguré de part en part par le son inouï de Bird, par les vrombissements de la basse de Mingus, le souffle microtonal d'Ornette et le cri à la fois joyeux et désespéré d'Ayler et, que dorénavant, ayant eu ces révélations à nulle autre pareille, il n'était plus question de servir de la soupe ou de se prêter à des faux semblants. Certains de ses amis pianistes ont cette exigence : Jaki Byard, Ran Blake, Randy Weston. Avec ses camarades de toujours, Motian ou Peacock, les rencontres épisodiques donnent droit à des chefs d'oeuvre qui respirent l'improvisation sincère : Notes/ Soul Note, Partners/ Owl et Mindset/ Soul Note. Il n'hésite pas à se frotter à Tony Oxley (Chaos/ Soul Note). Ses derniers albums solos comme Mondsee ou ses trios comme Not Two Not One  démontrent qu'il n'avait pas encore fini d'apprendre. Ou cet autre hommage à Annette avec le trompettiste Franz Koglmann et Peacock encore (Hat Art). À peine Evan Parker avait signé avec ECM en 1996 que Bley enregistre avec lui et Barre Phillips, la magnifique rencontre improvisée de Time Will Tell.  Paul Bley peut s'en aller. Le temps racontera un jour !! 
Paul Bley est réellement un musicien qu'il faut mettre aux côtés de nos grands disparus comme Eric Dolphy, Albert Ayler, Ornette Coleman et Steve Lacy.

ADAM BOHMAN : COLLAGES EXPOSITION ATELIERS MOMMEN 24/27 février

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ADAM BOHMAN  :  OBJECTIF NOISE  
Exposition - Exhibition - Tentoonstelling 
ADAM BOHMAN : COLLAGES    
Ateliers Mommen  : 24-25-26 febr.
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Trevor Watts & Veryan Weston/ Hugues Vincent/ Edith Alonso Kumi Iwase Antony Maubert/ Edoardo Marraffa Thollem McDonas Stefano Giust

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Trevor Watts & Veryan Weston At Ad Libitum fortune 0057 007
Trevor Watts & Veryan Weston Dialogues For Ornette FMRCD0404-0915

Quatrième et cinquième album de ce duo sous le signe du Dialogue, ces enregistrements apportent encore une part de lyrisme, de fougue, de réflexion et de …. supplémentaires à l’art d’improviser.  Nos duettistes requièrent toutes les ressources musicales et instrumentales des saxophones alto et soprano et du piano. L’hommage à Ornette Coleman parce que Trevor Watts s’en était fortement inspiré dans les années 60’s. On dira que cette musique n’est pas neuve, il s’agit du bon vieux free-jazz de papa dans sa version libérée. D’accord en théorie. Mais en pratique, celui qui a visité  les continents discographiques témoignant de l’évolution par le menu de cette musique, conclura qu’il s’agit bien d’une démarche singulière, rare. Comptez le nombre d’albums du soit-dit jazz libre  enregistrés et publiés avec un saxophone et un pianiste, écoutez et comparez leurs contenus. Vous verrez qu’on tient ici un véritable diamant à la fois brut et taillé d’innombrables facettes qui s’emboîtent à merveille. Et quelle merveille ! Tous les affects de la relation entre deux improvisateurs à l’écoute l’un de l’autre, leur concentration, leur imagination, la sensualité du saxophoniste, la logique du pianiste, l’émotion et leur entente, tout concourt à faire de leurs albums des chefs d’oeuvre. Trevor Watts, le saxophoniste et Veryan Weston le pianiste ont collaboré dans le plus ambitieux  des projets orchestraux du souffleur, Moiré Music, et le pianiste en était la pièce maîtresse pour ce qui concernait la contingence des multiples rythmes et de la construction harmonique de cette tour de Babel syncrétique.  En l’écoutant trois décennies tard, on se pince pour se dire que ce n’était pas un mirage. http://www.discogs.com/Trevor-Watts-Moiré-Music-Trevor-Watts-Moiré-Music/master/374161 & http://www.discogs.com/Trevor-Watts-Moiré-Music-With-One-Voice/master/79237. On croyait Trevor Watts perdu dans ses Moiré Drum Orchestra en compagnie du batteur Liam Genockey et les maîtres percussionnistes africains de l’Ouest dans une kyrielle de festivals de musiques du monde de l’Amérique Latine jusqu’au fin fond de l’Asie.
Mais après avoir été séparé par les aléas de l’existence, Trevor a retrouvé Veryan en 2001 pour les superbes Six Dialogues publiés chez Emanem et non réédités depuis. Le duo avait fonctionné à plein régime dès ce premier jet. Sans doute, avaient-ils travaillé au préalable. Pour Trevor Watts, c’était son premier retour dans l’improvisation totale depuis l’époque héroïque et l’album Japo avec John Stevens, Howard Riley et Barry Guy, Endgame en 1979. Mais il vous dira qu’il n’a jamais cessé d’improviser dans son exploration de la composition basée sur les rythmes complexes, et comment ! Car, comme il tient à le préciser, il n’a jamais quitté, ce faisant, l’esprit communautaire de la free -music dont il est un des pionniers en Europe avec Stevens, Van Hove, Schlippenbach, Brötzmann, Bennink, Breuker, Tusquès et cie. Il leur reste un autre album studio, 5 More Dialogues (Emanem 5017) aussi magnifique que le précédent, car depuis, comme pour bien montrer que leur duo est leur aventure musicale primordiale à tous deux aujourd’hui, ils ne produisent plus que des enregistrements de concerts : une superbe vidéo publiée en DVD par FMR : Hear & Now où le duo est complété par le tandem John Edwards et Mark Sanders et un extraordinaire double album Dialogues in Two Places (Hi4Head). Aujourd’hui, un enregistrement live de 2013 à Varsovie at Ad Libitum et un autre en hommage à Ornette Coleman enregistré au Bim-Huis d’Amsterdam, montrent combien leur capacité à improviser est phénoménale. L’invention à l’état pur. Veryan Weston jongle avec de très nombreuses formules rythmiques et une conception étendue de l’harmonie au clavier. Tous ses arpèges et doigtés sont mus par une articulation puissante qui construit une architecture tridimensionnelle dans l’espace d’une grande clarté. Le saxophoniste peut s’envoler comme un oiseau, rugir comme un lion avec un son rutilant d’une plénitude rare, fractionner le spectre sonore etc.. avec une des plus belles sonorités qui soit. Cette sonorité exemplaire même quand elle anime des motifs mélodiques évidents ne tombe jamais dans la joliesse, ne fût-ce que par sa propension à étirer les notes avec un sens précis des commas qui altèrent les intervalles, créant des tonalités et des modes éminemment personnels.  Bref, on le reconnaît dès la première écoute et sa maîtrise musicale, elle une fontaine naturelle lui fait éviter les tics et des emprunts à lui-même. Une fois que vous êtes conquis par le lyrisme de ce duo et que vous les réécoutez et parcourez leurs albums, ils vous subjuguent par un renouvellement constant de leur inspiration. Dans l’album Dialogues for Ornette, Il y a aussi deux plages enregistrées au Brésil où Veryan Weston joue d’un clavier électronique, ce qui vaut son pesant de cacao (Quantum Illusions). Prions que ce duo rare puisse enregistrer dans d’autres grandes villes européennes et nous envoyer d’autres moments de bonheur de ce calibre ! 

Cello Pieces Hugues Vincentplays the music of Vincent Laubeuf and Kumi Iwase Zpoluras Archives ZACD 1502

Compositions ? Interprétées par un improvisateur … hm ! Improvisations ? Par la volonté de jeunes musiciens improvisateurs/ compositeurs tels Hugues Vincent, Vincent Laubeuf  ou Kumi Iwase , les deux options irréductiblement opposées semblent de plus en plus s’interpénétrer en délaissant l’académisme formel et puisant l’inspiration dans d’autres idiomes ou disciplines artistiques sans aucun esprit de sérieux …. Trois oeuvres ici interprétées , jouées ,  vécues par l’excellent violoncelliste Hugues Vincent  avec l’aide de pédales de distorsion et support audio dans Telle une illusion qui s’enfuit au réveil(17’50’’Vincent Laubeuf) . En solo absolu dans Trois Pièces pour violoncelle solo (6’22 2’36’’ et 5’35’’Kumi Iwase) et avec un support audio à nouveau, Le tumulte du sanctuaire (15’37’’ Kumi Iwase). Voici une belle production engagée et munie d’une pochette sobre et minimaliste avec une oeuvre graphique du compositeur Vincent Laubeuf. Si la première composition, Telle une illusion , excellemment interprétée, sonne assez expérimental, les trois pièces en solo d’Iwase sont vraiment remarquables par leur grâce, leurs intentions et l’accord parfait entre l’esprit de la compositrice et l’acte de jouer - la vie - du violoncelliste. Petites formes exquises ramassées sur l’essentiel et qui aspire l’écoute de l’auditeur. N’analysons pas, mais laissons nous bercer par le songe, rêvons dans le temps qui disparaît. La troisième solitaire, Une barque dans la houle, introduit une cadence dans plusieurs affects avec un très beau développement et de belles questions. Quand les trois pièces pour violoncelle seul sont jouées, on retient un sentiment de plénitude, une impression que tout a été dit. Le tumulte  est aussi une belle réussite. Remercions  bien Paulo Chagas, le saxophoniste portugais, pour une telle initiative qu’il faut vraiment souligner. 

Le Jazz Non Plus… Edith Alonso Kumi Iwase Antony Maubert Bruce’s Fingers BF 131
https://brucesfingers.bandcamp.com/album/le-jazz-non-plus

Bruce’s Fingers est le super label du grand bassiste, compositeur et chef d’’orchestre atypique, Simon H Fell, pour lequel je m’étonne toujours que trop peu de critiques, organisateurs, personnes averties et groupies en tout genre s’intéressent à sa démarche et à ses projets …. Ces dernières années, BF donne une belle chance à des artistes venus de nulle part tels le trio espagnol Topus (The Hidden Forces) plutôt free-jazz ou l’électrique The Geordie Approach (Inatween https://brucesfingers.bandcamp.com/album/inatween). Voici Le Jazz Non Plus, un intéressant projet de musique improvisée pointue basé à Paris. Au piano préparé et objets, Edith Alonso, au saxophone et clarinette, Kumi Iwase et aux électroniques, Antony Maubert. Des morceaux intitulés Piste 01, Piste 02, jusqu’à la Piste 08 de différentes durées et intensités. C’est excellemment enregistré au Conservatoire Iannis Xenakisà Evry par Antony Maubert. La table d’harmonie tremble, résonne, frémit, la colonne d’air divague sur une note ressassée puis file dans harmonique ténue, un sifflement glisse, prolonge le son du saxophone. Le trio s’anime dans les vagues des cordages percutés. Un belle improvisation ralentit et le souffle continu se love autour d’harmoniques étirées, obsédantes. Toute le long du disque le trio explore des occurrences sonores multiples, comme cet unisson en apesanteur dont la texture se métamorphose insensiblement vers des effets de nuages et un grincement métallique de la Piste 02.  Chaque plage longue ou courte donne lieu à une reconfiguration du champ sonore et à une prolifération de modes de jeux  constamment renouvelles autour de superbes atmosphères avec une écoute mutuelle oblique, évolutive, nuancée. Le saxophone opte pour un filage de la note dans des singuliers glissandi presqu' immobiles surnageant dans l’étalement des frémissements des cordages qui s’amplifie sans discontinuer vers l’intense (Piste 05). L’aspect technique de la musique disparaît dans la recherche lucide d’un partage heuristique des sons découverts dans l’instant, des ostinatos sauvages, hésitants, des objets frappant les montants de la harpe, l’électronique sifflante qui meurt dans un soubresaut  …. (Piste 08). Musique qui se mesure à notre capacité d’écoute, à notre réception du sensible. De beaux moments.

Area Sismica Magic MC  Edoardo Marraffa Thollem McDonas Stefano Giust  Setola di Maiale SM 2920
La vie de ce trio puissant et intense continue son cours : énergie, exigence, expression puissante. Il y eut il y a très longtemps dans la free-music européenne une vogue : le trio piano-sax-batterie. Brötzmann/ Van Hove/ Bennink, von Schlippenbach/ Parker/ Lovens, Schweizer/ Carl/ Moholo, Alfred Harth/Van den Plas/ Sven-Åke Johansson, et bien sûr, Cecil Taylor Jimmy Lyons et Andrew Cyrille ou le trio Ganelin et plus près de nous, Gush (Mats Gustafsson/ Sten Sandell/ Ray Strid. Énergie souvent  surhumaine, radicalité du free-jazz, parfois « démolition » du piano, abandon des compositions ou des thèmes pour l’improvisation totale. Voici donc un trio qui persiste et signe. Un pianiste exceptionnel avec un toucher lumineux (Thollem McDonas), un saxophoniste ténor avec un son énorme et une singularité authentique (Edoardo Marraffa qui s’essaie avec bonheur au sopranino), un batteur puissant avec des idées originales (Stefano Giust), une cohésion et un sens de l’improvisation. 6 improvisations de durées de 6 minutes à 19’. Enregistré en 2011 lors du festival Area Sismica, leur musique a acquis une palette supérieure par rapport à leur excellent album paru chez Amirani (Magic MC) et elle convainc sans ambages malgré une prise de son moyenne. Cette combinaison instrumentale permet des échanges musclés et variés et elle peut aisément impressionner le public lorsque les musiciens ont l’énergie à revendre et le talent de ces trois individualités. Mais on sent poindre un peu partout une volonté d’improviser, d’échapper à la routine, de changer la trajectoire, de varier le propos, d’alterner la puissance de l’expression spontanée et la réflection sur l’instant qui se joue, de raconter de vraies histoires… On entend des es passages où l’écoute très profonde est palpable … le vécu en quelque sorte. Et donc, c’est à un beau moment d’une aventure sincère qu’on assiste par le truchement de ce CD. Rien à voir avec la nostalgie….
P.S. pour les amateurs de saxophone énergétique (Brötzm, David Ware, Mats Gust, etc....ce genre de choses) Edoardo Marraffa est un sacré client !! 

Ian Brighton- Martin Küchen & Hermann Müntzing - Dom Lash & Alex Ward - Making Rooms cdbox Russell Parker Edwards Grant Ward Thomas Blunt Taylor Leahy - Pow Gamra Conca /Oliva /Sanna /Giust

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Now and Then Ian Brighton Confront Records ccs 62

Dès la première plage, la voix de Derek Bailey commente les relations entre l’acte de jouer et d’improviser et celui d’enregistrer. Cet enregistrement est suivi de chasing lol, un solo de guitare électrique de Ian Brighton qui évoque largement le Derek Bailey bruitiste des années 70 pour dévier ensuite vers la démarche actuelle particulière de Brighton. Lol pour Lol Coxhill vraisemblablement.
Ian Brightonest l’initiateur du groupe Balance, au départ un duo avec le percussionniste Frank Perry, dont l’album datant de 1973 et produit par le label Incus d’Evan Parker et Derek Bailey est un témoignage absolument remarquable de musique improvisée libre « british ». Au casting de ce quintet rare et non réédité, rien moins que le tromboniste Radu Malfatti et le violoniste Philipp Wachsmann, soit deux incontournables, Brighton, Perry et le violoncelliste Colin Wood qui fit partie du Spontaneous Music Ensemble « string » en 1976-77 et partit ensuite en Inde.
On trouva aussi Brighton dans l’album February Papers de Tony Oxley avec Barry Guy et Phil Wachsmann (Incus 18) et un excellent album à son nom, Marsh Gas où on l’entend en solo, en duos avec Radu Malfatti et Marcio Mattos et en trio avec Roger Smith et Phil Wachsmann (Bead Records 1974). Vu le nombre restreint d’enregistrements d’improvisation radicale à cette époque, cela faisait de Ian Brighton une personnalité importante de la free music londonienne naissante : certains de ses projets ont d’ailleurs été présentés à l’ICA – Institute of Contemporary Arts où défila durant toute la décennie la crème de la scène « anglaise ». La troisième plage,  30 years from yesterday,   fait allusion au CD Eleven Years from Yesterday(Bead/ FMR 1986) et nous fait découvrir une improvisation de 1986 avec le personnel de ce disque (passé complètement inaperçu à l’époque) : Phil Wachsmann, Marcio Mattosà la contrebasse et le percussionniste Trevor Taylor mais sans le pianiste Pete Jacobsen. L’écoute de la quatrième plage, alive and well, résume très bien l’approche de Ian Brightonà la guitare électrique basée sur la dynamique, les harmoniques, la pédale de volume, les glissandi, le Webernisme, les sons bruissants obtenus en grattant les cordes sur le fil ou à proximité du chevalet. Un univers proche de celui de Derek Bailey comme on peut l’entendre sur ses deux premiers albums solos publiés par Incus, (Solo Incus 2 et Lot 74 Incus 12) avec des colorations et des résolutions différentes. Très original et complètement hors du champ du jazz ou du rock alternatif. Il n’hésite pas à explorer le manche, les cordes et tous les sons disponibles en jouant tout à fait autrement qu’on lui a appris. L’amplification est parcimonieuse et sert avant tout à colorer sa gestuelle arachnéenne. Ces effets sont obtenus par la manipulation de l’instrument, bien plus qu’avec des pédales et boîtiers électroniques. Percussion discussion nous le fait entendre avec (une bande ?) de sons de percussions par Trevor Taylor et Frank Perry et de la flûte de Nicky Heinen. Les deux derniers morceaux generation apart et going home sont des duos avec Paul Brighton, live electronics,  lequel a assuré la prise de son. Plutôt qu’un enregistrement effectué d’une traite en studio, now and then constitue une anthologie d’histoires singulières et de moments qui relatent l’acte de jouer. L’ensemble est intéressant, le boîtier métallique made Confront Records aussi classe que la musique, la sonorité du guitariste s’y révèle unique et il y a des choses qu’il faut découvrir si on veut se faire une idée de l’évolution de la musique improvisée libre radicale avant son acceptation urbi et orbi. À recommander (vous n’allez quand même pas collectionner tout Derek Bailey ?) Alors, voici de quoi vous sustenter avec la voix du maître en prime.

küchen & müntzing scheibenhoning rop på hjälp inexhaustible editions ie-002

Outre le saxophone sopranino de Martin Küchen, Hermann Müntzing et lui jouent des  kitchen gadgets, strings & sticks, water, old harmonium case, toy electronics(MK) et des flexichord, metal, wood and plastic things, mandoline, toy synth, megaphone, failtronics, contact microphones (HM). Avec un tel bric-à-brac, Küchen et Müntzing parviennent à un achèvement rare dans la mise en sons, l’étalement dans le temps, et le sens perçu par l’auditeur. 1 (22’15’’) et 2 (16’20’’) sont enregistrés avec une dynamique remarquable et une excellente lisibilité. En poussant le volume assez fort, on n’est jamais agressé par cette musique percussive, bruissante et heuristique, voire charivaresque par instants. Cette pratique n’est pas neuve per se, mais nos deux artistes l’incarnent avec beaucoup de conviction et de bonheur. La poésie qui s’en dégage est contagieuse. Quand Martin embouche son sopranino et égrène quelques notes libérant au moins une main, on est frappé par la profusion de sons jamais envahissants produits par son compère. Le deuxième morceau démontre que leur musique n’est pas un gadget ou le produit d’effets faciles : s’impose directement, un autre univers, une autre direction, différents de la pièce précédente.  Cela va droit au but à travers les méandres de leur imagination. Réjouissant !

Dominic Lash Alex WardAppliance Vector Sound VS016

Sept pièces en duo contrebasse et clarinette composées respectivement par le clarinettiste Alex Ward (Purchase et un morceau non cité sur la pochette), le bassiste Dominic Lash (Oat Roe, Appliance)  et co-composées (ou librement improvisées) par les deux partenaires (Whelm, Grunt Work, Subtext). Dans la lignée des autres compositions d’Alex Ward, ce clarinettiste marie subtilement la démarche contemporaine vingtiémiste avec un phrasé jazz assumé. Sa collaboration avec le compositeur bassiste Simon H Fell, SF Duo : Gruppen Modulor 1, est un chef d’œuvre absolu dû à la plume du génial contrebassiste et au talent exceptionnel d’Alex Ward (Download :  https://brucesfingers.bandcamp.com/album/gruppen-modulor-1 ). C’est pourquoi, je n’hésite pas un instant à repasser  cet Appliance assez court (38’) mais remarquable. Dominic Lashenfonce le pizzicato sourd, grave et élastique avec une majesté digne de Charlie Haden quand Alex Wardvoltige du grave à l’aigu dans tout le registre du chalumeau, contorsionnant la colonne d’air avec le plus grand naturel lorsque la partition le requiert. Improvisé ? Composé ?  Les moments retenus, soniques et délicats affleurent et leurs tempéraments s’emportent soudainement. Cela joue, la musique est requérante, travaillée et ludique… Le dialogue traverse plusieurs affects et la connivence est de tous les instants.  Le morceau Subtext contient quelques notes qui évoquent  brièvement Steve Swallow et Jimmy Giuffre dans leur fameux trio initiateur. Le septième morceau au titre inconnu est un magnifique parcours détaillé (vraisemblablement) par une partition graphique d’Alex Ward. Les parties de contrebasse à l’archet soulignent remarquablement les volutes et sinuosités de la clarinette. Contrepoint très original. Alex Ward est non seulement un virtuose, mais aussi un compositeur avisé. Tout cela fait un excellent album. 

Making RoomsWeekertoft4 cd box : Evan Parker - John Edwards - John Russell : Chasing the Peripanjandra, Pat Thomas solo : Naqsh, Alison Blunt - Benedict Taylor - David Leahy : Knottings, Kay Grant – Alex Ward : Seven Cities.

Weekertoftest le label conjoint du guitariste John Russell et du pianiste irlandais Paul G. Smyth créé dans le sillage de la série mensuelle de concerts Mopomoso qu’anime Russell depuis 1991 au mythique Red Rose jusqu’en 2007 et au Vortex Jazz Bar de Dalston depuis lors. Ce club incontournable a donné une visibilité nettement plus grande à Mopomoso soutenue par la publication systématique de séquences vidéos souvent réalisées par la cinéaste Helen Petts et  qui ont fait le tour du monde par le truchement de Youtube. Deux extraits de mes propres concerts au Vortex récoltent chacun deux mille vues……. Et il y en a ainsi des centaines vues chacune des centaines de fois c’est vous dire le rayonnement de Momoposo après seize  années d’acharnement au Red Rose  où l’assistance ne dépassait pas souvent la quinzaine d’auditeurs. Aussi, faut-il le répéter ? , John Russell a eu la clairvoyance et l’audace d’offrir à un tas d’inconnus « débutants » leur quasi premier gig et que ces invités sont très souvent devenus des artistes de premier plan.  
En 2013, eut lieu le Mopomoso Tour : Birmingham, Brighton, Bristol, Oxford, Sheffield, Newcastle, Manchester. Ce coffret rassemble des enregistrements réalisés durant cette tournée qui eut l’heur de toucher un plus large public qu’à l’accoutumée. Chacun des trios, duo ou solo a droit à un cd complet. Une véritable découverte en ce qui me concerne est l’album solo du pianiste Pat Thomas. Une musique singulière, physique, cérébrale, rageuse marquée par le jazz mais aussi la contemporéanité. Refus des effets racoleurs et des clins d’œil, sauf à la toute fin, ce qui amuse le public. Un solide doigté au service d’une réelle originalité : son jeu est immédiatement reconnaissable et sa démarche embrasse plusieurs réalités du clavier et de l’instrument au-delà d’un style. Un vrai compositeur de l’instant qui mérite le feu des projecteurs pour autant de bonnes raisons que les Matt Shipp, Agusti Fernandez, Sten Sandell et autres prodiges qui ont  pris en main la succession de la génération Taylor, Van Hove  et  von Schlippenbach. J’avais apprécié son album solo Nurpublié par Emanem en 2001, mais je trouve que sa musique s’est réellement bonifiée. On comparera  aussi le duo voix clarinette de Kay Grant et Alex Ward avec leur album Emanem Fast Talk (5021) qui était composé de dix pièces tirées de cinq concerts différents entre 2008 et 2011. Leur Seven Cities créées dans l’enthousiasme de la tournée fait tourbillonner leurs idées pour notre plus grand bonheur et apporte un plus à la qualité de leur collaboration. J’ai bien sûr un faible pour ce clarinettiste magistral d’une grande musicalité et l’imagination de sa partenaire met ce duo en valeur. Quoi dire du trio Evan Parker John Edwards et John Russell, si ce n’est qu’il s’agit du trio british de référence de ce saxophoniste légendaire parmi ses multiples associations. En effet, le trio avec Guy et Lytton étant international, le bassiste vit et est très actif en Suisse et Lytton à l’est de la Belgique et est un pilier de la scène Rhénane. La guitare radicale et entièrement acoustique du patron de Mopomoso et de Weekertoft est vraiment pour quelque chose dans l’excellence de ce trio: s’il y a un musicien qui joue avec tout en se distinguant avec ses harmoniques, griffures, accords non résolus et intervalles dissonnants, c’est bien Russell. Quant à John Edwards, on se demande comment ce freluquet arrive à faire vibrer, grincer, mugir ou faire rêver avec autant d’énergie son gros violon … mystère. Les jeux tricotés de Knottings créent une fusion des cordes frottées, frappées, froissées, frictionnées avec une belle dynamique. Les doigts de fée d’Alison Blunt commentent sur la touche de son violon les glissandi magiques (Johannes Rosenberg en frémit dans sa tombe !) de l’alto dégingandé de Benedict Taylor et rendent légers les grondements et froncements du contrebassiste David Leahy, une pince sérieuse du gros manche. On peut comparer ce trio avec cet autre où Alison Blunt excelle en compagnie d’Hannah Marshall au violoncelle et du rare Ivor Kallin à l’alto (Gratuitous Abuse Emanem 5020). Et là aussi, bonus, bonus, bonus. On croit parfois avoir fait le tour mais l’excellence musicale convainc toujours. Je ne vais pas plus m’étendre sur le sujet car la réécoute de ce coffret réussi m’appelle….
En fait, ce coffret Making Rooms est dans le prolongement des doubles cédés Emanem qui documentaient le festival Freedom of the City dans les quels figurent aussi Pat Thomas en solo (édition 2001), le duo Evan Parker - John Russell (édition 2002) et durant lequel excellèrent David Leahy, John Edwards (avec Dunmall/ Bianco et en duo avec John Butcher), Alex Ward (avec Luke Barlow, mémorable) et Alison Blunt dirigeant le LIO…. Souvenirs impérissables … !

pow gamra Paed Conca Eugenio Sanna Patrizia Oliva Stefano Giust Setola di Maiale

Enregistré au festival Chilli Jazz / Limmitationesà la frontière austro-hongroise, ce remarquable quartet met en présence des personnalités tranchées avec des univers bien distincts qui tentent avec succès d’agencer leurs flux, leurs rêves, leurs singularités en créant des espaces, des moments d’écoute ou des vagues d’emportement. La guitare saturée et bruitiste du Pisan Eugenio Sannadose son énergie brute et électrocutée en respectant la balance du groupe. Ludique. En effet, il y a la voix amplifiée et entourée d’effets électroniques de Patrizia Oliva (loops, réverb) qui raconte des histoires, transforme des mots ou s’élève au dessus de la mêlée voix blanche ou vociférée. Paed Concatranssubstantie le souffle, la colonne d’air, les spirales, démultiplie les roulements accentués de guingois de Stefano Giust, un vrai batteur de free-music, ou musarde par dessus les ricochets  et les harmoniques. Le jeu détaillé, énergique et aéré de Giust attire l’écoute sans jamais envahir l’espace sonore et se fond parfois entièrement dans les strates respectives de ses camarades.  Deux longues pièces où la précipitation côtoie la méditation, où l’action déplace constamment les centres de gravités dans de belles métamorphoses sonores et poétiques etc... Chacun fait de la place à l’autre et tous œuvrent pour que chacun ait son mot à dire avec de multiples niveaux d’énergie, de cohésion ou de charivari assumé. La dynamique de jeu convainc bien au-delà des imprécisions de la prise de sons. Un bon point à chacun et kudos pour ce quartet atypique.

Stefan Keune & Paul Lovens - Philipp Wachsmann & Lawrence Casserley - Sandy Ewen - Jean-Brice Godet Quartet - Casserley Gianni Mimmo & Martin Mayes

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Live 2013 Paul Lovens & Stefan Keune FMR CD407 – 0116




On connaît trop peu le saxophoniste Stefan Keune(sopranino, alto, ténor, baryton), un véritable original de la free-music qu’on a entendu souvent avec John Russell. Le voici dans un superbe face-à-face avec un des amis de toujours du guitariste (JR), le légendaire percussionniste Paul Lovens, sa cravate, ses selected and unselected drums and cymbals et sa frappe inimitable. Il y a très longtemps que Lovens n’initie plus aucun disque lui-même si ce n’est ceux que ses partenaires tentent de publier à gauche et à droite. Enregistré à Bruxelles par un véritable expert, Michaël W Huon, le premier morceau (29’49'') se caractérise par une belle énergie et une prise de son détaillée au niveau de la frappe des cymbales. Comme il s’agit de Paul Lovens, ce qui semble un détail fait de Live in 2013, un document de première main. Le deuxième acte (31’37’’) a été enregistré à Munich et est un merveilleux pendant de la première manche. Il ne faut pas prendre Stefan Keune pour un faire valoir, il s’agit d’un souffleur de premier plan dans son domaine : il se distingue immédiatement dès les premières notes du tout venant du free-jazz. Sa manière très personnelle de faire éclater les notes, d’imploser la colonne d’air, d’étirer et de comprimer les sons avec une articulation folle, héritée des avancées d’Evan Parker et du Trevor Watts sopraniste des premières années 70 est vraiment unique, tel Butcher ou Gustafsson pour prendre des exemples connus. La conjonction des univers du souffleur et du batteur fonctionne à plein. Le percussionniste prouve encore que son imagination est intacte et que son jeu fourmille de détails imprévisibles. Paul Lovens peut se faire épuré en limitant son jeu à une action singulière ou à des frappes éparses suggestives d'un ordre musical né du désordre. Ce à quoi répondent les morsures et contorsions de l'anche de Keune.  La pochette est ornée d’un dessin stylisé des deux musiciens par Kris Vanderstraeten, lui-même un percussionniste unique en son genre. FMR s'affirme comme un des labels essentiels des musiques improvisées tous terrains confondus...

Garuda  Philipp Wachsmann – Lawrence Casserley Bead Records

Voici mes notes publiées dans la pochette de cet enregistrement remarquable et somme toute assez rare.
En sanskrit, Garudasignifie l’aigle et se définit comme un homme oiseau fabuleux dans la religion hindouiste. Rien d’étonnant qu’après un premier morceau marqué par la griffe sonore insigne du violoniste Philipp Wachsmann, la musique s’élance insensiblement et vole dans l’espace, lequel est abordé sous des facettes différentes, vu chaque fois sous un angle et dans des dimensions différentes, par des incessantes mutations. L’électronique sensible de Lawrence Casserleyprolonge, capte et transforme les sons du violon quand celui-ci adopte un atteggiamento insaisissable vis-à-vis des sons de son partenaire. Le violon lui-même s’est entouré des faisceaux lumineux d’une préparation électronique subtile, laquelle commente ses zig-zags avec flegme et sobriété. D’une note répétée en staccato, par un grattement de corde, un frottement quasi-éthéré ou  quelques pizzicati élastiques, Wachsmann suggère une histoire, une pensée, un sentiment inconnus dans le flux parfois diaphane, dense ou volatile du live-signal-processing de Casserley.  Il y a une pièce où le violoniste joue avec lui–même, je crois et d’autres où son action semble un fétu de paille charrié par le fleuve électro-acoustique. L’idée de virtuosité est abandonnée au profit des gestes du corps inscrits dans le son ou d’une digitalisation de l’émotion. Casserley réduit un moment son action à un détail ou métamorphose un rien dans des percussions inouïes. Une évocation sérielle s’échappe dans un nuage fuyant le vent d’ouest, une mélodie s’ébauche dans un soleil finissant. On ne saurait traquer les champs esthétiques ou décrire le style de ces deux musiciens : ils sont en éveil et nous posent autant de questions que notre imagination est capable de percevoir et d’admettre.  Vouloir retracer et évaluer leurs intentions équivaut à se perdre dans un labyrinthe. On oublie de faire des comptes et on écoute. L’agitation est vaine : s’arrêter conjure ici le sur place. Une intense simplicité dans une extrême complexité, l’esprit de sérieux évacué pour des jeux apparemment simples rivés sur l’infini. Mais sans solution de continuité. Un chantier, une expérience de l’instant plutôt qu’une œuvre.

Sandy Ewen TributariesChiastic Society  >X<  5  2016


Découverte assez récemment avec le contrebassiste Damon Smith dans quelques enregistrements significatifs, Sandy Ewen délivre ici une excellente démonstration  de ses talents à la guitare préparée, trafiquée, objétisée... Chacune des six pièces se focalise sur un champ d’action ou une direction bien déterminé qui se distingue clairement des autres par l’ambiance, la dynamique, les textures et les couleurs tout en constituant  côte à côte un ensemble homogène. Dans la ligne des Keith Rowe et du Fred Frith solo 1980 (etc…) , Sandy Ewen crée une œuvre forte, abrasive, électrogène, bruitiste sans générer le moindre ennui, que du contraire. Elle sollicite les ressources sonores de son instrument en utilisant – on le devine – des objets susceptibles de gratter, frotter, percuter, faire vibrer les cordes ainsi que la surface de plusieurs éléments de la guitare. Sa démarche fait parler l’instrument en soi et son processus d’amplification électrique comme si ceux-ci étaient réduits à l’état de nature, ensauvagés, loin de toute structuration de type mélodique et harmonique, mais avec un souci de faire évoluer l’idée de départ dans le sens de la construction et des détails. Un radicalisme de bon aloi avec une certaine retenue. La qualité sonore et la dynamique de ces enregistrements et la sensibilité d’Ewen font que je réécoute à l’envi  et avec un peu plus de plaisir. Ses œuvres graphiques abstraites,  colorées et translucides (trois sur la pochette) expriment ses préoccupations musicales : chaque image partage le même univers en transposant un matériau similaire dans des formes renouvelées. Un excellent travail qui mérite largement d’être découvert in vivo !

Jean – Brice Godet Quartet Mujô FOU Records FR-CD 16



Clarinette et clarinette basse pour Jean – Brice Godet, sax alto pour Michaël Attias, contrebasse pour Pascal Niggenkemperbatterie pour Carlo Costa. FOU records, administré et animé par un vrai FOU des musiques improvisées, Jean Marc Foussat, a publié déjà de belles surprises dans des registres variés. Ce quartet dirigé par Jean-Brice Godet et enregistré à Brooklyn pourrait être qualifié de (jazz) West Coast contemporain, la nostalgie en moins et avec des modes originaux .  Les sept compositions sont de Godet. Takanakuy (Dance Danse Tanz) révèle un swing sautillant où excelle le sens mélodique et le timbre de la clarinette basse. Les titres Ballade suspendue, Eloge de la chute suggèrent  les idées musicales développées par le quartet. On trouve pêle-mêle un thème giuffrien joués à l’unisson (Werde Ich), quelques errances free fugaces, des beaux développements du rythme, une réelle entente et une écriture soignée vecteur d’une belle sensibilité (sans tarabiscotages). Il se paient le luxe de faire dériver la construction d’un thème vers le son libéré en conservant l’esprit de la composition. Mujô est un moment sensible introduit très librement avant le superbe thème  dodécaphonique joué avec la plus belle connivence sur une rythmique binaire et dont on remarquera les improvisations logiquement subtiles des souffleurs. C’est un disque de jazz (free ??) comme on les aime. Bertrand Gastaut a publié récemment un magnifique John Carter – Bobby Bradford sur son label Dark Tree, NO Uturn. Voici un bel enregistrement qu’on écoutera à la file après ce dernier piur se détendre avec délectation.

Granularities Scenes of TrialogueLawrence Casserley Martin Mayes Gianni Mimmo Amirani.
Durant l’année qui précéda cet enregistrement intriguant (2010, c’est déjà loin), Lawrence Casserley réalisait la complexe mise au point de la granularité de son système de Live Signal Processing, un impressionnant conglomérat de plusieurs logiciels  qui lui permettent de travailler en temps réel le son direct d’un improvisateur instrumentiste ou même plusieurs en le transformant spontanément. Partagé entre les volutes pointues et lyriques de Gianni Mimmo, un spécialiste remarquable du sax soprano, et les difractions de la colonne d’air du cor de Martin Mayes, Casserley crée en temps réel des correspondances et des extrapolations digitales avec leurs souffles conjugués ou alternés. Il manie aussi des instruments de percussions dont un gong, des cymbales et effleure une sanza dans le Final. L’album présente une suite équilibrée de différentes occurrences sonores, témoignage du potentiel musical et formel de ce trio atypique. Décrites comme des Scènes d’un Trialogue, elles le sont effectivement tant la signification du néologisme trialogue rend effectivement les interactions en présence qui se résolvent dans chacun des neufs actes et entractes de cette mise en scène des sons du collectif. J’ai le sentiment que cette description formelle du découpage de la musique jouée en référence à une pièce de théâtre, comme elle est indiquée dans la pochette, est le fait du saxophoniste transalpin, celui-ci affectionnant de verbaliser poétiquement ses émotions et ses impressions créatrices. On imagine les deux British moins exégétiques et explicites. Cela dit, cela n’enlève rien à la créativité et à la singularité des échanges improvisés lesquels évitent la technicité instrumentale voyante pour aller à l’essentiel dans un temps suspendu, flottant soulevé par les permutations électro-acoustiques.
Si Gianni Mimmo aime à confronter sa pratique avec des artistes différents (Gianni Lenoci, Harri Sjöström, Hannah Marshall & Nicolà Guazzaloca, Daniel Levin, Alison Blunt) avec un réel succès sans se départir de sa manière personnelle, Lawrence Casserley affirme au fil de ses enregistrements une capacité peu ordinaire à reconsidérer les paramètres dynamiques de son processing et ses modes de jeux face à de nouveaux comparses concrétisant ainsi que l’improvisation est bien l’art de la surprise. Quant au joueur de french hornMartin Mayes, un membre de la première communauté improvisée londonienne durant les seventies et établi en Italie depuis des décennies, je n’ai malheureusement pas assez de références pour dire autre chose que c’est un musicien fort intéressant si j’en juge son travail ici-même et l’album solo Unique Horn publié par Random Acoustics il y a pas mal d’années. Donc un message à découvrir ! 
  

Ivo Perelman & Joe Morris - Burton Greene & Silke Röllig - Tusquès Oki Parle Juanpera - Tournesol - Gianni Mimmo & Garrison Fewell -

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Blue Ivo Perelman Joe Morris Leo Records CD LR 734


S’il y a bien un label dédié aux musiques improvisées qu’aucun amateur n’arrive à suivre à la trace (on est ici au n° 734 !),   c’est bien Leo Records. Toutefois, il y a maintenant un artiste du label dont je me voudrais de manquer l’écoute de ses (nombreux) nouveaux albums, c’est bien Ivo Perelman ! Tant attendu par les Perelmaniaques (sorry, mais on sait qu’il y a aussi les Brötzmanniaques, les Braxtophages, les Zornophiles ou les Gustafssoniques …) , le duo avec le saxophoniste brésilien et le guitariste Joe Morris, lui-même aussi contrebassiste dans plusieurs de ses opus récents en quartet dont le magnifique Breaking Point avec le violon alto de Matt Maneri (CD LR 753). Matt, Joe et Ivo avaient d’ailleurs produit une pépite en trio alto guitare et sax ténor : Counterpoint LR 730. C’est dire si ce présent enregistrement complète la galerie perelmanienne. On peut trouver que Leo a tendance à sur-documenter certains artistes et qu’une partie de leurs productions sont redondantes, dans le cas d’Ivo Perelman, une large partie de son catalogue Leo s’inscrit judicieusement au-delà de la documentation exhaustive. En effet, l’intérêt profond pour les différentes configurations instrumentales autour du saxophone ténor d’Ivo, du piano de Matt Shipp, de l’alto de Matt Maneri, de la guitare de Joe, des contrebasses de Michael Bisio et de Joe (again !) et des percussions de Gerald Cleaver et de Whit Dickey se marie providentiellement avec un plaisir d’écoute à la fois intense et profond. C’est rare. Sommairement, on dira que le saxophone de Perelman marie les caractéristiques lyriques de deux légendes du saxophone ténor qui incarnaient deux voies antagonistes dans le jazz des sixties : Archie Shepp et Stan Getz. Ivo fait chanter le registre très aigu du ténor grâce à une maîtrise miraculeuse des harmoniques. Mais croyez bien que Joe Morris n’est pas en reste : jouant uniquement de la guitare acoustique (modèle folk ?) dans des registres qui tutoient le comping du jazz moderne, croisent des harmonies contemporaines savantes ou juxtaposent de grands écarts un peu comme le faisait Derek Bailey. La qualité de son jeu est l’écrin parfait pour les créations mélodiques instantanées du souffleur, un véritable chanteur de haut vol du saxophone. On y retrouve la tradition sublimée par des extrapolations infinies. Que voulez-vous encore que je vous serve là : ses sons aussi sont de Lion !! Un saxophoniste ténor à suivre autant qu'Evan Parker et Paul Dunmall !

Space is still the Place Burton Greene & Silke Röllig improvising beings IB 59

Connu comme un vieux sou dans la free-jazzosphère depuis l’époque héroïque où Albert Ayler et Sunny Murray renversaient toutes les conventions musicales, le pianiste Burton Greene a toujours incarné une vision émancipée et syncrétique du jazz à l’instar d’artistes aussi singuliers et différents que Sun Ra, Paul Bley ou un Ran Blake. C’est d’ailleurs au fabuleux duo de Ran Blake et Jeanne Lee qu’on songe à l’écoute de ce superbe disque en duo avec la chanteuse Silke Röllig. Les notes de pochette relatent qu’elle eut sa révélation musicale du jazz (son premier concert) lors d’un gig du pianiste en 1987 et qu’ils collaborent depuis 2004. Une coïncidence patronymique qui mérite d’être relevée : l’artiste graphique de la première série européenne d’albums dédié au free-jazz sur le label Fontana Philips vers 1964 1965 s’appelait Marte Röllig. Cette artiste illustra des albums de Dollar Brand, Paul Bley, Cecil Taylor, Archie Shepp et John Tchicaï en quartet et dans le NY Contemporary Five, Ted Curson, NY Art Quartet (Tchicaï Rudd Workman Graves) et Marion Brown. Le groupe seminal de Burton Greene , Free Form Improvisational Ensemble avec Alan Silva méritait largement de figurer dans cette série initiatique. Par la suite, Burton fut un habitué des labels européens comme BYG, Futura, Hat Hut, Horo, Circle et Musica. Son parcours musical atypique et les différentes sources de sa musique font de lui un musicien un peu trop curieux pour les critiques, visiblement à l’écart des mouvements importants. Il défraya la chronique quand le critique Leroi Jones dénigra sa personnalité et sa pratique musicale de manière injustifiée dans le magazine Down Beat et je pense que cette incartade a dû avoir à l’époque des conséquences négatives sur sa carrière, car cette histoire fut reprise en boucle par des artistes notoires. Bref, un artiste méconnu du jazz authentique qui nous livre ici un bon moment en servant avec beaucoup de talent et de sincérité les compositions et les textes de cette chanteuse à la voix singulière et aux idées musicales originales. Sa voix d’alto me touche au niveau de l’émotion même si cela babille du côté de l’enfance avec la légèreté requise, fort heureusement. L’écoute du disque est profondément agréable autant parce qu’ils vont tous deux droit à l’essentiel et qu’il y a autant d’âme que leur musique est dénuée de prétention. La connivence fonctionne à travers l’entièreté du programme (13 compositions originales) créant une unité de ton dans la sensibilité et le jeu collectif, difficile à atteindre si les deux artistes ne s'engagent pas totalement dans le projet. Le jeu de Burton Greene est une merveille de swing et emprunte à des sources plus originales, nettement plus nature que le sempiternel billevansisme consensuel… angularités, dissonances, polymodalité, constructions audacieuses, bagage musical transversal, vivacité du blues... on songe à ces pianistes qui ont ouvert des portes : Mal Waldron, Jaki Byard, Andrew Hill, Paul Bley, Ran Blake. Comme eux, Burton Greene est un original incontournable et sa contribution magnifie le chant et la musique de Silke Röllig en démontrant quel véritable improvisateur il peut être. Son jeu percussif – rythmique sur différentes parties dans le dernier morceau, Syl and the Arshayic People, mérite de figurer dans une anthologie Moi je vote pour ! La politique d’Improvising Beings est de vouloir conférer un air d’éternité à des improvisateurs que le « marché » a mis sur des voies de garage et cela dans une vision transversale en ce qui concerne les styles et les domaines musicaux. Avec Space is Still the Place, son producteur, Julien Palomo et les deux artistes font vraiment œuvre utile ! Admirable.
PS : Oeuvre d'Aurélie Gerlach pour le recto de la pochette.

Le Chant du Jubjub François Tusquès Itaru Oki Claude Parle et Isabel Juanpera improvising beings IB 43

 Une belle réunion d’inclassables et, pour une  très rare occasion, une participation éloquente de l’accordéoniste Claude Parle, un pilier de l’improvisation et de la musique expérimentale à Paris depuis un demi-siècle quasi jamais documenté. Isabel Juanpera dit ou chante quelques textes au milieu des souffleries du trompettiste Itaru Okiet de l’accordéon de Parle que structurent la logique imparable et ludique du pianiste François Tusquès, même avec trois doigts. Tout est possible, le morceau d’ouverture évalue la multiplicité des repères du blues. Isabel dit Essayez tout ce que vous ne savez pas et on entend ensuite Claude Parle tenter des broderies dégingandées sur la trame paisible posée par le pianiste dans un dialogue tangentiel créé dans l’instant qui s’avance à pas compté vers une atmosphère lourde et sombre, enlevée par les tourbillons à vingt doigts. On évoque le Paris du jazz (free), il y a un demi siècle : Madame Ricard, Don Cherry Bue, Au Chat qui Pêche, en soulignant l’inspiration rebelle et nomade des instants inoubliables vécus par Tusquès et Parle. Je vous informe que Claude Parle avait joué en avril 1971 avec le trio de Don Cherry avec Johny Dyani (quasiment le même jour que celui de l’enregistrement du disque Orient – Eagle Eye & Togetherness) et que Tusquès fut parmi les jeunes musiciens parisiens qui jouèrent avec Don (JF Jenny Clark, A Romano, H Texier Jacques Thollot) vers 65-66. Quant à Itaru Oki, il est un pur représentant de cette ouverture sur l’universel dont Cherry fut l’initiateur… Et son rapport à l’instrument (pavillon improbable) est unique en son genre. Il faut entendre les convergences et l’écoute entre Oki et Parle au fil des morceaux parmi les notes choisies avec soin par Tusquès et ses variations subtiles des éléments thématiques de chaque pièce. C’est un beau moment de partage de la musique entre trois personnalités fortes, contrastées et qui se bonifie au fur et à mesure du déroulement du concert. Les interventions parlées de Juanpera, outre leur charme un rien désuet ont le bonheur de relativiser les élans d’Oki et Parle et recadrent la concentration. On notera les échappées du trompettiste qui se meurent dans le silence et son solo du Final Nostalgique introduisant les dernières mesures de Tusquès dans un blues bien senti qui me rappelle que je remettrai volontiers son L’Étang Change sur la hi-fi pour terminer la soirée (album solo IB de FT). Un beau concert à l’Ackenbush, lieu incontournable à Paris.
PS Création graphique remarquable pour la pochette ! 

Tournesol  Julien Desprez Julien Loutellier Benjamin Duboc Dark Tree



Autre concert à l’Ackenbush : Tournesol  dont le dessin stylisé or sur fond noir de la pochette symbolise l’irisation des frottements et drones de ce trio guitare contrebasse et percussions. Une demi-heure de soft noise et de ramifications vibratoires où l’action de chaque improvisateur s’interpénètre dans celles des autres au point où l’on ne distingue pratiquement plus qui fait quoi. Les agrégats de timbres évoluent très lentement au fil des minutes sans que l’intensité ne flanche d’un iota ou n’enfle. Un chaos concerté porté par l’écoute mutuelle. Dark Tree nous avait gratifié de l’excellent Sens Radiants du trio Lazro Duboc Lasserre et il est intéressant d’écouter les deux albums à la file pour goûter mieux leurs univers respectifs dans une même perspective. Cette démarche bruitiste – drones nécessite  chez les musiciens un sens de la dynamique, une concentration et une sensibilité qu’il est malaisé de communiquer à l’auditoire avec la conviction de Desprez Duboc et Loutellier. Une question de dosage, de précision dans le traitement des sons qu’il faut sublimer vers une réel état de transe, palpable dans les instants qui se succèdent au fil des trente quatre minutes de Pour – Que  -  La nuit – S’ouvre. Une belle expérience sonore !!

Flawless Dust  Garrison Fewell Gianni Mimmo Longsong Records LSRDC 138


Enregistré en 2014 au dEN studio à Novara, Flawless Dust  illustreavec bonheur la musique du guitariste Garrison Fewell avant sa disparition subite l’année dernière. En compagnie du saxophoniste soprano italien Gianni Mimmo, un exégète de la cause lacyenne, il tisse un réseau d’accords, d’intervalles, de dissonances fugaces en en calibrant les variations comme un véritable orfèvre. Un jeu racé à la six cordes électrique  qui se contente d’être légèrement amplifiée tant  s’exhale de son toucher sensible autant de musicalité que par son choix instantané et minutieux de chacune de ses notes. On dira même que la qualité de son toucher est au centre de sa musique Le souffle de Mimmo rappelle inévitablement celui de son maître, Steve Lacy, même s’il cultive une véritable personnalité au travers de cet héritage comme le prouve amplement cet enregistrement. Sans doute, un de ses enregistrements les plus significatifs : il s’y laisse aller dans la vibration du son. Les neuf pièces improvisées parsèment leur poésie au travers des idées musicales développées avec soin. A noter une subtile préparation de la guitare dans A Floating Caravan. Aucune précipitation, on prend le temps de jouer : la musique respire et il faut attendre Other Chat ou Grainy Fabric , les deux derniers morceaux pour que la voix du saxophoniste devienne tranchante et son débit empressé. Donc il s’agit pour moi d’un excellent album réalisé par des improvisateurs solides, sensibles et très expérimentés. A écouter en soirée au bord de la terrasse ou au coin du feu selon les saisons pour se relaxer sans se poser de question existentielle sur la motivation artistique : quand on tient de tels musiciens à portée de lecteur CD, il ne nous reste plus qu’à se laisser porter par la musique tout en flottements apaisés. Si je n’avais pas autant d’enregistrements sur ma table d’écoute, je les remettrai quelques soirs de suite. Dehors, le soleil s’enfonce en rougeoyant dans la brume…

Lauri Hyvärinen & Daniel Thompson - Aghe Clope - Ivo Perelman & Matt Shipp - Ivo Perelman & Karl Berger

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Lauri Hyvärinen / Daniel Thompson London (East then South)
inexhaustible editions ie-003


Laszlo Juhasz, un activiste incontournable de la scène improvisée 
contemporaine en Hongrie et Slovénie,  présente exclusivement des
duos frais et inédits publiés à 100 exemplaires sur son label
inexhaustible editions , « a tiny bedroom label for electroacoustic
improvisation, modern composition and other strange and beautiful
sounds in between..».
La rencontre réussie de deux jeunes guitaristes, l’un finlandais,
Lauri Hyvärinen et l’autre britannique, Daniel Thompson est
sûrement une fleur à son chapeau. Enregistrée à Londres dans deux
lieux ouverts depuis quelques années, Hundred Years  Gallery, une
galerie d’art à Dalston Hackney (East) et I’Klectic à Lambeth dans
Paradise Yard, un espace jardin bio qui accueille des habitations en
bois et des ateliers dans un parc (South), tous deux programmant
de nombreux concerts. Lieux actuellement incontournables, sans doute même plus que les fameux Café Oto ou le Vortex car il y a une plus grande « bio-diversité » au niveau des artistes invités et des formes musicales présentées. Au Vortex, c’est principalement la série mensuelle Mopomoso de John Russell qui assure vraiment cette programmation ouverte aussi à des musiciens inconnus à la notoriété zéro. Qui a jamais entendu parler du guitariste finlandais Lauri Hyvärinen ? En tant qu’ improvisateur et initiateur de concerts, Daniel Thompson incarne très bien cette génération fraîchement trentenaire qui porte un vent de fraîcheur tout en s’inscrivant dans la continuité des prédécesseurs. Ce duo de six cordes entièrement acoustique met en exergue les sonorités qu’une guitare à cordes métalliques recèle si on en explore ses secrets : spécificités mécaniques, harmoniques produites en stoppant la vibration de la corde,  résonnances inédites, intervalles dissonants ou extrêmes, configurations de doigtés et de touchers improbables, combinaisons de plusieurs de ces actions etc… Ceux-ci en se combinant dans le face-à-face émulatif de ce duo occasionnent des trouvailles inouïes, même pour qui a entendu plusieurs / nombre de concerts (solo) de Derek Bailey ou John Russell. On se rappelle la rencontre John Russell – Pascal Marzan basée à la fois par sur un territoire commun, une complémentarité / contraste entre cordes métalliques et nylon guitare, guitares jazz acoustique et espagnole classique (Translations Emanem 5019). Chez Thompson et Hyvärinen, l’instrument est identique et leurs langages sont étonnamment proches au point qu’il est quasi impossible de les distinguer  à l’écoute. Il en résulte paradoxalement une singulière extension des registres de la guitare traitée de cette manière, les sons de l’un se combinant avec ceux de l’autre de manière peu prévisible. Leurs flux respectifs se complètent, se dissocient, s’imbriquent, font le grand écart, se poursuivent et rebondissent, parfois sans qu’on devine quelle guitare ou lequel des deux guitaristes est à l’œuvre. Se crée l’impression que leurs trames respectives se réfléchissent dans un miroir déformant. Question sonorité (abrupte !) on pense au Derek Bailey acoustique et comme ce musicien nous a quitté il y dix ans, ceux qui veulent écouter ce son de guitare, voilà l’occasion rêvée. Durant les deux longues improvisations, Hackney (26’) et Lambeth (32’), ils nous gratifient d’un panorama étonnant de congruences dynamiques, d’atmosphères résonnantes, d’arrachages de cordes démentielles, de moments sonores imprévisibles, d’introspection d’harmoniques, d’interactions fulgurantes. Point n’est besoin d’amplification, de pédales et d’effets pour métamorphoser la guitare ! Voilà un album singulier qui ravira les amateurs du tout acoustique. Londonécrit un chapitre important de la Saga acoustique Derek Bailey, John Russell, David Stackenäs et cie peuplé de sons qu’il est impossible à trouver hors du processus / élan organique de l’improvisation libre sans entrave ! Qualité supérieure, donc, et un des meilleurs albums que j’ai entendus ces dernières années.

Aghe ClopeBlind Mind  Paolo Pascolo Andrea Gulli Giorgio Pacoring Stefano Giust Setola di Maiale 2940 / dopialabel 011

Ce n’est pas leur premier album et cela s’entend, Aghe Clope est un groupe homogène et original qui partage la scène depuis de nombreuses années : Andrea Gulli laptop, tapes, analog synthetizer, Paolo Pascolo , flutes & alto saxophone, Giogio Pacorigfender rhodes, korg ms20, devices et Stefano Giust percussion cymbals , objects. Enregistré live en Slovénie à Maribor et au  Brda Contemporary Music Festival en septembre 2013 à l’exception du premier court morceau au RE : Trax  Complete Communion TRAxART Incursioni Sonoreà Bertiolo, cette musique d’improvisation libre est connectée/ connotée post-rock – électronique – glitch ludique. J’apprécie particulièrement l’empathie entre les claviers de Pacorig et l’électronique de Andrea Gulli, ces deux-là créent un univers sonore tour à tour coloré, interactif, éthéré, parfois brut et même pointu au niveau des textures. Paolo Pascolo n’a aucun mal à insérer ses notes tenues ou ses pépiements et l’inventivité de Stefano Giust, en grattant, ferraillant ou rebondissant crée un relief plein de détails / une activité percussive qui complète les sons de l’ensemble à très bon escient.  Les quatre musiciens s’écoutent admirablement tout en privilégiant une diversité/ discontinuité d’intentions et de stratégies. Valse hésitante, questions sans réponses, atmosphère mystérieuse, sons intercalés, juxtaposés, coq à l’âne, planures ou heurts intempestifs. Une série de procédés de jeux et un esprit propre à ces Aghe Clope fait qu’il me semble bien n’avoir rien entendu de semblable. On a plaisir à écouter l’ensemble sans devoir se poser la question des contributions individuelles tant le tout est cohérent tout en travaillant sur le disparate, l’éphémère, le transitoire. Un bon nombre d’auditeurs sensibles  à ces sonorités électriques et ce genre d’univers y trouveront leur compte  et gageons qu’ils vont être gagnés par la cohésion de leur démarche librement improvisée. Car c’est le point fort du groupe !


Corpo Ivo Perelman & Matt Shipp Leo records CD LR 755


Comme on peut le voir sur photo de pochette sépia où apparaissent nos deux duettistes torses nus, Corpo c’est la musique nue. Le souffle sensible d’Ivo Perelman puissant, vocalisé et introspectif trouve une attention toute particulière dans le jeu de son partenaire pianiste, Matthew Shipp , musicien qui tout comme son collègue Veryan Weston, échappe aux classifications.  Faisant suite à Callaset Complementary Colors, leurs précédents albums en duo et tout comme ceux-ci, Corpoest l’incarnation d’un phénomène : l’inspiration intuitive, sensible lyrique rejoint la logique, la volonté d’improviser sans faux semblant, une certaine pureté. Partant de zéro, le saxophoniste ténor Brésilien Ivo Perelman et le pianiste New Yorkais Matthew Shipp créent l’univers de chacune des 12 improvisations en inventant les tournures mélodiques, les accords, les doigtés dans l’instant. Pas de composition à proprement parler, mais des structures et un chant incomparable. Une constante chez le saxophoniste : un écartement particulier des intervalles « faussant » spécialement les notes, une divagation lyrique vers les notes hautes, une articulation anguleuse arquée sur le jeu puissant du pianiste. De ces sons les plus aigus, Perelman tire des couleurs qui virent par toutes les nuances du vermillon, du grenat, du rose, du fuschia, du pastel, des mauves (Complementary colors). Il contient la surpuissance expressive des grands saxophonistes afro-américains de la tradition, mais la concentre dans un registre intimiste où pointe le cri, la vocalisation. On croirait entendre un chanteur. L’énumération de jeux rythmiques neufs, d’échappées lunaires, de clair obscurs louvoyants, de bribes mélodiques ressassées, de questions - réponses, de variations improbables semble infinie. Le pianiste enrichit le langage du piano jazz en creusant des veines inconnues même si on croit entendre une voix familière. Graves sombres, toucher d’airain, jeu granitique au service du lyrisme brésilien. Rythmes impairs…Il manifeste une volonté d’épurer le propos, d’établir un équilibre et de le rompre pour repousser l’évidence. Une véritable relation organique qu’on a très rarement eu l’occasion d’entendre au fil des décennies improvisées. La tendresse, la passion, le rêve. Pour ceux qui ont (encore) peur du free- jazz, ils seront surpris de découvrir une musique plus sensible, plus émotionnelle, plus entièrement personnelle, intime que ce qu’on veut nous servir via les canaux conventionnels du jazz-business. Le sens du merveilleux.

The Hitchiker Karl Berger & Ivo Perelman Leo CD LR 754


Karl Berger fut un des premiers musiciens « free-jazz » en Europe et se fit un nom en 1965 en jouant du vibraphone avec Don Cherry, Gato Barbieri, JF Jenny Clark et Aldo Romano au légendaire Chat Qui Pêcheà Paris. Des enregistrements de ces concerts furent publiés par le label Durium en Italie sous le titre « Togetherness ». Indispensable Des cd’s ESP récents nous le font entendre toujours avec Cherry et Barbieri en compagnie du bassiste Bo Stief et de Romano au Jazz Montmartre de Copenhagen (Don Cherry Live at Café Montmartre Vol. 1, 2 & 3). Par la suite Karl Berger travailla intensivement avec Ed Blackwell, un des plus  fidèles compagnons d’Ornette et de Don Cherry. Ce n’est pas un hasard. Jouant essentiellement avec deux mailloches sans tenir compte des accords (Gary Burton et cie jouent avec quatre mailloches), le style personnel de Berger évoque plutôt le balafon africain et le gamelan indonésien que la tradition des Milt Jackson ou Lionel Hampton. Il fait grand usage de modes inspirés des musiques du monde à l’instar de Don Cherry. Quoi de plus naturel de le retrouver cinquante ans après la révolution du free-jazz avec le saxophoniste ténor Brésilien Ivo Perelman, qui lui-même évoque le saxophoniste argentin Leandro « Gato » Barbieri.
La musique sensuelle et sensible du duo Berger/ Perelman semble se déplacer sur un nuage, tant elle cultive la douceur, une sorte de lyrisme aérien et reste suspendue au dessus du temps. Le travail du timbre, la qualité du son, l’empathie totale des duettistes, le sentiment de Togetherness, contribuent à faire de cet album une merveille du jazz libre resté dans les limbes depuis l’époque héroïque. Le saxophoniste a un timbre d’une beauté sublime dans l’aigu. Avec les notes cristallines et mouvantes du vibraphone, on atteint une sorte de nirvana dans un registre épuré proche de la musique « de chambre ». Il y a ce passage où Perelman joue en solitaire du bec seul sans le saxophone et évoque à la fois le chat (Gato) et le canard et cela vaut son pesant de coco. Merveilleux !!



Americana par Gérard Herzhaft : un livre indispensable

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Un livre incontournable.

Americana . Histoire des musiques de l’Amérique du Nord. Gérard Herzhaft. Fayard.

Le titre de ce livre, « Americana» et le nom de Gérard Herzhaft, auteur d’un Guide de la Country Music et d’une Grande Encyclopédie du blues, feront évoquer pour un bon nombre d’entre vous les musiques proches des racines de plusieurs courants de la musique populaire américaine (folk, blues, bluegrass, gospel etc…) auxquels se rattachent des artistes comme Bob Dylan, Woody Guthrie, Robert Johnson, The Band, Doc Watson, la Carter Family, Dr John, Muddy Waters, Clifton Chénier, Blind Lemon Jefferson et le free folk d’aujourd’hui etc……….. Et donc, on pourrait avoir le sentiment de déjà connaître le sujet du livre. Et pour certains, un univers de plus en plus éloigné des préoccupations musicales contemporaines.
Mais  détrompez-vous !  Gérard Herzhaft s’est livré à une étude minutieuse de tous les apports ethniques, sociaux, et culturels qui ont formé l’extraordinaire variété des musiques qui se sont répandues en Amérique du Nord depuis sa colonisation. Dans l’appréciation du jazz et des musiques afro-américaines dans la presse musicale, il y a bien des idées reçues qui ne correspondent aucunement à la réalité et à l’histoire. Ce livre est particulièrement éclairant à cet égard et je vous fais part de quelques réflexions personnelles qui me sont venues à la lecture de ce livre passionnant.
De toute évidence, l’influence de la diaspora africaine est un trait dominant des musiques nord-américaines. Mais, vouloir lier quasi-exclusivement l’origine du blues chanté dans le mythique delta du Mississipi (*) à la musique des griots d’Afrique de l’Ouest est abusif. Les travaux d’un Samuel Charters pourraient le faire croire (cfr The Griots, Ministers of the Spoken Word. Recorded in West Africa by S. Charters Ethnic Folkways Records FE 4178 2LP 1975). C’est méconnaître l’influence prépondérante de la culture musicale des natifs, appelés Indiens d’Amérique. Regardez bien le visage de Charley Patton ou celui de Jelly Roll Morton : le sang indien coule dans leurs veines. Tout comme Jimi Hendrix, Don Cherry et Sunny Murray. Celui-ci est originaire d’une tribu indienne qui a accueilli, il y a bien longtemps, des noirs marrons qui refusaient la condition d’esclave. Les falsettos et les bruitages vocaux du blues primitif sont des traits caractéristiques de la musique vocale indienne, sans parler de l’irrépressible irrégularité rythmique qui est la marque du blues du Mississipi (Big Joe Williams et Sonny Boy Williamson II sont d’excellents exemples). Charley Patton, petit-fils de planteur blanc et à moitié indien, en est un des personnages centraux. Il a servi de modèle à toute une génération de Son House à Robert Johnson, Howlin Wolf et Muddy Waters. Quant à l’usage du bottleneck et de la guitare slide, il dérive de l’extrême popularité des guitaristes hawaïens des années 20 – 30. Et bien sûr, les ballades traditionnelles irlandaises et écossaises ! En effet, les émigrés d’Irlande et d’Ecosse connurent le même sort que les Africains : l’esclavage ! Les couplets des chanteurs de blues et la structure de leurs chants sont issus du moule traditionnel irlandais. Mais interviennent aussi des influences françaises (le quadrille) et pas seulement que dans la Louisiane francophone. On apprend aussi que le violon de la country nous vient d’Ukraine et ainsi de suite. Improjazz est dédié aux musiques d’improvisation et au jazz libéré (« avant – garde » …depuis bientôt cinquante ans ? !) et un bon nombre d’improvisateurs contemporains expriment volontiers que leur musique n’a plus rien à voir avec le jazz et les musiques afro-américaines. Sans doute, veulent-ils parler de l’image véhiculée dans les médias et de sa commercialisation, vitrine culturelle de la plus grande puissance mondiale. Mais il est incontestable que la pratique afro-américaine de musiques basées sur la création collective et instantanée par des individus libres, égaux et responsables a créé, entre autres, le courant le plus profond pour l’adoption de l’improvisation comme méthode de la création musicale. L’explosion musicale radicale de ces quarante années doit autant à un Lester Young qu’à un John Cage. Si on se réfère à une interview de Cage des années cinquante, celui-ci déclare que le jazz ne l’intéresse pas en raison de sa régularité rythmique. L’histoire lui donnera tort. L’évolution de l’écriture musicale contemporaine occidentale tend à se rapprocher d’une pratique  improvisée qui, elle, supprime les rôles hiérarchiques du compositeur, de l’interprète et du chef d’orchestre (sans parler des droits d’auteur), tend à chambouler les distinctions entre musique d’art et musiques populaires et à considérer chaque individu comme un créateur à part entière. Et c’est au départ du jazz radicalisé des années soixante – septante que nombre d’improvisateurs radicaux ont évolué.
J’ai déjà écrit que l’improvisation libre est la musique contemporaine issue des classes sociales défavorisées (cfr mon article sur Paul Hubweber). Quand on analyse la vision esthétique que les bluesmen des années 20 – 30 ont de leur art, ils le revendiquent comme l’expression éminemment personnelle d’une souffrance collective et par-dessus tout ils cultivent une volonté farouche d’originalité musicale individuelle, mettant sur un pied d’égalité un virtuose tel le Révérend Gary Davis et un « primitif » comme Fred Mc Dowell.  Leur point de vue est très différent de celui qui règne dans bien des musiques traditionnelles qui tendent à privilégier un modèle. On a bien établi des écoles régionales et une évolution historique, mais la réalité du blues et des musiques nord-américaines est nettement plus complexe, voire inextricable. On peut trouver là les prémices du « non-idiomatique » cher à Derek Bailey. Ici, nous avons à faire aux damnés de la terre et aux rebelles, aux nomades et aux poètes de la vie.
Succinctement, car le sujet est énorme et complexe, Gérard Herzhaft décrit et analyse les apports successifs et croisés des immigrations importantes et la spécificité du fonds autochtone « indien ». Colons britanniques « WASP » parmi lesquels les Quakers, esclaves Noirs d’Afrique, conquistadores espagnols (le Texas et la Californie furent mexicains), français au Canada et à la Nouvelle-Orléans, irlandais et écossais au statut d’esclaves, allemands, juifs d’Europe Orientale, italiens, polonais, ukrainiens, chinois, mexicains chicanos. Mais aussi gallois ou baltes ! On se souvient qu’un Charlie Mingus posa dans un déguisement chinois (pochette de Mingus Dynasty). Ce n’était pas de l’humour, Mingus (un nom de famille d’origine africaine) a réellement des ascendants chinois et revêtait sur scène les vêtements de tous les jours du travailleur. Il faut savoir que les travailleurs chinois et d’Extrême-Orient en général eurent à souffrir de la plus terrible des exploitations dans l’industrie minière où des dizaines de milliers d’individus perdirent la vie en raison de conditions de travail et de sécurité effroyables. Une véritable industrie du disque ethnique fleurit dès les années 10 / 20. Non seulement les fameux race records qui contribuent à la popularité et à la reconnaissance de la musique noire, mais aussi les musiques juives originaires d’Europe Centrale (la musique klezmer), les chanteurs ukrainiens, grecs ou  italiens, les musiques mexicaines. Dans le sillage des grands orchestres de cuivres (fanfares, brass bands etc…), des musiciens chinois jouent une musique hybride où se mélangent instruments chinois et européens sur des échelles musicales orientales. Si l’apport direct de la musique cubaine dans l’éclosion du jazz néo-orléanais est largement commenté, on méconnaît une réelle influence chinoise dans la musique des big-bands. Dans les films de Duke Ellington d’avant-guerre, on voit clairement les tambours chinois et les gongs de la batterie de Sonny Greer. Quand Louis Armstrong ironisait sur la musique « chinoise » du grand orchestre bebop de Dizzy Gillespie, il ne croyait pas si bien dire. Il y eut aussi des orchestres américano-coréens. Qui a écouté la musique « sinawi » ou l’opéra Pan’sori va se mettre à rêver. Bien sûr, les émigrés juifs et italiens disputent aux noirs et aux créoles la paternité du jazz. Joe Maneri a joué longtemps de la musique grecque contemporaine et parle dans ces interviews d’un clarinettiste d’origine grecque qui serait le Charlie Parker de la clarinette.
Vers le milieu des années 20, la plus grande influence  pour les guitaristes est Blind Blake, un Noir. Il excelle dans de nombreux styles (dont le ragtime), enregistre plusieurs dizaines de faces et popularise l’utilisation soliste de la guitare sur le même plan que le piano. Des créateurs légendaires comme Lonnie Johnson, Eddie Lang, Chet Atkins, Django Reinhardt et le Révérend Gary Davis sont directement ou indirectement ses héritiers. Vouloir confiner des artistes comme Blind Blake, Charley Patton ou l’aveugle Blind Willie Mc Tell (le songster préféré de Dylan) dans une musique « noire » et exclusivement blues est un leurre. Ces musiciens itinérants s’adressent indifféremment aux publics blancs ou noirs et chantaient pour ceux qui les payaient en puisant dans divers répertoires en fonction du goût du public. Ce sont avant tout des musiciens ! Par dessus-tout, une extraordinaire florescence de créativité musicale embrase l’Amérique du Nord mélangeant toutes les cultures. Vouloir limiter cette créativité musicale à la seule évolution du jazz depuis la Nouvelle Orléans jusqu’à Miles Davis et Coltrane est assez réducteur. La musique dite de cow-boy ou country recèle dans sa genèse une inventivité déconcertante. Qu’elle soit campagnarde ou urbaine. Outre son origine profondément populaire, elle est aussi l‘émanation des populations fraîchement immigrées européennes non WASP qui eurent à subir une ségrégation presque aussi violente que celle dont ont souffert les afro-américains ou les natifs. On y swingue autant que dans le jazz dit « swing » des années trente. Le jazz afro-américain a été reconnu par l’intelligentsia occidentale dès les années 20-30 et connut un réel succès populaire en Europe. Sans doute, un sentiment sincère de solidarité et de sollicitude face à l’intolérable souffrance créée par l’esclavagisme et le racisme n’y est pas étranger. Les intellectuels occidentaux ont sensiblement sous-estimé l’originalité et la vivacité des musiques populaires « blanches » avant qu’elles ne se fondent dans la culture de masse de l’Amérique des années cinquante. En redécouvrant ces musiques, on met à jour une autre réalité américaine, un monde plus humain. Americana nous permet d’entrevoir l’extrême complexité de leurs origines et de leurs créations et de dépasser le cliché folk attardé qui émane de ce terme. Ce gigantesque syncrétisme préfigure la sono mondiale contemporaine. C’est pourquoi ce livre est un outil indispensable pour la compréhension de la musique d’aujourd’hui et de sa pratique.

PS : J’avais soumis une chronique de ce livre à Improjazz peu après sa parution en 2006.  Elle semble avoir disparu, involontairement sans doute, dans le flux de textes livrés généreusement à la sagacité de notre ami Philippe Renaud par mes excellents confrères. Voici cet oubli réparé.

(*) Posez la question à bien des fans de jazz « qui swingue » et qui sont férus de « racines » : où se situe le Delta du Mississipi, celui du blues ? A l’embouchure du fleuve dans le golfe du Mexique ? Ou ailleurs ?
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TAI-NO Orchestra - Roberto Del Piano - Massimo Falascone - Pat Moonchy - Marco Colonna - Viva l'Italia

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TAI No-Orchestra vol. 1Filippo Monico - Massimo Falascone - Alberto Tacchini - Walter Prati - Mario Arcari - Claudio Lugo - Roberto Del Piano - Pat Moonchy - Stefano Bartolini - Riccardo Luppi - Eugenio Sanna - Silvia Bolognesi - Paolo Botti - Giancarlo Locatelli Tai Fest # 1 @ The Moonshine/ Milano 12-16/5/14
TAI No-Orchestra vol. 2Alessandra Novaga - Massimo Falascone - Paolo Botti - Mario Arcari - Giancarlo Locatelli - Silvia Bolognesi - Angelo Contini - Pat Moonchy - Edoardo Ricci - Roberto Masotti - Robin Neko - Gianluca LoPresti - Roberto Del Piano  Tai Fest # 2 @ The Moonshine/ Milano 12-16 mai 2014
Setola di Maiale SM 3000 & 3010















TAI pour Terra Australis Incognita, terme qui se réfère à l’Atlas Ellipticalis de John Cage, soit de nouvelles terres à explorer. No-Orchestrasans doute par ce qu’il s’agit d’un groupe à géométrie variable plutôt qu’un orchestre, variante italienne de la Company de Derek Bailey, célébrant l’acte d’improviser tout azimuth en interaction éventuelle avec la vidéo, la danse, des installations ou toute autre intervention visuelle, théâtrale, littéraire, le mouvement corporel etc. donc pas vraiment un orchestre. Fondé par le photographe Roberto Masotti, le bassiste électrique Roberto Del Pianoet le saxophoniste Massimo Falascone,le TAI-NO réunit des musiciens improvisateurs de toute l’Italie autour du noyau dur milanais actif dans l’improvisation et le jazz libre depuis les années 70 auxquels se sont greffés au fil des décennies des musiciens plus jeunes. Le bassiste Roberto Del Piano et le batteur Filippo Monico furent les inséparables piliers des groupes du pianiste Gaetano Liguori et du trompettiste Guido Mazzondès 1971. Roberto Masottiétait à cette époque un des deux ou trois photographes européens les plus impliqués dans les nouvelles musiques. Ses portraits de Braxton, Lacy, Bailey, Evan Parker etc…. firent le tour de la jazzosphère internationale. La chanteuse Pat Moonchy fait partie du clan familial Liguori  et était la muse du Moonshine, où furent réalisés ces enregistrements lors du TAI – NO Fest # 1. Ce lieu milanais providentiel est aujourd’hui fermé et fut sans doute l’endroit le plus propice qu’il m’a été donné de fréquenter. Massimo Falascone est un saxophoniste hors pair et le souffleur de référence de cette fratrie et avec quelques autres musiciens milanais dont ses camarades Del Piano, Monico, Masotti,  forment vraiment une véritable fraternité unie par la musique collective et animée par une curieuse bonne volonté. Le guitariste Eugenio Sannavient de Pise, le tromboniste Angelo Continide Piacenza, le saxophoniste Edoardo Ricci de Florence, tous étant des acteurs de premier plan dans leurs villes respectives. Aux vieux briscards milanais de la révolution free se sont joints des artistes nettement plus jeunes comme la chanteuse Pat Moonchy, la guitariste Alessandra Novaga,la contrebassisteSilvia Bolognesi ou l’artiste visuel Gianluca Lo Presti qui forme Impro WYSIWYGavec Masotti. Comme on le voit, avec trois filles impliquées, on jugera que les vieux tontons ne sont pas machos. Tout cela rend très sympathique ce collectif qui ne déclare pas son nom parce qu’il s’agit avant tout d’une fraternité agissante et ouverte.  L’électronicien Walter Prati y joue du violoncelle, l’hauboïste Mario Arcaridéballe son ocarina et son harmonica et le violoniste alto Paolo Botti gratte un banjo dans un curieux quartet avec Falascone au baryton. Aussi une Crackle Box Legacy lunatique en trio, sans doute en hommage à son inventeur, Michel Waiszwisz. D’une manière générale, on trouve des duos, trios et quartets atypiques avec un référentiel free – jazz (les sax sont en nombre) et une volonté affichée de chercher et d’explorer.  Plutôt que chercher à recruter les participants du projet TAI NO Festsur base de différents instruments en vue d’assurer la variété timbrale et sonore, on a visiblement fait appel aux collègues – amis sur base de l’estime réciproque et des relations de compagnonnage musical. C’est pourquoi on trouve sept souffleurs d’anche,  dont cinq saxophones (Falascone, Luppi, Lugo, Bartolini, Ricci), un clarinettiste basse, Giancarlo Locatelli,  et un hautboïste, Mario Arcari, face à une contrebasse, une basse électrique, une guitare électrique, un alto, un violoncelle, un trombone, une voix, un clavier électronique (Alberto Tacchini) et les percussions de Monico. Il résulte de ce déséquilibre vers les anches qu’il y a du saxophone quasiment dans tous les morceaux et cela crée une certaine récurrence sonore. Néanmoins, et cela dit, quand on écoute, on est frappé par le timbre et le son exceptionnel de Massimo Falascone au sax alto (duo final d’improWYSIWYG avec Del Piano) et l’atavisme free de l’inénarrable Edoardo Ricci. L’expression sensible, voire lyrique péninsulairey a plus cours que le radicalisme per se comme on le trouve dans les formes en France, Grande Bretagne ou en Allemagne. D’un point de vue social et relationnel et parmi leurs nombreuses qualités, il y a chez la plupart de ces artistes, un profond fair-play digne de la communauté londonienne et une absence de cet individualisme prononcé, caractéristique sous d’autres cieux, qui pourrait rendre ce genre de projet difficile à manœuvrer avec pas moins de vingt-deux participants. Quant à la basse électrique de Roberto Del Piano,si c’est bien un instrument honni dans la scène de l’improvisation, vous n’en voudriez pas d’autre après l’avoir entendu de visu. Avec un index et un majeur soudés à la main gauche lui interdisant l’usage de la contrebasse, RDP a inventé ses propres doigtés avec un jeu sur le manche sans frette qui n’appartient qu’à lui. Alessandra Novaga a une vision pointue de la guitare électrique avec un univers sonore très personnel. Roberto Masotti et Gianluca Lo Prestiprojettent des images abstraites, des vidéos - montages bruissantes avec lesquelles leurs camarades improvisent.  Quand vous aurez vu le subversif percussionniste Filippo Monico, jouer avec des fleurs et des objets en tout genre, étalant sa délirante brocante percussive et déconstruisant les gestes du batteur, vous aurez le sentiment de naviguer dans la nef des fous où beaucoup de choses sont possibles sans restriction (le batteur parfait pour jouer avec Hugh Metcalfe himself). A tout prendre, s’impose ici un réel plaisir, un goût de l’utopie, un espace de découverte. Depuis mai 2014, le TAI NO Fests’est renouvelé en 2015 et 2016 en avançant ses dates pour coïncider avec le festival ClockStopde Noci où je pus rencontrer cette année Falascone, Monico, Del Piano, Lo Presti, Masotti, Sanna, ainsi que Del Piano et Pat Moonchy l’année précédente.

PS : Dans une sphère musicale improvisée radicale où les valeurs humaines revendiquées s’expriment au travers de la musique collective dans une tentative d’incarnation utopique d’une société égalitaire et respectueuse (etc… référez vous à mon texte : ) et dans un pays où les relations interpersonnelles dans la vie publique peuvent atteindre un niveau de mauvaise foi et de vulgarité qui fait dire aux transalpins « C’est l’Italie ! », la qualité des relations et des affects de la très grande majorité des improvisateurs libres italiens qu’il m’a été donné de rencontrer me font dire qu’ils méritent largement que les afficionados s’y rendent. En effet, l’esprit fraternel et les sentiments d’amitié inconditionnelle des Milanais transpirent visiblement et transcendent la musique au point que cela frappe les sens. Quant au niveau musical, il est fort élevé.

Mon témoignage personnel.
Confronté moi-même au fait que trente-trois improvisateurs invités au festival ClockStopde Noci aient à se rencontrer musicalement dans une « jam-session » hors programme durant deux après-midi, soit durant plus de cinq heures trente, je me suis proposé pour coordonner la formation de chaque groupe selon les desiderata de chacun, leurs désirs, leurs connivences, en duos, trios, quartettes, etc... d’environ dix minutes. Soit un Company géant avec quelques uns du TAI-NO. Il y avait quatre électroniciens, trois plasticiens vidéastes, quatre femmes, un japonais, trois belges, quatre british dont un de Turin, un argentin de Vienne, une autrichienne flûtiste à bec, un français de Toscane, un suisse curieusement trilingue, des souffleurs virtuoses, une contrebasse pour deux, des gens qui ne se connaissent pas ou mal, trois batteurs, une basse électrique (RDP), une chanteuse américaine déjantée,les organisateurs sur les genoux, des jeunes, des vieux, des étrangers qui ne connaissent pas l’italien (que je pratique volontiers), des italiens du Nord et du Sud, certains ne parlant pas l’anglais, dont un romain, un pisan, un vénitien, un couple sarde, le contingent milanais, une bonne douzaine de musiciens locaux, plus deux ou trois qui s’ajoutent au casting dont le fils du légendaire Marco Cristofolini. Aussi, le matériel inopérant faute de câbles fit patienter les électroniciens et il fallut s’arranger l’arrivée tardive des clarinettistes. Sans parler de l’acoustique compliquée du lieu et la disparition momentanée de la contrebasse de location. Nous avons réussi à faire jouer sans interruption un peu plus de trente groupes, principalement des duos et trios, le plus souvent très réussis au dire de chacun, et un tutti d’une quinzaine qu’il me fut aisé de conduire avec l’assentiment général. Certains moments étaient sublimes, car les artistes purent conserver leur fraîcheur, leur écoute et leur ouverture dans une manifestation sans temps mort entre 11 h du matin et 11 heures du soir. Ayant moi-même organisé et coordonné plusieurs rencontres « inter-personnelles » de ce type, des festivals et de nombreux concerts, je n’y ai rencontré aucune difficulté à centraliser la volonté populaire et l’expression démocratique de tous. Chacun avait droit à demander au moins un groupe et des collègues pour jouer et j’ai fait l’effort de questionner les « timides ». Comme on le sait, certains improvisateurs sont plus demandés  que d’autres et certains ou certaines risquent d’être mis de côté…  et donc j’ai dû limiter la présence de l’un ou l’autre (beaucoup avait envie de se confronter avec le bassiste japonais en kimono traditionnel ou avec la pianiste) ou faire coïncider deux duos en un seul trio ou encore inviter moi-même deux musiciennes intimidées. Tout s’est déroulé comme sur des roulettes. Aucun râleur, pas la moindre manifestation d’ego, ni de négociation intempestive, aucun incident ou rigidité, que du bonheur, du plaisir de jouer et d’écoute, découvrir. J’ai participé à plusieurs rencontres internationales avec une quinzaine ou plus d’improvisateurs et cela ne se fait pas sans heurt, ni sans discussion ou préséance (dues à la sacro-sainte notoriété etc…), commentaires ou exégèses «my own cup of tea », sans oublier ceux qui doivent se sentir comme des intrus dans un réseau de relations bien établies entre les «pointures» et les commentaires péremptoires voire paternalistes de « professionnels ».  Vous imaginez les français rationnels et râleurs, les germaniques catégoriques, les prima donna, la cup of tea des uns et des autres et l’opportunisme qui a du mal à passer inaperçu, soit les travers de la condition humaine. L’inévitable casse-pied (sur une trentaine de personnalités) était aux abonnés absents. Rien de tout cela ici ! Un miracle et avec plus de trente peronnes ! Dois-je rappeler un mémorable Company organisé par Derek Bailey où deux musiciens en sont venus aux mains sur scène. Je pense donc que, pour une série de bonnes raisons dont celle décrite ci-avant, il faille sérieusement découvrir cette Italie souterraine multi-générationnelle de l’improvisation, celle des Marcello Magliocchi, Pat Moonchy, Massimo Falascone, Alessandra Novaga, Eugenio Sanna, Marco Colonna, Nicolà Guazzaloca, Stefano Giust, Roberto Del Piano, Edoardo Ricci, Edoardo Maraffa, Gianni Mimmo, Angelo Contini, Adriano Orrù, Silvia Corda, Luca Antonazzo, Guy-Frank Pellerin, Alessio Giuliani, Analisa Pascai Saiu, Martin Mayes. Il y a là-bas une masse de talents cachés et une musicalité spécifique qui mérite un détour prolongé.

Roberto Del Piano La Main Qui Cherche La Lumière Improvising beings IB-49 2cd
CD1 Roberto Del Piano electric bass/ Massimo Falascone alto and baritone saxophone, Ipad, crackle box, live electronics/ Pat Moonchy voice , TAI Machine/ Silvia Bolognesi double bass/ Roberto Masotti& Robin Neko crackle tracks 7&8 / Paolo Falasconeother hands on the double bass tracks 6&10
CD2 Roberto Del Piano electric bass/ Marco Colonna clarinet, alto clarinet & bass clarinet/ Massimo Falasconealto and baritone saxophones tracks 1,4,7/ Stefano Giust drums tracks 1,2,4,6,7.


Enregistré dans le légendaire studio Mu-Rec de Milan (ex-Barigozzi) par Paolo Falasconeles 26 octobre 2013 et le 14 janvier 2016, La main qui cherche la lumière est un état des lieux singulier des amours musicales du bassiste Roberto Del Piano avec et à travers ses meilleurs compagnons et compagnes faut-il écrire. Quoi de plus curieux qu’un album où un bassiste électrique (!) et une contrebassiste acoustique rencontrent une vocaliste éthérée et fragile et un saxophoniste exquis acquis à la fée électronique dans une tentative de mise en commun de leurs appétits musicaux qui se révèle aussi pure qu’hybride, sincère et insituable (CD1). Vous saviez déjà qu’il n’y a pas que Steve Swallow : Roberto Del Piano a un véritable pedigree en matière d’improvisation. Ce milanais à moitié suisse évoluait déjà très jeune dans la scène free-jazz et improvisation italienne des années 70 : bassiste des groupes du pianiste Gaetano Liguori et du trompettiste Guido Mazzon, il côtoya sur scène les regrettés Massimo Urbani (sax alto d’exception et jazzman italien n°1 des années 70/80) et Demetrio Stratos, le génial vocaliste qui initia l’improvisation vocale masculine. Les deux pontes de Jazzmag, Philippe Carles et Daniel Soutif considéraient les trio et quintet de  Liguori comme une des valeurs sûres de la scène italienne au même titre que Rava ou  Gaslini. A bord Roberto Del Piano ! Roberto joua quelque temps dans le groupe Area quand Urbani y soufflait et devint le comparse précieux de Massimo Falascone et d'Edoardo Ricci, deux soufflants peu communs. Il y eut ensuite d’excellents groupes comme le Jazz Quatter QuartetetMusimprop. A la demande d‘Improvising Beings, Roberto fit un deuxième enregistrement avec le superbe clarinettiste romain Marco Colonna, considéré aujourd’hui comme un des meilleurs improvisateurs de la péninsule. Se joignent à eux le saxophoniste Massimo Falascone et le batteur Stefano Giust sur plusieurs plages (CD2).
Dans le cd1, la voix de Pat Moonchy plane, tend des filets de voix aux notes hautes en léger glissando alors que les doigtés des deux bassistes s’écartent et se croisent. Le saxophone alto de Falascone (à la sonorité aussi somptueuse qu’un Art Pepper) suit et commente la vocalise éthérée et surréelle. Sur quelques pièces, son électronique ingénieuse et raffinée se répand, suspendue au-dessus des vibrations sinueuses des basses. Question basse électrique, Del Piano est un curieux oiseau : il aurait aimé pouvoir jouer de la contrebasse. Mais un handicap à la main gauche l’a contraint à la basse électrique pour laquelle il s’est inventé des doigtés et des positions  sur la touche sans frette collée sur le manche de sa Fender Jazz Bass. Mais il a invité une contrebassiste prometteuse, Silvia Bolognesi, elle aussi active dans la scène milanaise à le joindre, tout comme Massimo Falascone, son pote soufflant favori. Libres à chacun d’apporter les couleurs, les idées et les sons de leur univers personnels presqu’au gré de leur fantaisie,  sans se restreindre à un seul instrument ni se focaliser sur une champ délimité / voie  étroite qu’il faut développer avec intensité en étendant les possibilités au maximum des interactions entre deux ou trois mono-instrumentistes explorant le champ sonore en favorisant l’abstraction dans le sens donné dans les arts plastiques (Klee – Pollock). Cette dernière option est bien celle de nombreux improvisateurs britanniques et allemands qu’on regroupe sous le vocable musique improvisée libre non idiomatique. Dans la session de Roberto, le propos est d’intégrer plusieurs pratiques et attitudes qui tiennent à cœur à chacun et d’assumer les changements de perspective au fil des morceaux. Par exemple, qui croirait qu’il s’agit de la même personne qui joue du saxophone alto ou de l’électronique – brillante ? Falascone est non seulement un des tout meilleurs souffleurs de la péninsule, mais aussi un électronicien à suivre.  Bifurquant maintenant ma réflexion sur le contenu de la musique, j’ai découvert  son travail digital sur un ou deux morceaux où la fluidité et l’inventivité de cette électronique me fait dire qu’il pourrait bien être le parfait collègue improvisateur dans ce domaine « non-idiomatique radical».  Pat Moonchy tâte aussi de la TAI machinebruissante quand elle ne chante pas. En quartet, sa voix ajoutée au sax alto et aux ponctuations des basses évoquait le légendaire Spontaneous Music Ensemble avec Julie Tippets, Watts, Stevens et Herman qui se sont fait chahuter lors du premier grand rock stadium festival péninsulaire en 1971 (Palermo Pop Festival) et qu’on retrouve sur les albums Birds of a Feather, 123 Albert Ayler et dans la compile Frameworks (Emanem 4134).  Quant au « leader », on l’entend délivrer des instants mystérieux sous ses doigtés furtifs qui étonneront les auditeurs capables de visualiser les positions des mains des guitaristes sur le manche et raviront les autres par son élégance. A noter deux belles divagations aux crackle boxes (inventées par feu Michel Waiszwisz)  avec Roberto Masotti et l'acteur Robin Neko. Bref, dans ce qui n’est pas à proprement parler un patchwork mais plutôt un parcours insituable, il nous faut pour en saisir les moments de grâce tout autant travailler l'écoute que pour un disque de John Butcher . 
Si le quartet qui ouvre le CD 2, avec Falasconeau baryton, Colonna à la clarinette basse et Giust aux drums, évoque la brötzmania vandermarkisée par son énergie, la suite des opérations dans une veine plus intériorisée est guidée par le duo de notre compère bassiste avec cet exceptionnel improvisateur qu’est Marco Colonna avec la présence éclairante de la batterie et du sax alto sur quelques plages. Trois morceaux avec Giust et Falascone (1/4/7) en quartet et deux en trio avec le batteur la basse et le clarinettiste. D’abord, il faut souligner le travail remarquable, voire très original de Stefano Giust. Lorsque j’ai découvert ce batteur, il y a une dizaine d’années, je le trouvais un peu trop pesant et appuyé selon ma pratique personnelle de l’improvisation collective : si sur scène nous sommes tous égaux, il n’y a pas de raison que le percussionniste surjoue et impacte le champ sonore par la dureté de son attaque etc…  par rapport aux autres instruments ou la voix. C’est avec grand plaisir que je me suis délecté, Stefano ayant acquis cette finesse, cette ductilité rebondissante qui fait songer aux Barry Altschul et Andrew Cyrille de notre jeunesse. Bref le swing et la force dans la légèreté. Il a travaillé son instrument en jouant avec des musiciens exigeants (Thollem McDonas, Edoardo Marraffa) pour parfaire sa pratique. J’en suis vraiment heureux car Stefano Giust est un cas rare : il n’y a pas en Europe un autre improvisateur qui se consacre corps et âme à un label de disques aussi prolifique que le sien, Setola di Maiale. Des centaines d’albums, avec un nombre considérables d’artistes et un panel esthétique diversifié à souhait.  Bien sûr, les artistes en paient eux-mêmes les copies en cd’s ou cdr, mais au prix coûtant et de manière transparente. Setola leur propose un choix d’options inégalé au niveau du nombre de copies (de 50, 100, 150, etc… jusque 500) et des caractéristiques techniques. Stefano Giust, graphiste professionnel de haut vol, réalise tout le travail graphique des pochettes gratuitement, assure les envois lui-même et rectifie sur le champ les erreurs d’usine éventuelles avec une conscience professionnelle rare. Il s’adapte aux requêtes des artistes avec une patience d’ange en faisant tout lui-même. Vu le volume de ses publications (si j’ose écrire) et la quantité de travail que cela implique, Stefano Giustest sûrement l’improvisateur européen qui consacre le plus de son temps personnel aux autres musiciens, tout en maintenant  de front une activité professionnelle non musicale. Cela fait de lui une personnalité aussi incontournable que John Russell avec son Mopomoso, Eddie Prévost (Matchless) ou Evan Parker et tous ces musiciens qui gèrent des venues et sans qui cette scène improvisée n’existerait pas. C’est aussi par amitié pour son travail que Stefano avait été invité et ces cinq plages de La Main Qui Cherche La Lumièrenous le montrent sous son meilleur jour. Le déroulement de la musique traverse quelques zones d’ombres et des champs mystérieux, où l’inspiration lumineuse de Marco Colonna démontre son savoir-faire multiple, et on découvre au fil des plages cette main espérante qui cherche les moindres lueurs, annonciatrices de la lumière,  sans laquelle toute vie serait anéantie. La main gauche atrophiée du timonier Roberto, ses doigts boudinés de la main droite animés d’une logique insondable se font jour dans la trame. Colonna est un improvisateur instantané hors-pair dont l’instinct et l’expérience mêlés confortent la construction formelle d’une improvisation collective sur la durée et la spontanéité face au moindre détail/instant du parcours. Il a le chic d’articuler le moindre plop ou Pfff du bec à l’instant le plus propice imprimant ses interventions fugaces durablement dans la mémoire de l’auditeur avide d’appréhender le processus de l’improvisation dans sa globalité et ses infimes détails. Dans cette session, Colonna improvise ad-lib comme un jazzman libre en survolant la trame de la basse. Son souffle dans la clarinette basse se délivre en un son soyeux, capable d’un lyrisme rare, rendu par une qualité sonore optimale, ou d’éclairs jupitériens et de sons aléatoires. Quelle dynamique, quel timbre ! A la clarinette droite, il évoque de loin Jimmy Giuffre ou Perry Robinson parce qu’en est venu le moment émotionnel. Une personnalité intelligente, complexe, une musicalité telle que le critique Sandro Cerini, plume avertie et sincère de MusicaJazz, le magazine national, et entièrement dévoué à la cause improvisée, le tient pour le souffleur d’anche numéro 1 en Italie avec son collègue Massimo Falascone, dont le saxophone alto donne du répondant dans les deux autres plages (4 et 7). Massimo, faut-il le répéter, est un saxophoniste de haut vol au niveau technique superlatif, lequel se devine au timbre et à l’articulation plutôt qu’à l’étalage de la virtuosité. Cette personnalité discrète a une sonorité magnifique qui ferait de lui, dans une autre vie, un musicien de studio demandé à NYC ou L.A. Le contenu du CD 2 n’est peut-être pas le manifeste ultime que ces individualités brillantes pourraient réaliser, mais il offre bien des plaisirs secrets et des moments de bonheur. C’est ici, parce qu’il est le seul bassiste, qu’on surprend Roberto Del Piano dans ce qu’il apporte de convainquant à cet instrument décrié dans le jazz contemporain, la basse électrique. En fait, il a compris beaucoup de choses quand à l’usage qu’il peut en faire dans les occurrences imprévues du dialogue et des pulsations avec un souffleur et un batteur. Des virtuoses nous barbent avec des platitudes et des tics. Roberto trouve la formule idoine dans le rapport de force centrifuge. Un sens de la mélodie dans le rythme, la science du mouvement. Une force naturelle. Un jeu inscrutable et des doigtés secrets (comme Django). La Main Qui Cherche La Lumière. En quelque sorte, un innovateur dans le domaine du jazz libéré et totalement improvisé. Des principes de bon sens qu’on retrouve chez Swallow, Pastorius ou Phil Lesh (Grateful Dead : à écouter pour s’éclairer au sujet de l’instrument). Donc l’écoute est vraiment instructive, plaisante, la musique chaleureuse, chercheuse, authentique. Un très bon point à Julien Palomo et à son label uto-atypique, Improvising Beings !
La photo de pochette est due à Matthias Boss, violoniste inspiré.


Paulo Chagas Silvia Corda Adriano Orrù/ Szilard Mezei Tim Trevor-Briscoe Nicolà Guazzaloca / Francesco Massaro

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Stanze  Palimpsest trio Paulo Chagas Silvia Corda Adriano Orrù Pan y rosas discos 2015



Produit au Portugal et enregistré à Montserrat en Italie par cet excellent trio portugais (Chagas) / italien (Corda & Orrù), Stanze  nous fait entendre des improvisations travaillées, intériorisées, exploratoires et informées par la pratique de la musique contemporaine et de recherche. Silvia Corda a préparé son piano et se sert des cordes et des armatures de la carcasse de manière très personnelle et aisément reconnaissable. Une belle dynamique qui fait jeu égal avec ses deux camarades de manière parfaitement intégrée. Son jeu dans les cordages et la caisse avec des objets et des baguettes est sonore à souhait comme s’il s’agissait d’une sculpture sonore. Avec le contrebassiste Adriano Orrù, elle entretient une connivence au niveau des timbres, des accents, des sons. Celui-ci a une approche alternative de l’instrument, percussive, frotteuse, raclante, pointilliste. Le souffle du clarinettiste sopranino et du saxophoniste alto Paulo Chagas est pointu, volubile, lyrique dans une pièce, intériorisé et exploratoire ailleurs et n’hésite pas à s’égosiller dans la colonne d’air. Sa présence lumineuse constitue une contrepartie réussie au tandem Corda/ Orrù de manière exemplaire. Le Palimpsest Trio fait de la musique improvisée radicale en questionnant les paramètres de cette configuration instrumentale. Les neufs courts morceaux se réfèrent à la poésie : Prima Stanza, Aubade, Blank Verse, Enjambements, Coplas etc… et leur brièveté (entre 2 et 5/ 6 minutes) participent pleinement à leur imaginaire et à leur esthétique. Leur sens de la retenue et leur concision dans l’abstraction va de pair avec une énergie franche et une variété de sons  remarquable. La lisibilité des lignes individuelles rencontre l’interpénétration des sonorités, la gestuelle de l’improvisateur crée des sensations vibratoires qui font corps avec la musique.
Stanze : une approche sensible et organique qui tranche dans la grisaille surproductive du post-free.

Szilard Mezei  Tim Trevor-Briscoe  Nicola Guazzalocà Aut Records 
http://www.autrecords.com/project/mezei-trevor-briscoe-guazzaloca-cantiere-simone-weil/

Cantiere Simone Weil , Piacenza le 28 juillet 2015, lieu et date de l’enregistrement de ce trio dont on a déjà entendu un remarquable album sur Leo Records, Underflow LR614 (2011). L’alto de Szilard Mezei(il s’agit d’un violon alto !) se prête à des contorsions sonores fascinantes quant au travail du timbre,  aux nuances microtonales et à ces ralentandi presqu’orientaux. Vous comprenez pour quoi ces sévères compositeurs occidentaux classiques n’ont pas trop écrit pour cet instrument qu‘on croyait destiné à servir de faire valoir au violon et au violoncelle dans le quatuor à cordes. L’épaisseur franche et sa pâte qu’un altiste puissant arrive à modeler se sont révélées parfaites pour la musique improvisée libre, mais il a fallu quelques dizaines d’années pour pouvoir l’entendre in vivo : Charlotte Hug, Benedict Taylor et notre locuteur magyare de Vojvodine, Szilard Mezei (bien du mérite : instrument difficile). Avec le pianiste Nicolà Guazzaloca et le saxophoniste clarinettiste TimTrevor-Briscoe, tous deux basés à Bologne, ils forment un singulier trio chambriste aux multiples qualités. En trois sets de 13:45, 15:42 et 10:02, les trois musiciens nous offrent des échanges étoffés et des constructions d’une grande variété. Il y a pas mal de l’énergie, très franche, spontanée avec des emportements physiques et cette énergie est soigneusement focalisée dans des architectures savantes, des arcs qui s’entrecroisent avec finesse, des questions complexes où Guazzaloca plonge une main dans les cordes pour amortir des attaques en cadence avec les pizzicati « à côté » de l’altiste. Vous pouvez vous fier au patronyme de Trevor-Briscoe, souffleur britannique expatrié : Trevor comme Trevor Watts et Briscoe comme Chris Briscoe, deux soufflants incontournables pionniers de la free music anglaise. Trevor Barre a essayé d’écrire un bouquin sur la free music londonienne/ britannique, non seulement il omet le travail de Chris Briscoe avec Roger Turner vers 66/67 à Brighton mais il intitule un chapitre «  Les Super – Groupes » ! En voilà un justement : Nicolà Guazzaloca, c’est le top du piano improvisé à la suite d’Alex, Fred, Irène et Keith, Szilard Mezeiest un immense musicien et TimTrevor Briscoeassure plus que solidement la contrepartie. Respect total ! Leur musique est un vrai challenge quant au fait de tirer parti de toutes les possibilités des instruments et de l’interaction de chacun, un à un et un pour tous : la musique de la solidarité et un intense plaisir d’écoute !  

Bestiaro Marino Francesco Massaro desuonatori   des 007-2015

Voici une excellente production par un souffleur des Pouilles, Francesco Massaro (sax baryton et clarinette basse), en compagnie du pianiste Gianni Lenoci (aussi au fender rhodes, jouets et radio), de la flûtiste Mariasole De Pascali et du percussionniste Michele Ciccimarra. Une belleprésentationau niveau de la pochette ouvrante et du texte format ½ A4 en papier recyclé à l’interieur de laquelle sont consignés outre les détails de la session, des instruments et remerciements, une série de définitions excentriques de Tania Sofia LorandiProvveditrice Rogatrice Generale del Collège de Pataphysique au sujet du Bestiaire Marin qui alimente l’imaginaire des titres de chaque morceau et de la musique (je suppose). Il est question d’Etoile de Mer, de Desmonema annasethe, Baleines Inappétissantes, d’Épaves et de Gidouille. L’orthographe française étant un mystère insondable pour les péninsulaires étant donné que l’italien s’écrit absolument phonétiquement, le mot Collège devient collage,  voir http://www.collagedepataphysique.it . Heureusement, il n’y a pas de collage ici, mais plutôt des arrangements à la fois spontanés et prémédités où Gianni Lenoci donne le la. Que ce soit au piano préparé, au fender rhodes ou en faisant plus qu’évoquer Mal Waldron, Lenoci sollicite les nuances et les timbres aquatiques, les embruns et le soleil de cette région maritime qui vit entre autres de la pêche. Francesco Massaro s’emporte de belle façon avec son baryton en souffle continu avec les trilles de Mariasole en forme de vagues (Les épaves) aux quelles répondent ponctuations et grincements de cymbale et d’intérieur de piano. Melusine : des vibrations de souffle au bord du silence comme un lointain mugissement d’un imaginaire veau marin. Belle cadence pour La Gidouille/ Tourbillon. Au final, un travail sensible, poétique et raffiné avec de beaux paysages, une veine lyrique sincère et réfléchie qui évite la facilité et navigue vers le sonique avec goût. Une réussite !
Le label desuonatori
coordinamento di autoproduzioni per la socializzazione di musica inedita in nuovi contesti di fruizione ! 

Boni/Lasserre Guérineau/Oki/KCarter/Sato Hession/Stefani Liguori/DelPiano/Monico Brötzmann/SuonoC Parker/Sandell/ Konvoj Ensemble

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Soft EyesRaymond Boni & Didier Lasserre improvising beings ib48


Une très belle rencontre chercheuse et réfléchie entre un guitariste inoubliable et, pour une fois, en acoustique, et d’un percussionniste / batteur qui va à l’essentiel. Tandem en mode intimiste tout en questions réponses, donc ! Et quelles questions…. L’art du silence intégré dans la poursuite des sons, le jeu lyrique et souvent enflammé, mais très épuré, de Raymond Bonià la guitare qui privilégie les petites touches, les frappes imprévisibles de Didier Lasserre. Les interventions millimétrées à l’harmonica en suspens au-dessus des peaux frappées singulièrement dans un dialogue tangentiel, tout concorde à  nourrir la sensibilité de l’auditeur dans sa découverte. La dynamique éprouvée des deux duettistes souligne l’écoute : on frôle le silence du bout des doigts après avoir frappé l’imagination. Coups secs et blanches qui expirent dans l’air chaud. Frappes sélectionnées dans l’inconnu de la batterie. Un morceau est consacré à l'exploration des cymbales à l’archet et la modulation improbable des harmoniques qui en résulte. Une série de pièces se succèdent qui, tout en restant dans le cadre sévèrement délimité et exigeant de leur esthétique commune, renouvellent leur expression, les couleurs, les affects, les émotions. Raymond Boni est un des grands pionniers de la guitare alternative et improvisée en publiant en 1970 son premier manifeste solo, L’oiseau, L’arbre, Le Béton(Futura- Ger), la même année où Derek Bailey publia son premier opus solitaire (Incus 2). Mélodiste d’avant-garde avec un goût absolu, le voici qui se rappelle à nous en poussant plus loin la mise en question des paramètres de la musique avec un acolyte aussi chercheur et insituable que lui, Didier Lasserre. Improvising beings nous envoie un album qui sollicite l’écoute et la réécoute. Ce label essaie de présenter la mouvance librement improvisée sous toutes ses coutures et Soft Eyes est à cet égard un vrai manifeste.

D’une rive à l’autre Sylvain Guérineau Kent Carter Itaru Oki Makoto Sato  improvising beings ib47


Rive droite ou rive gauche ou dérive…. Les mots n’arrivent jamais à décrire le ressenti, les sons expriment l’au-delà des idées : les émotions perçues sont-elles le reflet de votre ouverture, de votre écoute? Mais la musique est bien là ! Etoile filante au firmament des trompettistes de l’impossible, Itaru Oki est bien le moins considéré des souffleurs « free » qui ont réussi à marquer de leur empreinte la vibration éphémère de l’air par la pression magique des lèvres dans l’embouchure (Dixon, Hautzinger, Smith, Evans, Wheeler). On l’entend aussi au bugle (grand merci !). Le saxophoniste Sylvain Guérineau souffle dans l’ombre depuis des décennies et nous offre ici une prestation qui honore l’instrument et son histoire. Lyrisme, timbre chaleureux, phrasés puisés chez Hawk ou Mobley et transsubstantiés à la Giuffre avec un réel détachement. L’archet de Kent Carter et sa walking caractéristique (Bâteau Phare) expriment l’essentiel. Cela nous rappelle le temps béni où avec Ken Tyler, Oliver Johnson ou Noël McGhie, Carter officiait chez Steve Lacy dans les recoins de Paris et de province. Makoto Sato est l’incarnation du drumming free au sein d’un groupe. Récifnous montre comment ils partagent un imaginaire et l’espace sans l’encombrer. Le Rideau de Mer et comment cette idée est poursuivie et enrichie puis laissée sur le côté pour laisser flotter leurs intuitions en toute liberté. Ces desperados du jazz libre ne se contentent pas de rugir, mais ils savent frémir, jouir, réfléchir, assumer  leurs errances, se rassembler dans l’inconnu. Il y a une volonté de ne pas s’en tenir qu’au poncif « énergétique » débridé de la free-music / jazz libre, mais surtout de créer des moments épurés de convergence dans le silence, l’espace, lieux imaginaires de réflexion, de partage. La grande qualité d’écoute spéciale et l’invention mélodique d’Oki vis-à-vis du jeu de Guérineau méritent d’être soulignée ainsi que la cohésion dans l’écoute mutuelle de l’ensemble. D’une rive à l’autre : passage, gué, embarquement, dérive, flottaison, crue, étiage… Enregistré par Jean-Marc Foussatà Juillaguet en juin 2015, cet album vient enrichir les archives du free-jazz pour une qualité particulière d’empathie et de vécu qui rend cette musique aussi attachante que les choses les plus flamboyantes jamais enregistrées. Le disque est maintenant fini : j’appuie sur Startà nouveau ! Trop Beau !

Concretes Paul Hession - Ewan Stefani Bruce’s Fingers


Crédité percussion, sampler, analogue ring modulator, Hubback gongs (Paul Hession) et live digital processing and synthesis(Ewan Stefani), le duo de Concretesjoue une musique électronique – électroacoustique avec percussions d’une grande richesse sonore et timbrale et avec une intense complexité rythmique / pulsatoire. Elle nous vient du Yorkshire, région rebelle d’où proviennent Derek Bailey, Tony Oxley, Trevor Watts et le contrebassiste Simon H Fell, propriétaire du label Bruce’s Fingers et compagnon incontournable du batteur Paul Hession. Le terme Concretesse réfèrent au béton et un morceau s’intitule Betonski Mix.  Nombre d’artistes électroniques qui s’aventurent dans la libre improvisation arrivent trop souvent à me lasser au bout d’un moment. Les qualités de ces deux artistes, elles, relancent mon attention. Leurs trouvailles soniques, la combinatoire de leurs sons individuels, les nuances infinies, leurs états d’âme, tout concourt à rendre leurs processus et leur musiques vraiment intéressants, subtils. On peut s’y repaître, écouter intensément ou flâner de plage en plage, on sera surpris par des tressautements, des sonorités complexes, des attaques improbables du son, des contrepoints futuristes, des échappements fluides dans la 3D. On retrouve cet empathie/ symbiose qui caractérise la musique du duo Furt(Richard Barrett et Paul Obermayer). C’est donc un compliment ! Cet enregistrement produit modestement par B’s F pourrait bien figurer comme point fort sur la Carte du Tendre de la musique électronique qui échappe à l’écoute chiante du tout venant ‘electronica’. Je pense à Lawrence Casserley/ Adam Linson, Richard Barrett/ Paul Obermayer, Michel Waiszwisz, Ulli Böttcher, Richard Scott, Jérôme Noettinger et cie. Pour plus d’infos à ce sujet, parcourez mon blog et surtout écouter cet album dont l'illustration de pochette type Pac-Man binaire semble se situer complètement à l'opposé des images que cette musique suggère.

Deux albums avec Peter Brötzmann ou Evan Parker :

Laboratorio Musicale Suono C + Peter Brötzmann DEcomposition Setola di Maiale.


Cinq DEcomposition numérotées de 1 à cinq pour ce quartette / projet free jazz formé par les frères Console, Gianni le saxophoniste et Donatole flûtiste, le batteur Giuseppe Triaet le bassiste / guitariste Walter Di Serio auxquels s’ajoutent le trompettiste Giuseppe Mariani sur les DEcomposition1 et 3 et Peter Brötzmann sur les DEcomposition 2et 6. Gianni Console joue aussi des electronics et de l’EWI 4000S et Walter Di Seria est en solo absolu dans la DEcomposition 5. Originaires de la région des Pouilles, ces artistes italiens ont découvert et entendu Peter Brötzmann lors de plusieurs éditions du festival de free music de Noci. Activistes incontournables de la scène locale, ils tentent avec  bonheur de vivre l’improvisation totale. Le tandem basse - batterie propulse les soufflants avec ferveur et il faut entendre Gianni Consoleintervenir au sax alto après les deux solos de Brötzmann dans la DEcomposition 2 au ténor et à la clarinette turque métallique pour se convaincre du tonus des italiens. Donato Console envoie des pépiements de notes dans l’espace avec un réel feeling jazz. L’utilisation de l’électronique confère une dimension contemporaine actuelle. Walter Di Serio  se distingue à la quatre cordes de manière pulsatoire et Giuseppe Tria crée des ambiances mystérieuses au vibraphone dans la DEcomposition 3 où les musiciens prennent très au sérieux le processus d’improvisation collective dans le meilleur sens du terme. Dans la DE 4, un rythme funky punk s’installe avec un fond de guitare (ou d’EWI ?) trafiquée et torturée et laisse la place à la flûte suave de Donato Consoledans un temps en suspension pour un court instant suivi par une séquence d’impro radicale électrique de contraste. Le final (DE 6) avec Peter Brötzmannsoufflant à tout berzingue sollicite d’abord l’emportement et le martellement compulsif et saccadé de la batterie et de la basse (on pense à Bill Laswell) et cela dérape dans des éclats multidirectionnels. La précision de l’enregistrement n’est pas idéale et c’est pour cela qu’il faudrait assister à cette rencontre sur le vif pour en mesurer l'impact. Elle ne manque pas d’énergie avec un Brözmann mordant à souhait et en grande forme et le répondant de ses acolytes qui assurent.  Le meilleur hommage qu’on puisse faire à Peter Brötzmann, c’est de jouer avec lui. Chose faite.

Colors Of :  Konvoj Ensemble feat. Evan Parker & Sten Sandell Konvoj Records K0R001

Composé des saxophonistes Lotte Anker, Liudas Mockunas, Ola Paulson et Evan Parker, du pianiste Sten Sandell, de Jakob Riis computer & live signal processing et le batteur Anders Uddeskog, le Konvoj Ensemblesemble exister pour faire vivre la suite Colours of : . Chaque souffleur gère un sax différent et double sur d’autres : l’alto pour Anker + soprano, le ténor pour Parker, le baryton (avec ou sans préparation) pour Paulson qui joue aussi du « alto horn with sax mouthpiece » et le saxophone basse pour Mockunas qu’on entend aussi à la clarinette basse. Des sections de l’œuvre se passent de batterie et l’accent est placé sur le collectif plutôt que des solos de chaque souffleur. On passe souvent en mode hard-free tout en suivant un chemin balisé par des indications précises et des passages où s’impose une dynamique subtile. Un bon exemple est cette séquence où le piano de Sten Sandell se fait presque intimiste avec un brin d’électronique qui s’évanouit pour laisser venir progressivement des roulements de batterie en crescendo bien réalisés vers un solo assez impressionnant (quel batteur !!) .  C’est en fait un excellent et superbe album de free-music qui mérite d’être écouté. Il ne suffit pas de réunir des musiciens comme Lotte Anker, Evan Parker, Sten Sandell, et Liudas Mockunas, il faut que la mayonnaise prenne. Mission réussie. Les mouvements s’enchaînent, naissent l’un de l’autre, un souffleur prédomine un moment avec ses trois collègues qui l’entourent avec des jeux libres et des effets de timbre alors que le piano commente, réagit et souligne. Improvisateurs et compositeurs de l’instant, ces excellents musiciens n’ont aucune peine à créer des formes, à moduler une stratégie de jeu, à coordonner leurs efforts. Cet assemblage instrumental quatre saxophones / piano/ percussions + électronique  aurait pu être un handicap, mais il se transforme en une réussite qui fait bien plaisir à écouter. Le live signal processing de Jakob Riis transforme à un moment la percussion de Uddeskog de manière curieuse et originale avec beaucoup d’intensité (ou je me trompe). Cette séquence aboutit à un excellent duo de Parker et Sandell, ténor et piano tout en nuances appelé à durer. L'intérêt de la session perdure jusqu'au final. Colors Of : aurait pu devenir un all-stars pour fin de festival branché, mais la conscience artistique et l’auto-exigence des participants donnent lieu à une belle prestation qui méritait bien d’être publiée. Proficiaat !!

Gaetano Liguori Idea Trio Cile Libero Cile RossoBull Records


Idea Trio : la musique au service des idées ou simplement pour dénoncer et témoigner d’injustices flagrantes. En 1973, le coup d’état du général Pinochet met fin brutalement à l’expérience démocratique progressiste de Salvador Allende dans un bain de sang en massacrant et torturant des milliers de personnes pour leurs idées dans des stades (avec le soutien de l’archevêque de Santiago et de la CIA). Quatre compositions faisant références à des événements dramatiques liées au combat social de l’époque et une suite composée pour un Chili libre par le grand pianiste milanais Gaetano Liguori et jouée / improvisée live par son Idea Trio avec le bassiste Roberto Del Piano et le batteur Filippo Monico. Sur la pochette une photo noir et blanc du groupe en 1973 et une photo couleur des mêmes quarante ans plus tard tirée par leur ami de toujours, le photographe Roberto Masotti, lequel avait alors immortalisé la scène improvisée de Braxton à Evan Parker et Schlippenbach. Les notes de pochette du disque original PDU par Franco Fayenz sont à peine lisibles (il s’agit de la copie de la pochette de 33t au format CD, dommage !). Le thème de Ballad for a Murdered Studenta l’évidence mélodique des chants militants, mais une fois la machine emballée, un pianiste assuré et puissant se révèle. Très à l’aise rythmiquement et inspiré par le grand Mc Coy Tyner avec une  superbe qualité dans les voicings quand approche un feeling de transe (In Via Ludovico Il Moro). Parfois un peu ruisselant par instants (comme dans le premier mouvement de Free Chile), il sait trouver le ton juste dans l’angularité, joignant résolument l’énergie et une grande qualité de toucher. Le deuxième mouvement de Free Cile s’ébat sur une rythmique tendue propulsée par une main gauche d’airain. Les deux acolytes Monico et Del Piano, des jeunots à l’époque qui avaient déjà acquis un métier incontournable avec le pianiste dans des aventures musicales les plus improbables, font plus qu’assurer. A l’issue de ce deuxième mouvement emporté, Roberto Del Piano nous livre un solo de basse électrique intelligent accueilli par une exploration sonore dans les cordes du piano et en frôlant la surface de la batterie du bout des baguettes très impro libre. J’ajoute que ce musicien, RDP, souffre d’une malformation des doigts de la main gauche qui lui interdit de jouer de la contrebasse et l’a poussé à inventer ses doigtés personnels à la basse électrique. Excellent solo de batterie ensuite. Thème joué sur des chapeaux de roue par le pianiste avec un style chantant polyrythmique unique et une réelle aisance de la part des trois protagonistes. Rien à envier aux Stanley Cowell et autres qui défilaient dans les festivals à l’époque. L’Idea trio n’hésite pas un instant à s’aventurer hors des sentiers battus dans une veine vraiment free pour le quatrième mouvement en évoquant Cecil Taylor (pour utiliser le langage commun). En conclusion, un chant militant du P.C. allemand des années 30 (Weil Brecht, je pense) joué avec une réelle justesse de ton. Rien d’étonnant que ce trio reçut le soutien appuyé de Philippe Carles et Daniel Soutif de Jazz Magazine et de la critique italienne. Il s’agissait alors d’une des plus remarquables formations du nouveau jazz européen lié au mouvement de la free music et qui eut une réelle audience et pas seulement en Italie. Aujourd’hui, Liguori officie au Conservatoire de Milan et ses deux compères s’activent au cœur d’une communauté d’improvisation radicale soudée en Italie. Un excellent document qui comble une lacune concernant les pionniers de la free music italienne des années 70 : les Gaslini, Centazzo, Rusconi, Schiaffini, Mazzon, Marcello Melis et le regretté Demetrio Stratos.
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